Expérience du Collectif Sciopero Europeo et de la revue Lotta di classe e integrazione europea (Gênes 1971-1975)

, par Antonio Longo

Ces expériences ont été engendrées par la rencontre de la section de Gênes de la Gioventù Federalista Europea (JEF italienne, ndt.) avec le Mouvement de 1968.

La GFE de Gênes représentait, au début des années 1970, le groupe italien le plus nombreux, en terme de membres inscrits (environ 130) et de militants. Ce n’est pas par hasard si les deux premiers secrétaires de la GFE nationale étaient de Gênes (Giuseppe Canale et Antonio Longo, 1970-1973).
La GFE de Gênes se trouvait être dans ces années le point de référence de ceux qui, à l’intérieur du MFE italien, avaient une position d’opposition “de gauche” par rapport à la direction nationale, recevant des renforts importants d’autres villes (Milan, Florence, Turin).

La rencontre avec le mouvement de 1968 s’est passée sur le thème des alliances nécessaires dans la lutte pour la Fédération européenne. Les “Gênois” estimaient que la ligne stratégique du MFE considérait les partis comme les seuls interlocuteurs possibles, sans tenir compte du conflit social qui se manifestait au sein de la société européenne.

C’est sur cette critique qu’est née l’expérience du bulletin Sciopero europeo [1] (1971-1973) dont les bases théoriques peuvent être ainsi résumées :

  1. la lutte pour l’unité européenne doit prendre en compte également les acteurs sociaux, qui, portant leurs propres revendications au niveau européen, feraient croître la nécessité d’un “pouvoir européen” afin de réguler le conflit social, accélérant ainsi le processus d’unification ;
  2. une analyse de classe de l’intégration européenne est donc essentielle pour mettre en évidence les contradictions qui peuvent faire mûrir le “besoin” d’un pouvoir européen (existence ou non d’ un capital “européen” autonome ?).

La “grève européenne” était considérée, donc, comme l’objectif stratégique de la classe ouvrière multinationale. C’est sur ces réflexions qu’est née la revue Lotta di classe e integrazione europea [2] (1073-1975), après même que se soit effectuée la rupture avec le MFE sur les perspectives de la stratégie fédéraliste (1972-1973).

L’élément central de l’analyse tourna autour de la question des contradictions interimpérialistes : y avait-il ou non une bourgeoisie européenne capable de revendiquer son autonomie par papport aux Etats-Unis ? La conclusion fut substantiellement négative. Au lieu de l’hypothèse des “impérialismes concurrents” (théorisée par le trotskiste Mandel) semble émerger l’hypothèse d’un super-impérialisme, soit dans la forme “américaine” (Sweezt-Magdoff) soit dans la forme de l’ultra-impérialisme (Levinson).

Il fallait donc amorcer une lutte ouvrière capable de “changer le sens du processus d’unification européenne”. L’unité du prolétariat européen aurait porté le processus de l’unification sur un plan directement politique, en accélérant la création du “pouvoir européen”. Dans cette perspective l’unité européenne était vue comme un moyen pour renforcer la perpective de la révolution en occident.

Le bilan de cette expérience peut être ainsi résumé

  1. on a pensé que la classe ouvrière industrielle demeurait un sujet central dans une société européenne désormais post-industrielle ce qui était clairement une erreur. On comprendra, en vérité, que les processus de décolonisation, décentrage de la production, etc., étaient alors déjà actifs, alors qu’on a estimé que la “grève européenne” aurait permis de récupérer (en terme de pouvoir) le terrain perdu sur le plan national. Le problème c’est que la “grève européenne” n’a pas existé, à l’exception de quelques épisodes (cas Michelin). Les divisions nationales, contractuelles, etc. -c’est-à-dire politiques- eurent le dessus sur la tendance exprimée par la dynamique de classe. Encore une fois, la vieille thèse “fédéraliste” selon laquelle, à brève échéance, c’est la superstructure qui l’emporte, c’est-à-dire l’Etat (national), qui emprisonne, freine et canalise les mouvements sociaux selon les structures politiques existantes, l’avait emporté ; et que c’est donc ce goulot d’étranglement qui doit sauter en premier ;
  2. en l’absence de formes de “grève européenne”, la classe ouvrière ne put pas entrer dans le processus d’unification européenne en tant que protagoniste capable d’imprimer un sens différent au processus lui-même. Et cette intervention manquée (de la classe ouvrière) dans la politique européenne, amena un ralentissement du processus (de l’intégration européenne) lui-même. Malgré la conquète de l’élection directe du Parlement européen, les années 70 et 80 ont été des années de stagnation du processus de transfert réel de souverainété des Etats vers l’Europe.

En conclusion, on peut écrire, que la revue fut un bon prophète en nourrissant peu d’espoir dans le “capital européen”, qui s’est révélé peu autonome vis-à-vis du capital américain, tandis qu’au contraire, l’espoir placé dans une “classe ouvrière européenne” s’est révélé seulement un généreux augure.

Plus de trente ans après cette expérience, le processus d’unification politique de l’Europe n’est pas encore parvenu à son terme. En conséquence nous ne savons pas si l’Europe naîtra par motu proprio de la classe politique ou bien par la poussée décisive d’une quelconque force sociale.
Par conséquent, la question sur laquelle était née en substance la revue Lotta di classe e integrazione europea, “qui guiderait le processus d”émancipation à l’égard de l’impérialisme américain”, demeure aujourd’hui sans réponse.

P.-S.

Antonio LONGO
Ancien Secrétaire général de la GFE Italienne dans les années 1970. L’un des fondateurs du Comité Sciopero Europeo et de la revue Lotta di classe e integrazione europea
Aujourd’hui responsable en Lombardie du MFE

Traduit de l’italien par Jean-Francis BILLION

Notes

[1Grève européenne. (Ndt).

[2Lutte de classe et intégration européenne. (Ndt).