AMEN !

, par Jean-Pierre Gouzy

Le BILLET de Jean-Pierre GOUZY.

Fédéchoses est heureux d’annoncer à ses lecteurs que Jean-Pierre Gouzy
publiera dorénavant un billet dans tous nos numéros

Pas de « fédération » sans Etat fédéral… Cette
affirmation peut sembler banale et superfétatoire
quand on connaît tant soit peu la physionomie du
monde.

Pourtant, que n’avons-nous pas entendu, à propos
de cette « Union politique » miraculeuse qui, si elle
parvenait à voir enfin le jour, ne devrait surtout pas
être un « super-Etat » qui, reconnu comme tel par
l’organisation mondiale, assurerait la représentation
de l’Europe au Conseil de sécurité ; qui substituerait
ses forces armées à celles des Etats membres, ou sa
politique étrangère à celle du Quai d’Orsay, du
Foreign Office, de l’Auswärtiges Amt, de la Farnesina
agissant de concert ! Certain fédéralistes tombent
même parfois dans le panneau, tant ils semblent
soucieux d’éviter de passer pour les hurluberlus de
l’extrême Europe, tout en applaudissant, pour garder
bonne conscience, les mérites des « Etats-Unis
d’Europe », tels qu’ils ont été successivement
perçus, dans des registres variés, par Victor Hugo,
Richard Coudenhove Kalergi, Jean Monnet ou Guy
Verhofstadt, et tout en appelant de leurs vœux, bien
entendu, l’avènement d’une « Europe puissance »
quand les crises l’exigent. Un copieux bouquin paru
tout récemment aux PUF (Olivier Beaud, Théorie de
la Fédération) prétend encore démontrer que celle-ci
« n’est pas un Etat, mais une entité juridique de
nature différente ».

Que dit, notre cher « Petit Larousse » à propos de la
définition de l’Etat, à laquelle nous invita à nous initier
Machiavel dès le XVIe siècle ? Tout simplement qu’il
s’agit d’une « entité politique constituée d’un territoire
délimité par des frontières, d’une population, d’un
pouvoir institutionnalisé ». Cette définition nous
convient…. L’Union européenne est, effectivement,
déjà « délimitée » par les frontières des Etats qui la
composent, et qui courent à l’est, de la Finlande à la
Mer noire ; elle s’incarne dans une population dont
les citoyens ont été reconnus comme « citoyens
européens » depuis le Traité de Maastricht de 1992.
C’est pourquoi, il existe, à tout le moins, un Peuple
européen potentiel. De plus, elle possède une très
sérieuse ébauche de « pouvoir institutionnalisé »,
personnifié par l’existence d’un « exécutif » (la
Commission) ; d’un parlement élu au suffrage
universel qui partage ses prérogatives législatives
avec un Conseil, représentatif des gouvernements
des Etats membres ; d’une Banque centrale
dépositaire de l’autorité monétaire commune ; d’une
Cour de justice qui assume la primauté du droit
communautaire ; des services d’une Cour
européenne des droits de l’homme et en prime, une
fois le traité de Lisbonne définitivement ratifié, d’une
Charte des droits fondamentaux juridiquement
contraignante (avec deux exceptions, celles du
Royaume-Uni et de la Pologne).

Déjà l’Union européenne, à la manière d’un Etat
fédéral, apparaît comme une entité appelée à
garantir l’autonomie de ses Etats membres. Chacun
d’eux continuant à disposer de ses propres pouvoirs
législatifs, exécutifs et judiciaires.

Malheureusement, les apparences sont une chose et
les réalités une autre. L’Union ne possède que des
prérogatives qui lui sont expressément reconnues
par des traités révocables et dans les faits. Ses
compétences, dans les domaines primordiaux de la
politique étrangère, de la défense, de la fiscalité,
demeurent, après plus d’un demi siècle de pratique
communautaire, de nature intergouvernementale et
s’exercent donc, de manière décalée, par rapport aux
exigences de notre temps.

C’est pourquoi l’Union concoctée à Rome,
Maastricht, Amsterdam, Nice et Lisbonne, sans
oublier « l’Acte unique » (l’enfant chéri de Jacques
Delors d’après ses propres « mémoires ») demeure
un édifice inachevé, boiteux, en l’attente permanente
de nouveaux approfondissements et de nouveaux
élargissements.

Ce positionnement inconfortable n’aurait pas de
caractère rédhibitoire si nous avions l’éternité devant
nous pour faire face aux problèmes contemporains.
Mais, tel n’est pas le cas, l’Europe trottine quand la
mondialisation galope, qu’il s’agisse de sécurité, de
finances, d’environnement, d’avancées
technologiques, ou, a fortiori, de la gestion
planétaire.

C’est pourquoi, les problèmes de notre époque
doivent être plus que jamais appréhendés dans une
perspective globale à partir d’une Europe qui dispose
enfin, et en tant que telle, de l’ensemble des moyens
politiques, économiques, stratégiques nécessaires à
l’accomplissement de sa vocation fédérale. Tel est le
sens du message que nous devons lancer sans
ambiguïté aux nouvelles générations. Que cela plaise
ou non aux parangons de la maintenance stato-
nationale, à tout prix. Amen !