Discours européens - La voix romaine

, par Jacques Fayette

Le Président François Hollande dans l’introduction à sa conférence de presse du jeudi 16 mai, a proposé un gouvernement économique de l’Europe qui « débattrait des principales décisions de politique économique à prendre par les États membres, harmoniserait la fiscalité, commencerait à faire acte de convergence sur le plan social, par le haut, et engagerait un plan de lutte contre la fraude fiscale ». Ce projet a soulevé l’enthousiasme de certains commentateurs. Ainsi le journal Le Monde a salué « Une offre française pour l’Europe, enfin ».

Les mêmes commentateurs font un rapprochement avec le discours initial du Président du Conseil Enrico Letta devant la Chambre des Députés et y voient une convergence franco-italienne pour faire avancer une nouvelle politique européenne, face à l’intransigeance d’une chancelière allemande préparant ses élections au Bundestag le 22 septembre.

Ce qui est caractéristique des offres de la France et de l’Allemagne est que chacune suscite le silence ou le refus de l’autre. Il en fut ainsi par exemple avec le document Lammers-Schäuble de 1994 ou du projet de Joschka Fischer en juin 2000 à l’Université Humboldt auquel Hubert Védrine (Ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin) répondit immédiatement par la négative dans Le Monde. Récemment encore, la chancelière Angela Merkel et son ministre de l’économie Wolfgang Schäuble ont fait tant à Nicolas Sarkozy qu’à François Hollande, des propositions pour aller plus loin dans l’intégration, propositions restées sans réponse.

L’offre de François Hollande s’inscrit sur une ligne constante qui remonte au Plan Fouchet, à celle de Pierre Bérégovoy, ou à celle de Nicolas Sarkozy à Strasbourg en octobre 2008 ; elle privilégie la méthode intergouvernementale au détriment de la méthode communautaire, ignorant que le Traité de Lisbonne va donner au Parlement européen et à la Commission, une légitimité et une compétence nouvelles. Or cette méthode intergouvernementale est de plus en plus lourde et inefficace, la confrontation de 27 ou 17 intérêts nationaux, n’engendre pas un intérêt européen. On se rend compte que, même dans les cas où les traités permettent au Conseil de statuer à la majorité, les États continuent à rechercher l’unanimité comme le déplore Martin Schulz, Président du Parlement européen dans La Croix du 17 mai.

Le Président français a certes déclaré « L’Allemagne, plusieurs fois, a dit qu’elle était prête à une Union politique, à une nouvelle étape d’intégration. La France est également disposée à donner un contenu à cette Union politique ». Mais il y a cette constante dans la politique française, quelle que soit la majorité au pouvoir, « résolvons d’abord les problèmes de l’Europe et ensuite nous passerons à l’unité politique » alors que les Allemands (et Descartes) affirment : « donnons-nous les institutions qui permettent de résoudre les problèmes ».

Tout ceci est évidemment très loin des thèses italiennes. Dans son discours à l’issue de son élection, Laura Boldrini a rendu hommage à Altiero Spinelli, inspirateur historique du fédéralisme européen. A sa suite, Enrico Letta a affirmé « l’Europe est le voyage dans lequel nous sommes embarqués pour arriver à l’avenir, l’Europe c’est l’espace politique où doit être relancée l’espérance ». Il n’a pas hésité à employer le mot fédéral et à affirmer que le port d’arrivée était les États-Unis d’Europe, ce que n’ont jamais dit ni François Hollande ni Jacques Delors quoi qu’on dise.

Croire donc que l’Italie viendra appuyer la France dans une certaine forme d’opposition à la politique allemande, constitue une grave erreur. Guillaume Klossa président de Europa Nova qui connaît particulièrement bien Enrico Letta, montre dans un article du Figaro du 30 avril « Enrico Letta, au secours de Paris et Berlin ? » qu’il n’en n’est rien et qu’au contraire, Enrico Letta en poussant l’intégration de la zone euro et l’avènement d’une démocratie européenne devrait donner le moyen de sortir d’un dangereux face à face franco-allemand. La rencontre euphorisante entre Enrico Letta et François Hollande, sur le chemin entre Berlin et Bruxelles, le mercredi 1er mai, ne fera pas de l’Italie un acteur d’une croisade germanophobe à la manière de Barbara Spinelli dans La Repubblica du 17 mai « Europa, il sonno della politica ».

Quand on voit les problèmes de nos pays dans Le Grand basculement décrit par Jean-Michel Severino et Olivier Ray (Odile Jacob, Paris 2011) on ne peut que boire les paroles du Président Giorgio Napolitano dans son discours inaugural de l’année académique au Collège de Bruges, le 26 octobre 2011 ; rappelant qu’au même endroit en 1989, Jacques Delors avait dit qu’il fallait abandonner la politique des petits pas, il concluait « Or, dans ces années-là, avec le Traité de Maastricht et l’Euro, un saut de qualité fut accompli. Il est temps d’en accomplir un autre, encore plus décisif ».

Ce sont les voix de Giorgio Napolitano, Enrico Letta et Emma Bonino qui de Rome uniront Berlin, Bruxelles, Paris… et quelques autres capitales.

P.-S.

Jacques Fayette
Professeur honoraire à l’Université Lyon III
Membre de l’UEF Rhône-Alpes - Lyon

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