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L’Euro, une victoire pour les fédéralistes, 22 ans après nos premières initiatives

EDITORIAL du N° 100 - 2° trimestre 1998

Après la décision prise par le Conseil européen de Bruxelles du 2
mai (1998) et son approbation par le Parlement européen, de
nombreux protagonistes de la politique et de la finance ont
revendiqué la responsabilité première de la monnaie européenne.
Dans les plus grands quotidiens européens ont été publiées des
interviews des chefs d’Etat et de gouvernement, de leaders
politiques et de fonctionnaires de renom. Certains d’entre eux ont
rappelé les premiers épisodes et les premières tentatives, à la fin
des années 70, qui ont amené à la création du Système monétaire
européen (SME). Mais aucun, absolument aucun, n’a rappelé
qu’aux origines de ce débat, il y avait le Mouvement fédéraliste
européen (MFE), l’une des deux grandes organisations dont le
regroupement a permis, dans les années qui suivirent, de rebâtir
l’UEF.

Et pourtant, c’est bien ainsi que les choses se sont passées. En
décembre 1975, sous la pression d’une grande manifestation de
rue, organisée à Rome par les fédéralistes, le Sommet européen
décidait d’organiser les premières élections européennes au
suffrage universel direct en 1978. Elles furent, par la suite,
repoussées d’un an. Cette décision venait clôturer une phase
importante de la lutte fédéraliste. La campagne pour l’élection
directe du Parlement européen avait en effet débuté en 1966.
Maintenant que le but était atteint, il s’agissait d’une avancée
significative vers la Fédération européenne, mais la lutte n’était pas
achevée. Il n’avait été possible d’obtenir les élections directes que
parce que les gouvernements cherchaient par tous les moyens à
porter remède aux graves désordres dans lesquels se perdait le
projet du Marché commun. A cause de la crise du dollar, des
fluctuations monétaires et de la crise pétrolière, l’unité économique
réalisée durant les années de stabilité et de prospérité était
gravement compromise. Le nationalisme économique représentait
une réelle menace. L’élection européenne était nécessaire, mais ce
n’était certainement pas elle qui relancerait à elle seule l’économie.
L’un des points forts de la théorie fédéraliste est l’affirmation que la
monnaie est l’une des compétences essentielles d’un
gouvernement fédéral. Bien connu des fédéralistes de la
Résistance, en particulier italiens, l’enseignement de Lionel
Robbins, l’un des fédéralistes anglais de l’entre-deux guerres, est
resté ignoré de la culture politique et économique nationale. Face à
la grande dépression des années 30, Robbins avait conclu
courageusement qu’un ordre économique international est
impossible sans une monnaie supranationale et sans un
gouvernement fédéral. Pour Robbins, la cause du nationalisme
économique, c’était la souveraineté absolue. Mais il n’était
absolument pas évident qu’il soit possible, dans l’Europe des
années 70, de mener avec succès une lutte pour la monnaie
européenne comme partie intégrante d’un projet constituant. C’est
le mérite de Mario Albertini, d’avoir alors défini le « gradualisme
constitutionnel » et d’avoir assis la nouvelle phase de l’action
fédéraliste sur des bases conceptuelles solides qui sont encore à
l’ordre du jour.

En 1976, Albertini écrivait en effet que la monnaie européenne est
un aspect essentiel du gouvernement européen et que, en faisant
levier sur le lien entre l’élection européenne et la monnaie
européenne, l’on pourrait arriver jusqu’à la fédération.
La campagne pour la monnaie européenne a commencé à
l’automne 1976 et s’est articulée autour d’actions de rue et en une
série de débats et de colloques internationaux importants qui ont culminé à Rome en juillet 1977 lors d’un colloque organisé en
coopération avec le Mouvement européen Grâce également à la
participation de Pierre Werner, l’auteur du projet d’union monétaire
de 1971 qui avait échoué, le colloque de Rome eut une large
résonance dans la presse et la classe politique européenne. Mais
son impact décisif se vérifia dans son influence sur les initiatives
de la Communauté européenne.

En octobre 1977, Roy Jenkins, alors Président de la Commission,
fit à Florence un important discours sur la nécessité de relancer le
processus de l’Union économique et monétaire. La suite est
connue. Il faut seulement rappeler qu’à chaque date cruciale,
lorsque l’Union monétaire a été en jeu, les fédéralistes ont été là
pour soutenir la monnaie européenne.

Ces épisodes peuvent apporter des enseignements pour l’avenir à
ceux, les jeunes en particulier, qui n’ont rejoint la lutte fédéraliste
que ces dernières années. Il ne faut pas confondre l’histoire et la
chronique journalistique. Au récent Conseil européen de Bruxelles
du 2 mai, l’attention des mass-media s’est concentrée sur le litige
franco-allemand pour la présidence de la Banque centrale
européenne. Il ne faut pas le négliger, car il est l’illustration du
grave déficit démocratique de l’Union européenne. Ceux qui savent
dépasser le seul stade de la chronique journalistique, doivent
dénoncer le danger que fait courir aux institutions européennes le
concept gaulliste de l’Europe des Etats, défendu par Jacques
Chirac et demander la création d’un véritable gouvernement
fédéral. Mais la substance de ce qui se jouait à Bruxelles était toute
autre. C’était la fondation de l’Union monétaire et c’est ce que
retiendront les générations futures.

Bien évidemment la tâche des fédéralistes ne s’est pas achevée
avec l’euro. Nous devons la poursuivre.

La monnaie européenne est seulement une étape qui rend possible
d’atteindre notre objectif final à condition de ne pas relâcher notre
pression. La monnaie européenne reste un projet fragile et le
restera tant que le gouvernement fédéral n’existera pas. La lutte
des fédéralistes devient chaque jour plus difficile au fur et à
mesure que l’objectif se rapproche car nos adversaires, c’est à dire
les défenseurs de la souveraineté nationale (de la majeure partie
du Parti communiste, malgré de timides évolutions, au Mouvement
des citoyens de Chevènement, en passant par les fascistes du
Front National, le Mouvement pour la France de De Villiers et les
paléo-gaullistes réunis avec Pasqua), se battent avec un
acharnement croissant.

Une période révolutionnaire vient ainsi de s’ouvrir qui verra
l’affrontement final entre les tenants et les opposants du projet
fédéraliste de la démocratie internationale. La victoire comme la
défaite sont possibles.

Nous devons faire preuve de volonté et de détermination, mais cela
ne peut suffire, car la bataille pour la Fédération européenne est
différente des entreprises révolutionnaires du passé. Nous devons
avoir conscience que les fédéralistes, au moment du succès, ne
seront pas sous les feux de la rampe de l’actualité, ni à la une des
quotidiens. Tel est le prix que doivent payer ceux qui veulent être
les artisans actifs du cours supranational de l’histoire.
Jean Monnet, se penchant sur son action, constatait en substance
que la concurrence était vive autour du pouvoir, mais quasiment
nulle dans le domaine où il avait choisi d’agir, celui de la
préparation de l’avenir qui, par définition, n’est pas sous les
projecteurs de l’actualité.

Telle est la tâche des fédéralistes, préparer l’avenir.

EURO-GAG
Dessinde Yves Pages - Fédéchoses n°9 - 1975

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