L’idée fédéraliste et l’unité européenne dans la résistance française

Walter Lipgens, historien et membre de Europa Union, section allemande de l’UEF, décédé il y a quelques années, est l’un de ceux qui ont le plus mis en exergue les écrits et les prises de position fédéralistes de la résistance, en France et dans les autres pays occupés, tout comme en Allemagne ou en Italie, et enfin celles des exilés en particulier en Angleterre ou dans les deux Amériques.
Dans le dernier numéro de Fédéchoses nous avons publié une analyse sur les jeunes résistants allemands de la Rose blanche suite à une exposition organisée à leur mémoire par le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation.

Ce qui est tout aussi méconnu c’est l’importance de la composante fédéraliste, ou des prises de position pour l’unité européenne, en France, mais aussi tout particulièrement dans la région lyonnaise, durant la résistance et dans l’immédiat après-guerre.
D’après Lipgens, l’élaboration et la diffusion systématique de la conception fédéraliste européenne a commencé simultanément en France en 1942 au sein de trois groupes isolés.

 Le premier groupe, à Lyon et autour de Henri Frenay, qui animera pendant de nombreuses années le secrétariat général de l’UEF, va donner naissance au journal Combat. Dès le premier numéro de Combat, en novembre 1941, Frenay précise que la croisade européenne contre le nazisme doit être « celle de la vérité contre le mensonge, du bien contre le mal, de la foi chrétienne contre le paganisme, de la liberté contre l’esclavage ». En 1942, dans le programme de Combat, rédigé entre autres avec Claude Bourdet, il note que « l’histoire enseigne l’élargissement constant des frontières et que les Etats-Unis d ’Europe, une étape vers les Etats-Unis du monde, seront prochainement la réalité vivante pour laquelle combat la résistance » avant d’affirmer, en 1943, que « la résistance européenne est le lien pour les unions de demain ».

 Le second groupe, qui annonce, dès juillet 1942, la fédération des peuples européens comme point central du programme de la résistance, c’est Libérer et fédérer, qui éditera un journal du même nom et sera principalement actif dans la région de Toulouse. Il est dirigé par un exilé italien antifasciste, Silvio Trentin, et comprend d’autres responsables importants comme Vincent Auriol, Jean Cassou, Jean Rous, Gilbert Zaksas ou Joseph Voyant, deux futurs parlementaires, et Alexandre Marc, longtemps encore responsable de l’UEF et engagé jusqu’à sa mort au sein du Centre international de formation européenne (CIFE) qu’il a fondé. Dans son premier numéro (juillet 1942), Libérer et fédérer, qui va en 1944 fusionner avec le mouvement lyonnais L’insurgé, écrit que « le gouvernement révolutionnaire devra(it) préparer, en collaboration avec le gouvernement des autres pays libérés du fascisme et du nazisme, les bases d’une fédération européenne fondée sur la liberté, la paix et la prospérité ».

 Durant l’été 1942, enfin, nous rappelle Walter Lipgens, un texte de Léon Blum « A l’échelle humaine », commencé en 1941 et achevé de rédiger en février 1942, parvient de la prison de Vichy à Riom d’où, diffusé clandestinement il influence les militants socialistes et les engage « dans la diffusion de la conception fédéraliste de l’Europe de la résistance ». Ces conceptions seront reprises par le programme socialiste de juillet 1943 qui spécifie que « les fédérations (continentales ou régionales) qui se lieront dans les Etats-Unis du monde devront être nées d’une libre décision ».

D’autres groupes ou périodiques de la résistance auront l’occasion d’adopter ou de diffuser des thèses fédéralistes, européennes ou mondiales, tels que Franc-Tireur, Libération-Sud, Libération-Nord, Résistance, Défense de la France, La Marseillaise, les Cahiers du Témoignage chrétien... parmi d’autres.

Mais c’est à Lyon encore que sera créé le Comité français pour la fédération européenne (CFFE) qui, suite à la Déclaration des résistances européennes de Genève, de juillet 1944, sera en contact suivi avec le Movimento federalista europeo italien, créé à Milan dans la clandestinité en août 1943, influencera le programme international du Mouvement de libération nationale et organisera les rencontres fédéralistes de Paris de 1945 qui vont aboutir quelques mois plus tard à la création de l’UEF.

Dans son livre (cité en bibliographie) Edmondo Paolini, signale que le CFFE s’est organisé début juin 1944 à l’initiative de Franc Tireur. A ce sujet, Altiero Spinelli a pu écrire dans son autobiographie que « à la veille des débarquements en Normandie et en Provence, quelques résistants, ayant eu connaissance de notre travail à Genève, avaient constitué à Lyon le Comité français pour la fédération européenne... Les parties principales de leur Déclaration étaient traduites quasi littéralement des Thèses de Ventotene, déjà adoptées par le MFE à Milan. Le Mouvement de libération national de Lyon avait inscrit dans son projet de programme la Déclaration de Genève. Spinelli en avait été informé par une lettre de Jean-Marie Soutou, représentant de la France libre en Suisse, qui lui avait écrit en septembre que « au cours d’un voyage d’information en France, nous avons eu la surprise de lire sur les murs des villes de Annecy, Chambéry, Grenoble et Lyon d’immenses affiches du Mouvement de libération nationale ». Soutou concluait sa lettre à Spinelli : « la lecture de ce texte vous aura montré que, si notre projet de déclaration n’a pas encore été ratifié par le Mouvement de Résistance Français il a eu au moins dans l’un des plus important d’entre eux une heureuse influence ».

Fin décembre 1944, le Comité d’organisation provisoire du CFFE, composé de Jacques Baumel (aujourd’hui et depuis des années député RPR), André Malraux, André Ferrat, responsable du journal Lyon libre, ancien membre du Parti communiste et responsable de la revue marxiste oppositionnelle Que Faire ?, que Spinelli avait clandestinement rencontré à Lyon et Pascal Pia, convoquera la conférence fédéraliste de Paris de mars 1945. Elle va déboucher sur la mise en place d’un Comité international pour la fédération européenne, ancêtre de l’UEF ; ce groupe éditera les Cahiers de la Fédération européenne et va lancer un appel « à tous les partis, mouvements et groupes qui ont lutté pour la liberté de leurs pays ».

L’appel du CIFE, dont le premier secrétariat était composé d’Albert Camus ; de Jacques Baumel, André Ferrat, Gilbert Zaksas, Robert Verdier, Maurice Guerin, John Hynd, Altiero Spinelli et Willy Eichler se concluait : « vive la fédération européenne, seul moyen de maintenir les libertés défendues pendant cette guerre, élément de paix dans le cadre de l’organisation mondiale de sécurité, et premier pas vers la fédération de tous les peuples de la terre ».