Interview de M. George R. M. ANDERSON, Président et Directeur général du FORUM DES FEDERATIONS - Ottawa (Ont.)

, par Michel Morin

Réalisée à Ottawa par Michel MORIN – Lyon

Q. Quelles sont les caractéristiques de vos deux premières années de présidence du Forum des fédérations ?

R. J’ai fait un travail global sur le fédéralisme et je viens de terminer la rédaction d’une « introduction sur le fédéralisme » publiée en octobre 2007. (Cf. ci-dessous).

De plus, le Forum des fédérations a été engagé sur deux créneaux de conseil sur les institutions dans deux pays.

 En Irak tout d’abord, à la demande d’une fondation du Parti démocrate et de l’ONUavec un financement de l’ACLI et du Canada.
 Au Sri Lanka ensuite, pour une intervention prise en charge par la Norvège.

Q. A partir de ces éléments de bilan, comment peut-on qualifier le Forum des fédérations ? Une ONG parmi d’autres ? Une agence paragouvernementale ou intergouvernementale ?

R. La réponse est claire ! Le Forum des fédérations est une ONG internationale appuyée par divers gouvernements dans le monde.

Q. Les publications et les interventions montrent un fort développement du Forum des fédérations. Qu’en est-il exactement ?

R. Il est vrai qu’il y a un fort développement dans l’aide à divers pays comme je l’ai indiqué. Mais il ne s’agit pas de vendre le fédéralisme comme solution a priori. La démarche consiste à introduire les débats sur les nécessités ou pas de la subsidiarité dans les différents pays. A chacun de choisir ensuite.

Nous intervenons pour aider les responsables en charge des affaires pour qu’ils choisissent en fonction de leurs attentes ou de leurs besoins.

Q. A la lecture des publications du Forum des fédérations, il apparaît que le mode d’élaboration et de conception est effectivement collaboratif et coopératif ? Pourquoi de tels choix ?

R. Les choix ont été faits dès la naissance du Forum des fédérations et ils ont été développés à partir des propositions de méthodes de travail helvétiques.

Il ne s’agit pas de mettre les responsables en position d’écoute des intervenants, mais au contraire de débattre sur le fond à partir des témoignages et des pratiques. Il faut établir des ponts entre les experts académiques et les divers praticiens des pouvoirs, fédéraux ou non.

La méthode de travail est une « spirale » vivante qui permet de progresser dans la réflexion et l’élaboration d’une décision.

Q. Vous évoquez l’hétérogénéité des participants aux travaux du Forum des fédérations. Est-il vraiment possible de mêler ainsi les acteurs ?

R. Tout à fait. Le Forum des fédérations joue le rôle d’interface entre les chercheurs qui font des livres et les responsables politiques et les membres des réseaux qui prennent les décisions. Les échos des dialogues entre eux enrichissent les deux groupes et les complémentarités sont fécondes, sans qu’il y ait pour autant de confusions.

Q. Il semble cependant manquer un groupe d’acteurs dans la démarche : les usagers finaux, les citoyens. Sont-ils réintroduits au cœur de la démarche et comment ? S’ils ne sont pas participants, comment sont-ils pris en tant qu’objet des réflexions sur et dans les Etats fédéraux ?

R. C’est une préoccupation centrale actuellement.

C’est vrai qu’ils ne sont pas engagés directement dans le « dialogue global », sauf par l’intermédiaire des praticiens lesquels dépendent des électeurs et ils les représentent donc.

Cela renvoie à la diversité des formes de fédéralisme dans les Etats. Les niveaux et les formes d’implication des citoyens sont très variables et les préoccupations des politiciens exprimées dans certains pays (Népal, Sri Lanka, Inde, Ethiopie) portent sur la cohabitation entre les différentes identités, entre les différents niveaux de citoyenneté dans les Etats fédéraux et sur les rôles que les politiques peuvent jouer dans ces domaines.

La diversité des situations selon les pays est grande et évidente, chacun doit suivre sa voie.

Q. Quelles sont alors les questions sensibles et les situations délicates que l’on rencontre au sein des Etats fédéraux ?

R. Il me semble qu’il y en a trois. Tout d’abord le droit des minorités, ensuite les politiques linguistiques, enfin la question des symboles.

Pour ce dernier cas, on néglige trop souvent leurs impacts dans la construction des identités en général et en particulier dans un contexte d’un ensemble complexe comme un Etat fédéral. C’est ce qui permet de réunir majorité et minorité de façon vivante, comme dans les équipes sportives par exemple.

A l’inverse des tensions fortes peuvent naître dans ces domaines. Ainsi en Inde, le début de construction d’une mosquée sur l’emplacement d’un temple hindou a obligé l’Etat fédéral à intervenir dans la décision pour l’arbitrage.

Q. Le Forum des fédérations a-t-il un regard spécifique sur le cas de l’Union européenne en construction ? En 2005 il semble y avoir eu une réflexion sur cette partie du monde, qu’en est-il maintenant ?

R. Les avis sont très partagés parmi les membres du Forum des fédérations à ce sujet.

Pour ma part, mon avis est plutôt mitigé, mixte. On doit pouvoir identifier des solutions innovatrices dans ce qui se passe en Europe.

Deux interprétations sont développées.

Dans les deux cas, le point de départ est de considérer l’Union européenne comme un système complexe.

 Pour la première, cette complexité est classique. Il s’agit d’une organisation d’un partage des pouvoirs difficile, car il y a des interdépendances nombreuses, ancestrales et complexes. Le besoin de clarification est visible, mais il n’est pas forcément facile à mettre en place. Ainsi par comparaison, le partage des pouvoirs est plus clair au Canada qu’en Allemagne. Il s’agit plus d’un fédéralisme administratif et l’Europe semble être dans ce modèle. Dans ce cas, l’Etat membre développe la mise en œuvre d’objectifs politiques généraux qui ont été décidés au « centre » (l’Union en l’occurrence).
 Pour la seconde, l’Union européenne n’est pas un cas classique.La complexité des données sociales s’accompagne d’une complexité de la gouvernance. Il y a nécessité de créer une nouvelle gouvernance qui réponde en même temps aux pressions démocratiques. La complexité est encore accrue parce qu’aux exigences démocratiques s’ajoute l’obligation de conserver des liens avec des éléments composites qui demeurent puissants, les Etats nationaux.

Q. Est-ce à dire qu’il ne peut pas y avoir d’avis sur la nature fédérale ou non de l’Union européenne actuellement ?

R. Ce n’est pas ainsi que la question se pose.

Le choix fédéral est fait par les Etats eux-mêmes ou non. En particulier pour le fédéralisme interne, mais pas seulement.

Ainsi l’Espagne refuse la dénomination « fédéraliste » qui pourrait s’appliquer et parle de décentralisation ; alors qu’en Inde qui se veut un Etat fédéral, il y a des éléments structurels qui ne sont pas du tout fédéraux. De même il y a des questionnements sur l’Italie. A mon avis il ne faut pas se fixer sur ces questions d’appellation. Il n’y a pas d’Appellation d’origine contrôlée (AOC) du fédéralisme.

Il y a des peurs et des craintes face aux mots dans chaque pays. En général pour des raisons historiques. Ainsi en Indonésie le terme est politiquement incorrect parce que la constitution fédérale a été imposée par le colonisateur, les Pays bas, et elle a été rejetée pour cela.

Le cas de l’Union européenne est et sera différent puisqu’il s’agit d’une nouvelle union d’Etats.

Federalism : An Introduction (en anglais)
Une note de lecture de Michel Morin sur cet ouvrage de M. ANDERSON, sera publiée dans le prochain Fédéchoses.
http://www.forumfed.org/en/federali...

P.-S.

George R. M. ANDERSON est Président et Directeur général du Forum des fédérations depuis 2005. Il a œuvré au sein de la fonction publique fédérale du Canada pendant plus de trente ans. Sous-ministre des Ressources naturelles Canada (2002-2005), après avoir été Sous-ministre des Affaires intergouvernementales, Bureau du Conseil privé (1996-2005). Il a également occupé des postes de Sous-ministre adjoint au sein des ministères de l’énergie, des finances et des affaires étrangères.

Diplômé de l’Université de Queen’s, de l’Université d’Oxford, de l’École nationale d’administration à Paris, il a été boursier au Center for International Affairs de l’Université d’Harvard de 1992 à 1993.

Auteur du livre Federalism : An Introduction (éd. Oxford University Press - 2008) il est membre du conseil de l’Université Queen’s à Kingston, Ontario.

(Extrait du site du Forum des fédérations)