Albert Einstein, combattant infatigable de la paix

Le fédéralisme a déjà une longue histoire et une riche tradition culturelle. Mais cette tradition est largement méconnue car elle ne s’insère pas dans le cadre conceptuel de la culture dominante, basée sur l’acceptation inconsciente de la souveraineté nationale, et donc de la guerre, comme des traits auxquels la réalité historique ne peut échapper. C’est pourquoi quelques auteurs fédéralistes ont été complètement oubliés, tandis que d’autres ne sont connus que pour la part de leurs travaux qui n’a rien à voir avec le fédéralisme.
Cette rubrique du Fédéraliste entend réaffirmer la valeur de cette tradition, en soumettant à l’attention de ses lecteurs de courtes sélections de travaux d’auteurs fédéralistes oubliés ou de travaux à caractère fédéraliste de personnalités bien connues du monde culturel du passé tombés dans l’oubli.

Nous commencerons avec l’un des plus récents et l’un des plus importants : Albert Einstein.

Einstein fut un combattant infatigable de la paix. Il eut toujours clairement conscience que la paix et la souveraineté nationale sont deux notions antinomiques et qu’une lutte pour la paix ne peut réussir sans un changement culturel radical. Il écrivait le 23 mai 1946, dans un télégramme envoyé à plusieurs centaines d’américains éminents, faisant appel à des contributions pour le compte de l’Emergency Commitee of Atomic scientists : « Le pouvoir débridé de l’atome a tout modifié sauf nos modes de pensée, et c’est pourquoi nous dérivons vers une catastrophe sans précédent. »

Le monde n’a pas tenu compte de l’ avertissement. Ses paroles sont demeurées ignorées tant des hommes politiques que des intellectuels et de la majorité de la population.

Nous devons à O. Nathan et H. Norden d’avoir patiemment réuni et présenté un ensemble des écrits d’Einstein, portant témoignage de son activité au service de la paix [1] . Dans son introduction, après avoir rappelé l’engagement permanent du grand savant pour la paix, Otto Nathan écrit : « Einstein était internationaliste de nature ; il détestait, à l’extrême, le nationalisme et le chauvinisme, et rendait leurs excès responsables de beaucoup de malheurs de par le monde. Il déplorait l’existence des frontières politiques et leur impact insidieux et diviseur sur l’humanité. En tant que scientifique, il était partie prenante d’un travail qui, plus que tout autre, est nécessairement international en dépit des nombreux efforts (qu’il critiquait avec véhémence) en faveur du secret scientifique au cours des deux dernières décennies. Lorsqu’en 1914 il se fit l’avocat de l’Europe unie, lorsqu’il accueillit avec plaisir la création en 1919 de la Société des Nations et en 1945 celle des Nations unies, Einstein espérait en l’intensification des relations culturelles et scientifiques entre les différents pays du monde. Mais sa croyance dans le caractère souhaitable d’une organisation du monde était plus encore inspirée d’une autre considération : Einstein avait depuis longtemps compris que le maintien de la paix internationale exigeait l’abandon partiel de la souveraineté nationale en faveur d’une organisation internationale dotée d’institutions administratives et judiciaires nécessaires au règlement pacifique des conflits internationaux et seule habilitée à maintenir une force militaire ; il espérait que le Pacte de la Société des Nations et, plus tard, la Charte des Nations unies seraient, à temps, modifiés de telle manière qu’une organisation capable de maintenir la paix dans le monde voie le jour. L’insistance d’Einstein sur le besoin d’une organisation mondiale appropriée a gagné en actualité avec l’accroissement du pouvoir de destruction des armes modernes. La fabrication de la bombe atomique et son utilisation en 1945 sur les villes japonaises rendit Einstein moins tolérant que jamais à l’égard des actions entreprises en faveur de la paix. Il n’avait jamais cru que le désarmement par petits pas fût une politique efficace contre la guerre, une politique susceptible de jamais mener au désarmement total et à la paix ; il avait la certitude qu’une nation ne peut s’armer et désarmer en même temps. Il en fut encore plus convaincu, après 1945, lorsque la possibilité de la guerre nucléaire menaça de destruction la race humaine. C’est durant ces années d’après-guerre qu’il devint un membre actif des mouvements pour un gouvernement mondial. Il ne concevait pas le gouvernement mondial comme une institution supplantant les fonctions principales des gouvernements nationaux existants ; il pensait plutôt à une organisation ayant une autorité limitée aux seules questions directement liées au maintien de la paix : toute atteinte au pouvoir souverain des nations membres serait limitée par les engagements de l’organisation internationale au service de la sécurité internationale. Einstein aurait été le dernier à plaider la mise en place d’un énorme centre de pouvoir dépassant les besoins spécifiques et immédiats. Il était en faveur de l’établissement d’un organisme supranational centralisé pour le seul objet de garantir la sécurité internationale ; pour le reste il était un avocat énergique de la décentralisation. » [2]

Dans le but d’offrir à nos lecteurs une approche de la pensée d’Einstein, nous avons choisi quelques pages particulièrement importantes, qui mettent en lumière les thèmes des causes de la guerre, de la paix en tant qu’organisation et du chemin qui y mène.

Notes

[1O. Nathan, H. Norden, Einstein on Peace, éd. Avenel Books, New York, 1981.

[2Ibid, pages IX-X.