Bibliographie

Alain Malégarie, Alain Réguillon - L’Euro : un succès inachevé

, par Michel Theys

Ed. Presse Fédéraliste - Carnet d’Europe - n° 3 / 4, 2012 - Lyon - pp. 131, 12 €

Lire aussi : L’euro, un succès inachevé ?

Ce numéro de Carnet d’europe — une
revue, explique son directeur, Alain
Réguillon, qui « n’a pas vocation à
être politiquement correcte, mais à
susciter l’interrogation et les
réactions de celles et de ceux qui ont
vraiment à coeur de faire progresser
la construction de l’Union vers un
Etat fédéral » — est, de bout en bout,
une défense vibrante de la monnaie
unique et une dénonciation
véhémente des dirigeants politiques
nationaux qui, pour préserver « leur
pouvoir intra-muros », ont refusé de
l’utiliser pour ce qu’elle était
véritablement, à savoir un tremplin
vers une Europe politique.

Dès
l’introduction, les auteurs en tirent
« la triste morale (…) qu’il ne faut
jamais sous-estimer la résistance
passive ou active de certains
politiciens qui ne reculent devant
rien pour satisfaire des ambitions
purement nationales, sans se
préoccuper des effets de leurs
décisions, ni pour leurs partenaires,
ni pour leurs peuples ».

Les
dirigeants politiques français sont la
cause principale de leur aigreur, mais
sans doute convient-il d’élargir le
champ des coupables, ainsi qu’y
incitait déjà un certain… Machiavel
voici cinq siècles : « Et il faut penser
qu’il n’y a chose à traiter plus
pénible, à réussir plus douteuse, ni à
manier plus dangereuse que de
s’aventurer à introduire de nouvelles
institutions ; car celui qui les
introduit a pour ennemis tous ceux
qui profitent de l’ordre ancien, et n’a
que des défenseurs bien tièdes en
ceux qui profiteraient du nouveau.

Laquelle tiédeur vient en partie de la
peur des adversaires qui ont les lois
pour eux, en partie aussi de
l’incrédulité des hommes qui ne
croient pas véritablement aux choses
nouvelles qu’ils n’en voient déjà
réalisée une expérience sûre. D’où il
naît que toutes et quantes fois ceux
qui sont adversaires ont commodité
d’assaillir, ils le font en ardents
partisans et les autres se défendent
tièdement ; en sorte que tout périclite
avec eux ».

L’euro parviendra-t-il à échapper à ce
funeste destin ? Selon les auteurs,
toutes les conditions sont réunies
pour qu’il en aille ainsi. Après avoir
rappelé la longue prestation de la
monnaie unique depuis la fin des
années 60, ils s’emploient à mettre
en lumière les apports trop souvent
occultés de l’euro qui, entre autres,
s’est imposé en treize ans à peine
comme la deuxième monnaie
internationale, là où le dollar
américain avait « mis plus de cent
ans (…) pour s’imposer partout dans
le monde ».

Preuves à l’appui, ils
déconstruisent les faux procès
intentés à la monnaie unique, qu’il
s’agisse des lamentations relatives à
un euro « trop fort » -alors qu’il
n’interdit en aucun cas à l’Allemagne
de s’imposer comme la champione
des exportations, le problème de la
France n’étant, dès lors, que la compétitivité de son offre
exportatrice- ou, plus encore, les
récriminations relatives à l’inflation
qu’aurait suscitée la monnaie
unique.

A ce propos, Alain Malégarie
— Directeur général de l’Institut de
l’euro et, à ce titre, membre du
Comité national de l’euro mis en
place en France entre 1996 et 2002
pour préparer l’arrivée de l’euro- et
son complice relativisent fortement,
mais admettent que certains « europrofiteurs
 » ont eu « vraiment l’arrondi
un peu lourd », notamment dans la
grande distribution. Et d’accuser les
politiques de n’avoir pas
suffisamment veillé à ce que l’euro
soit bien accueilli dans l’opinion
publique : « A circonstances
exceptionnelles, il fallait une mesure
exceptionnelle : rétablir le contrôle
des prix, avec les autres membres de
la zone euro », jugent-ils en pointant
un doigt accusateur vers les
« industriels de l’agro-alimentaire et
de la grande distribution », coupables
de s’être sucrés par le biais des
« marges arrières », à savoir des
ententes délictueuses.

Mais l’objet
principal de leur ressentiment, ce
sont les dirigeants politiques qui
« n’ont pas su ou voulu accompagner
cette monnaie unique, rassurer les
personnes agées ou fragiles, dont
beaucoup passaient parfois de
l’ancien franc… à l’euro ». En
l’occurrence, cette défaillance n’a
pas été que française, raison pour
laquelle l’euro « s’est trouvé
orphelin » et est devenu un « malaimé
 » dont certains établissent l’acte
de décès à tout bout de champ.

Aux
politiques, sondeurs et journalistes
concernés, les auteurs rétorquent
qu’il n’y a aucunement crise de la
monnaie, seulement « crise de la
compétitivité, de la croissance et
surtout de la gouvernance politique
de l’Europe ».

Par la suite, Malégarie et Réguillon
montrent de quelle manière la crise a
fait « quand même avancer
l’Europe » : après avoir récusé de
« fausses bonnes solutions » (double
monnaie, sortie de l’euro, voire sa
fin, protectionnisme…), ils analysent
de manière les divers « outils de
solidarité financière » mis en place,
portant surtout leurs critiques sur les
limites imposées par
l’intergouvernementalisme
triomphant. Ils avancent ensuite
leurs « solutions fédérales » :
politique industrielle commune,
budget fédéral conséquent (« cinq
pour cent du PIB européen pour
commencer », puis atteindre
progressivement « quinze pour cent,
au fur et à mesure de la
mutualisation des politiques
nationales »)…

Le tout est ponctué
par leurs idées en vue de parvenir à
« une fédération décidée par les
peuples ». A n’en pas douter, elles
seront accueillies avec un
haussement d’épaules par beaucoup
de ceux qui nous gouvernent, en
France notamment. Sont-elles
toutefois vraiment moins sages que
celles qui nous ont conduits où nous
en sommes ?

P.-S.

Michel Theys

Recension extraite de la Bibliothèque européenne - supplément hebdomadaire de l’Agence Europe - Bruxelles

Fédéchoses remercie l’auteur pour son autorisation de republier ce texte (et publiera une 2° analyse sur cet ouvrage, de Jean-Pierre Gouzy, dans son n° 158)