In Memoriam HENRI CARTAN

, par Jean-Pierre Gouzy

Henri Cartan qui présida aux destinées du Mouvement fédéraliste
européen en France une dizaine d’années durant, est mort à Paris le 14
août dernier, à l’âge de 104 ans.

Nous ne pouvons pas ne pas évoquer sa mémoire d’un triple point de
vue. D’abord, il fut un immense mathématicien, ensuite, un défenseur
majeur des droits de l’homme. Enfin, ce « grand honnête homme » était
un authentique militant fédéraliste.

 Un immense mathématicien d’abord. Membre de l’Académie des
sciences, il était l’un des fondateurs et le dernier survivant du
« groupe Nicolas Bourbaki ». Depuis 1950, il a joué un rôle de
premier plan dans les mathématiques mondiales. Il enseigna,
notamment, à l’Ecole normale supérieure de 1940 à 1965, soit un
quart de siècle durant, y animant un séminaire longtemps considéré
comme la référence suprême en matière d’algèbre homologique.
Puis, il présida plusieurs années durant l’Union mathématique
internationale. Considéré par ses pairs comme un savant
exemplaire, il obtint entre autres distinctions, la médaille d’or du
CNRS en 1976.

 Défenseur exemplaire des droits de l’homme, il suscita avec le
français Laurent Schwartz, lors du Congrès international des
mathématiques tenu à Vancouver en 1974, le développement d’un
réseau international particulièrement actif en la matière. Il oeuvra
avec beaucoup de ténacité pour permettre la mise en liberté de ses
pairs, les cas les plus connus étant ceux des savants soviétiques
Chikhanovitch, Chtcharansky, Plioutch.

Dessin de Yves Pagès
illustrant l’article « L’affaire Plioutch »
de Henri Cartan dans Fédéchoses n° 13

A propos de Léonide Plioutch, mathématicien ukrainien parmi les
plus connus dans la communauté scientifique internationale, mon
attention fut attirée sur un article d’Henri Cartan publié dans un de
nos organes d’expression fédéraliste [1]. Il s’élevait contre sa
détention vigoureusement, dénonçant les conditions de son
arrestation (1972), de son jugement (1973) et de son internement
sans limitation de durée, dans des conditions qu’on peut qualifier à
proprement parler d’hallucinantes : celles d’un hôpital psychiatrique
du KGB. Soutenu par un millier d’autres mathématiciens, Henri
Cartan et ses amis parvinrent à faire plier les autorités soviétiques
et obtenir sa remise en liberté.

Quand on a connu Henri Cartan qui était la personnification même
de la simplicité, l’incarnation de la modestie et du sens de la
réserve, toujours infiniment courtois, on mesure à quel point il dut
s’investir dans des réalités pénibles pour venir à bout de
l’injustifiable et de l’injustifié.

 Enfin, raison essentielle de ce bref hommage, ce grand savant et
combattant des droits de l’homme, fut également un « Européen »
de conviction et un fédéraliste engagé comme rarement il m’a été
donné d’en connaître au cours de mon propre périple.
Henri Cartan a, en effet, participé activement à la naissance de
l’Association européenne des enseignants, à l’occasion d’un stage
du Centre international de formation européenne, tenu à La
Brévière, en forêt de Compiègne, au cours des vacances de Pâques
1956, sous l’impulsion d’Alexandre Marc. Premier président de la
section française de l’AEDE, dès l’été qui suivit, il fut également
président du MFE de la région parisienne, assisté dans ses deux
fonctions, par une magnifique militante, aujourd’hui disparue,
Gisèle Bernadou, institutrice retraitée, maire de la ville banlieusarde
de Houilles.

Quand, en 1973, j’ai quitté la présidence de la Commission nationale
française du MFE, après avoir assuré le secrétariat général du
Mouvement depuis sa fondation en 1952, Henri Cartan accepta de
prendre le relais. Il assuma cette tâche, certainement plus ingrate
que celle d’enseigner les mathématiques au plus haut niveau, entre
1974 et 1985 ; il participa scrupuleusement, dans l’exercice de ses
mandats, aux activités de l’UEF internationale à une époque où
Catherina Chizzola pilotait son secrétariat à Bruxelles.

Henri Cartan avait, en outre, une conception « oecuménique » de
son engagement européen, apportant son obole précieuse et
discrète de membre bienfaiteur, ici et là, sans esprit de chapelle.
Voici le souvenir que me laisse Henri Cartan. Pour les plus jeunes,
qui n’ont peut-être même jamais entendu parler de lui jusqu’à ce
jour, il n’est pas inutile qu’ils sachent combien son engagement a
honoré notre mouvement, engagement qui garde toute sa valeur
d’exemple, alors qu’il faut, année après année, savoir affronter de
nouveaux combats et surmonter d’autres obstacles, dans la lumière
de Ventotene.

Notes

[1Henri Cartan, « L’Affaire Plioutch » », Fédéchoses –
Pour le fédéralisme. N° 13, 3ème. année, 1er. trimestre
1976.