Les fédéralistes après l’élargissement de l’Union européenne

, par Guido Montani

Traduit de l’italien par Jean-Luc Prevel

Le Conseil européen de Bruxelles (21 au 23 juin 2007) a
décidé d’effacer de l’horizon politique la perspective
d’une constitution européenne en retournant à la
méthode « classique » des traités internationaux et des
conférences intergouvernementales. Il s’agit d’une
décision qui va dans une direction opposée à celle que
revendiquent les fédéralistes. Nous devons donc
reconsidérer à fond notre stratégie et notre rôle dans une
Europe qui a profondément changée depuis l’après-guerre
et les premières luttes pour la fondation de la
Fédération européenne. La campagne pour une
constitution fédérale européenne, initiée par l’U.E.F. et
la JEF en 1996, était fondée sur la possibilité d’exploiter
la crise de l’Union européenne (UE) engendrée par la
chute du mur de Berlin, par l’unification allemande et la
fin de la guerre froide. L’UE était confrontée à des défis
internationaux existentiels tels que l’élargissement, la
paix en Méditerranée, la mondialisation et la menace
d’une catastrophe écologique. Le cadre institutionnel
conçu pour une Europe à six devait être profondément
réformé. Après les deux premières tentatives
constitutionnelles d’Altiero Spinelli, avec la
Communauté européenne de défense (CED) puis avec le
Parlement européen élu, en 1984, une nouvelle
opportunité se présentait. Les fédéralistes ont relevé le
défi de donner une Constitution à l’Europe.

Le Conseil européen de Bruxelles, à condition que les
ratifications nationales du nouveau Traité aillent à leur
terme, se propose de conclure un long cycle politique.
Les gouvernements nationaux et les partis européens ont
salué le compromis obtenu à Bruxelles comme un
succès important. Sur la base de ce compromis, la
France, après le non au référendum sur la Constitution
européenne, peut reprendre toute sa place dans le cadre
européen et le nouveau Traité garantira un minimum
d’innovations institutionnelles (la double majorité,
l’extension des pouvoirs de co-décision du Parlement
européen, la réforme de la Commission, la désignation
de son Président par les partis européens, la Présidence
stable du Conseil, le Haut représentant de la politique
extérieure en tant que vice-président de la Commission, les coopérations renforcées, le caractère obligatoire de la
Charte des droits fondamentaux) qui permettront la
gouvernance de l’UE élargie tant qu’une quelconque
nouvelle impasse ou qu’une crise internationale ne se
manifestera pas. Toutefois le projet d’une constitution
fédérale a été un échec.

Un événement historique a des racines profondes qui ne
se repèrent qu’avec des analyses sur une longue durée.
Les contemporains fixent souvent leur attention sur les
causes contingentes en ignorant les tendances
historiques structurelles. L’échec de la CED a été causé,
entre autre, par le déchaînement nationaliste de la
France. Toutefois si l’on considère cette vicissitude d’un
point de vue plus général, on peut affirmer que la
consolidation du cadre mondial bipolaire avait permis
aux Etats-Unis de jeter les bases de l’OTAN, dans la
cadre de laquelle le réarmement allemand pouvait être
conçu sans créer une nouvelle menace pour les autres
pays européens, comme la France le craignait au départ.

L’échec de la CED correspond au renforcement de l’Etat
national, mais dans le contexte de l’intégration
européenne, relancé tout de suite par le Marché
commun. Des considérations analogues valent pour le
projet d’Union européenne, approuvé par le Parlement
européen à l’initiative de Spinelli en 1984. Malgré
l’accord de la France, de l’Allemagne et de l’Italie, il fut
abandonné en raison de l’opposition de la Grande
Bretagne. L’union monétaire et l’union politique ne
représentent pas encore un problème pour la survie de
l’Europe (elles ne le deviendront qu’après l’unification
allemande). Dans ce cas, la réticence de Kohl et de
Mitterrand à aller de l’avant sans la Grande Bretagne a
été décisive. L’entrée de la Grande Bretagne dans l’UE —
cheval de Troie des Etats-Unis, selon De Gaulle — a
représenté le frein majeur à l’intégration européenne
durant les quarante dernières années. En effet, si l’on
considère les événements les plus récents, relatifs au
projet de Constitution européenne, on peut constater
que, malgré la différence de la situation par rapport aux
années quatre-vingt, y compris le non franco-hollandais,
à Bruxelles, les 18 pays qui avaient déjà ratifié la
Constitution n’ont pas eu la possibilité de former un
groupe d’avant-garde et d’aller de l’avant seuls, parce
que l’Europe ne peut pas se faire sans la France et parce
que Sarkozy et Merkel n’ont pas voulu rompre avec le
Royaume uni. Toutefois, une solution qui pourrait
permettre la construction d’une Europe à cercles
concentriques s’est esquissée. Les exceptions aux
politiques européennes accumulées par le Royaume uni
(la monnaie européenne, Schengen, la Charte des droits,
etc.) font qu’il s’est déjà créé, de fait, une Europe à deux
vitesses et même à trois, si l’on considère la possibilité,
avec le nouveau Traité, de développer des coopérations
renforcées.

L’échec de la CED a eu comme retombée le Marché
commun et l’Euratom. L’échec du projet Spinelli a eu
comme retombée l’Acte unique, le marché intérieur et
l’union monétaire européenne. La retombée immédiate
du projet de Constitution européenne, c’est le nouveau
Traité ou Traité modificatif. Il représente la solution
d’une impasse politique (l’exclusion de la France) et la
création d’institutions européennes plus efficaces.

Toutefois, il est difficile de prévoir ses retombées à long
terme. Pour l’instant, nous devons constater qu’il est
apparu comme une « contre réforme » par rapport au
projet de Constitution européenne. Les gouvernements
les plus eurosceptiques sont arrivés à imposer leur point
de vue sur la nature de l’UE : celle-ci n’est pas un Etat
supranational et elle ne doit pas évoluer dans cette
direction. Le renversement de cette tendance sera
possible si l’on exploite certaines niches du nouveau
Traité vers la supranationalité, pour encourager les
forces qui ont l’intention de soutenir une intégration
européenne plus forte jusqu’à ce qu’une contradiction
criante se manifeste entre le degré de gouvernance
existant et celui qui serait nécessaire. Il semblerait que,
dans le Traité, deux niches pourraient favoriser la
formation d’un gouvernement fédéral européen :
 la nomination du Président de la Commission
au cours de la campagne électorale, pour faire
passer la Commission d’un simple secrétariat
des gouvernements à un exécutif politique
responsable devant le Parlement européen et les
électeurs ;
 les coopérations structurées et renforcées qui
peuvent permettre à un groupe de pays de
former une avant-garde qui pourra agir avec
une certaine efficacité tant que le droit de veto
ne deviendra pas un obstacle à son action.
Cette perspective de réforme pourra toutefois
évoluer plus ou moins rapidement vers une
forme fédérale de gouvernement -une
fédération dans une confédération car il y aura
certainement un groupe de pays qui n’aura pas
l’intention de renoncer au droit de veto - selon
le contexte politique mondial auquel l’Europe
devra se confronter.

Un gouvernement fédéral européen émergera comme
riposte à des défis existentiels pour l’Union.

Après l’effondrement de l’Union soviétique, plusieurs
commentateurs politiques ont soutenu que le XXI°
siècle aussi serait dominé par les Etats-Unis. Au
contraire, la politique mondiale est aujourd’hui
caractérisée par un ordre unipolaire en crise – toujours
plus contesté après l’échec de la politique américaine au
Moyen Orient -et par sa transition vers une forme
nouvelle de multipolarisme. Les grandes questions
auxquelles l’Europe et les autres puissances mondiales
doivent s’affronter sont :
 l’élimination progressive des principaux foyers
régionaux de tensions -en premier lieu au
Moyen Orient pour permettre l’avènement
d’une coopération pacifique dans une région
qui représente un creuset de cultures et de
religions différentes, la défaite du terrorisme
international et, à une plus grande échelle, le
désarmement atomique contrôlé par une
autorité mondiale ;
 la diffusion mondiale du modèle industriel,
cruciale pour le développement de pays comme
l’Inde et la Chine et de continents entiers tels
que l’Afrique et l’Amérique latine, mais source
de graves déséquilibres sociaux, financiers, démographiques, environnementaux et
culturels qui pourraient créer de graves crises
internationales ;
 la menace d’une crise écologique irréversible,
provoquée par la destruction systématique de
toute forme de vie dans la biosphère, avec des
conséquences catastrophiques pour l’avenir de
l’humanité.

Un multipolarisme mondial est ainsi en train d’émerger,
caractérisé par une tendance à la coopération pacifique
entre les grandes puissances, plutôt que par de possibles
tendances hégémoniques : les menaces d’une guerre
nucléaire, d’une crise économique internationale aiguë
ou d’une catastrophe écologique irréversible
représentent des facteurs puissants de cohésion pour
chaque Etat, qu’il soit gouverné démocratiquement ou
pas.

L’UE n’est pas restée passive face à ces défis. Elle a mis
en place des politiques qui représentent une première
réponse. Elles sont cependant, dans une large mesure,
insuffisantes. L’UE est une puissance mondiale dans le
domaine commercial, monétaire et environnemental
mais elle ne l’est pas encore sur le terrain de la politique
extérieure et de sécurité et du développement durable,
parce qu’elle ne s’est pas encore dotée de moyens
adéquats de gouvernement.

S’ils veulent agir efficacement dans le cadre politique
européen et mondial, les fédéralistes doivent d’abord
analyser quel est le stade actuel de l’intégration
européenne et de quels moyens de gouvernement l’UE
devrait se doter pour affronter les défis internationaux.
A ce propos, une comparaison avec la naissance des
Etats-Unis peut être utile. Après la guerre victorieuse
pour l’indépendance, les treize colonies ont réussi à se
doter d’une constitution fédérale. Le premier
gouvernement fédéral, avec Georges Washington
comme président, fut institué en 1789 et Alexander
Hamilton, membre du gouvernement fit approuver des
réformes cruciales (une banque nationale et un plan pour
favoriser l’industrialisation, grâce au protectionnisme
douanier) qui ne deviendront les points de repère de la
politique américaine que vers la fin du siècle suivant et
aux débuts du vingtième siècle. Le processus
d’intégration européenne se présente avec des
caractéristiques tout à fait différentes : à partir d’un
premier noyau de pouvoirs et de politiques
supranationales -ceux de la Communauté européenne du
charbon et de l’acier (CECA)- d’autres compétences et
d’autres pouvoirs se sont progressivement ajoutés dans
des secteurs toujours plus importants de l’économie, de
la société et de la politique. L’UE actuelle a des
compétences beaucoup plus vastes et des institutions à
caractère fédéral avec des pouvoirs effectifs comme la
Commission européenne, le Parlement européen, la
Cour de justice et la Banque centrale européenne. Bien
que des secteurs cruciaux -comme la politique étrangère
et la politique fiscale- restent encore exclus, on ne peut
plus soutenir que les fédéralistes sont face à l’objectif
consistant à fonder l’Etat fédéral européen.

Imperceptiblement, de réforme en réforme, nous
sommes entrés dans une situation nouvelle qui consiste à
revendiquer un gouvernement démocratique européen.
Aujourd’hui, l’exécutif européen existe en partie,
comme secrétariat du Conseil (quand la Commission est
passive -comme l’actuelle Commission Barroso- face
aux initiatives du Conseil) et en partie comme volonté
active d’action (comme ce fut le cas avec Jacques
Delors) quand elle soutient des projets d’intégration plus
avancés. Mais les citoyens ne sauraient pas dire qui est
responsable des politiques de l’UE. La nature incertaine
de l’exécutif fait obstacle au débat démocratique et
empêche une reconnaissance claire de l’UE comme
embryon d’Etat fédéral. En effet, le Parlement la définit
comme une « démocratie supranationale ». Pourtant, la
partie confédérale de l’UE, celle qui prétend gouverner
la politique extérieure et de sécurité, ne pourrait pas
exister sans le bon fonctionnement de la partie fédérale
où le Parlement européen joue un rôle décisif sur le
terrain législatif et pour le contrôle démocratique de la
Commission.

L’objectif des fédéralistes doit consister à dire la vérité
sur la nature étatique de l’UE et à faire toujours
davantage pencher la balance du pouvoir vers un
exécutif démocratiquement responsable. Cet objectif
peut être poursuivi en exploitant les niches actuelles du
Traité, en montrant les contradictions qui existent entre
les moyens disponibles et ce qui serait nécessaire pour
dépasser le déficit démocratique jusqu’à ce qu’il
devienne manifeste qu’une Constitution fédérale
européenne est nécessaire pour les pays de l’avantgarde.

Toutefois, pour réussir dans cette entreprise, les
fédéralistes doivent aussi comprendre le modèle d’Etat
fédéral qui est en train d’émerger en Europe après plus
d’un demi-siècle d’intégration. Un Etat fédéral consiste
en un ensemble de gouvernements indépendants et
coordonnés. Sous cet aspect, bien qu’avec de graves
limitations sur le plan démocratique, les pouvoirs
conférés à l’UE permettent d’affirmer que l’Etat en train
de prendre forme en Europe est de type fédéral. Mais,
pour mener une action politique efficace, cette
affirmation générique n’est pas suffisante. L’UE est en
train de se développer sur la base de caractéristiques
spécifiques par rapport à toutes les fédérations
existantes. L’aspect qui mérite le plus l’attention des
fédéralistes concerne les rapports internationaux. Le
dernier obstacle sérieux qui doit être dépassé pour
permettre à l’UE de parler d’une seule voix dans le
monde réside dans les pouvoirs de politique extérieure
qui doivent être confiés au gouvernement de l’UE. C’est
ici que se manifeste le maximum de résistance de la part
des gouvernements nationaux ce que les avatars de la
Constitution européenne et du Ministre des Affaires
étrangères montrent bien. Cette résistance est
compréhensible. Une politique extérieure européenne
représente le dépassement du paradigme
internationaliste qui remonte au Traité de Westphalie.

réforme européenne réalisée jusqu’à présent (y compris
la monnaie européenne). Malgré cela, l’UE est arrivée à
construire progressivement une politique extérieure
propre avec des caractéristique innovantes par rapport
aux Etats fédéraux existants. Tous les Etats fédéraux
existants (les Etats-Unis, le Canada, la Suisse,
l’Allemagne, l’Inde, l’Australie, etc.) se considèrent
comme des Etats nationaux. Leur spécificité, c’est qu’ils
sont « fermés » : qu’ils possèdent des frontières définies,
qu’ils fondent sur le principe national l’identité de leurs
citoyens et qu’ils font valoir leurs intérêts dans le monde
au moyen de la force militaire, si nécessaire, en
opposition aux autres Etats nationaux. L’Europe est en
train de se construire sur la base d’un modèle d’Etat
fédéral « ouvert ». L’union des nations européennes ne
se traduira jamais par une super-nation européenne. La
dispute sur les frontières de l’UE est significative. La
discussion sur l’appartenance de la Turquie, de
l’Ukraine, etc., à l’Europe est destinée à s’éterniser et ne
pourra être résolue sur la base d’aucun critère
géographique ou historique précis. La seule identité
politique possible pour les citoyens européens, c’est le
patriotisme constitutionnel. Le Peuple européen est un
peuple plurinational. En outre, l’UE tend à réguler ses
rapports avec les autres Etats ou groupes d’Etats
(comme l’Union africaine), sur la base d’institutions
stables et à tendance démocratique. L’Assemblée
parlementaire euro-africaine et le Parlement de la
Méditerranée sont des institutions innovantes créées par
l’UE. Le principe de la supranationalité sur lequel se
fonde l’UE, inspire aussi sa politique extérieure. C’est
pourquoi, une Constitution européenne aurait aussi
permis de faire accomplir un saut qualitatif à la politique
de l’Europe dans le monde.

La lutte pour un gouvernement fédéral européen
présente donc un double aspect. D’un côté, il s’agit de
réformer le système actuel confus de gouvernance
européenne en dotant l’UE d’un véritable gouvernement
démocratique, responsable devant le Parlement européen
et les électeurs. De l’autre, il s’agit de promouvoir, à
travers la politique extérieure de l’UE, la construction
d’un nouvel ordre mondial, fondé sur la démocratie
internationale, la paix, le développement durable et la
défense de la vie sur la planète. Dans la mesure où l’UE
assumera des responsabilités mondiales, son caractère
d’Etat fédéral ouvert lui permettra d’agir aussi comme
un embryon de gouvernement mondial en promouvant
de nouvelles institutions supranationales. Si nous
considérons le problème de la défense de
l’environnement, il présente de multiples aspects, parmi
lesquels celui de l’approvisionnement énergétique et de
la lutte contre le changement climatique. Le problème
de l’approvisionnement énergétique est particulièrement
grave pour l’UE qui est quasiment privée de toute
source d’énergie propre. Dans la mesure où il s’agit de
défendre les intérêts européens, celui-là retombe dans le
domaine de la politique extérieure puisque tout centre de
pouvoir mondial essaiera, au moyen du marché ou
d’autres formes de pression, de garantir la satisfaction
de ses propres besoins. Il est donc évident que, si l’UE a
l’intention d’exploiter pleinement son pouvoir, il faut
garantir à la Commission européenne le monopole sur
les approvisionnements extérieurs, comme c’est déjà le
cas pour le marché des marchandises où la Commission
représente les 27 pays membres au sein de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si
chaque pays européen passe individuellement des
contrats avec des fournisseurs tels que la Russie où les
pays de l’Organisation des pays producteurs de pétrole
(OPEP), il aura un pouvoir contractuel moindre. Dans
ce cas, il appartient à l’UE d’agir comme un Etat fédéral
fermé. Toutefois, pour ce qui concerne le changement
climatique, l’UE a montré qu’elle agissait comme un
Etat fédéral ouvert. La lutte contre le réchauffement de
la planète ne concerne pas seulement l’Europe mais le
monde entier, même si l’Europe a aussi défendu les
Accords de Kyoto pour répondre à une demande des
citoyens européens. Il en résulte donc une politique à
caractère mondial. Le marché des permis négociables
(de polluer) doit être considéré comme une institution
supranationale de gouvernement du système industriel
mondial (même si les pays extra-européens ne peuvent
pas être contraints par un pouvoir supranational à
respecter les quotas pour lesquels ils se sont engagés
mais ils y sont contraints par la menace d’une crise qui
pourrait les ébranler). L’UE a pu l’instituer facilement
grâce aux compétences que lui avait déjà confié les
Traités de Rome. C’est ce qui permet que des pays (ou
des régions) non européens tels que la Russie, la
Californie, etc., puissent participer au marché des permis
négociables.

Des considérations analogues pourraient se reproduire
pour la politique extérieure et de sécurité. L’UE a réalisé
les conditions d’une vie en commun pacifique entre ses
peuples nationaux. Elle peut maintenant promouvoir la
paix dans le monde. C’est dans cet objectif que la
création d’une force d’intervention rapide est
indispensable pour agir efficacement dans les zones de
crise comme le Moyen Orient. Dans d’autres cas, il
conviendrait que l’UE soit le promoteur de politiques au
niveau mondial en mettant sa force d’intervention rapide
à la disposition de l’ONU, ou en défendant une politique
de désarmement nucléaire généralisé et contrôlé.
En conclusion, le monde a besoin d’une Europe fédérale
et l’Europe a besoin d’un gouvernement et d’une
constitution. Le nouveau Traité offre aux fédéralistes
des niches pour contraindre les forces politiques à
s’engager dans la construction d’un gouvernement
fédéral européen. Cependant, le Traité ne permettra pas
de dépasser les goulots d’étranglement liés au droit de
veto. C’est pourquoi la construction d’une fédération au
sein de la confédération deviendra peu ou prou
nécessaire et inévitable. La Constitution doit être faite
avec ceux qui le veulent. La bataille pour une
constitution et un gouvernement fédéral européen
permettra aux fédéralistes de revendiquer un nouvel
ordre mondial, fondé sur le dépassement progressif de la
souveraineté nationale. C’est sur le front de la création
d’un gouvernement européen, en tant qu’embryon de
gouvernement mondial que les fédéralistes pourront
montrer avec le plus de force et de clarté les contenus
révolutionnaires du projet fédéraliste pour l’Europe et
pour le monde.

Les rapports entre les Etats et les organisations
internationales existantes sont fondés sur la
reconnaissance de la souveraineté nationale. La
construction d’une politique extérieure européenne
s’oppose inévitablement au tabou de la souveraineté
nationale bien plus explicitement que toute autre réforme européenne réalisée jusqu’à présent (y compris
la monnaie européenne). Malgré cela, l’UE est arrivée à
construire progressivement une politique extérieure
propre avec des caractéristique innovantes par rapport
aux Etats fédéraux existants. Tous les Etats fédéraux
existants (les Etats-Unis, le Canada, la Suisse,
l’Allemagne, l’Inde, l’Australie, etc.) se considèrent
comme des Etats nationaux. Leur spécificité, c’est qu’ils
sont « fermés » : qu’ils possèdent des frontières définies,
qu’ils fondent sur le principe national l’identité de leurs
citoyens et qu’ils font valoir leurs intérêts dans le monde
au moyen de la force militaire, si nécessaire, en
opposition aux autres Etats nationaux. L’Europe est en
train de se construire sur la base d’un modèle d’Etat
fédéral « ouvert ». L’union des nations européennes ne
se traduira jamais par une super-nation européenne. La
dispute sur les frontières de l’UE est significative. La
discussion sur l’appartenance de la Turquie, de
l’Ukraine, etc., à l’Europe est destinée à s’éterniser et ne
pourra être résolue sur la base d’aucun critère
géographique ou historique précis. La seule identité
politique possible pour les citoyens européens, c’est le
patriotisme constitutionnel. Le Peuple européen est un
peuple plurinational. En outre, l’UE tend à réguler ses
rapports avec les autres Etats ou groupes d’Etats
(comme l’Union africaine), sur la base d’institutions
stables et à tendance démocratique. L’Assemblée
parlementaire euro-africaine et le Parlement de la
Méditerranée sont des institutions innovantes créées par
l’UE. Le principe de la supranationalité sur lequel se
fonde l’UE, inspire aussi sa politique extérieure. C’est
pourquoi, une Constitution européenne aurait aussi
permis de faire accomplir un saut qualitatif à la politique
de l’Europe dans le monde.

La lutte pour un gouvernement fédéral européen
présente donc un double aspect. D’un côté, il s’agit de
réformer le système actuel confus de gouvernance
européenne en dotant l’UE d’un véritable gouvernement
démocratique, responsable devant le Parlement européen
et les électeurs. De l’autre, il s’agit de promouvoir, à
travers la politique extérieure de l’UE, la construction
d’un nouvel ordre mondial, fondé sur la démocratie
internationale, la paix, le développement durable et la
défense de la vie sur la planète. Dans la mesure où l’UE
assumera des responsabilités mondiales, son caractère
d’Etat fédéral ouvert lui permettra d’agir aussi comme
un embryon de gouvernement mondial en promouvant
de nouvelles institutions supranationales. Si nous
considérons le problème de la défense de
l’environnement, il présente de multiples aspects, parmi
lesquels celui de l’approvisionnement énergétique et de
la lutte contre le changement climatique. Le problème
de l’approvisionnement énergétique est particulièrement
grave pour l’UE qui est quasiment privée de toute
source d’énergie propre. Dans la mesure où il s’agit de
défendre les intérêts européens, celui-là retombe dans le
domaine de la politique extérieure puisque tout centre de
pouvoir mondial essaiera, au moyen du marché ou
d’autres formes de pression, de garantir la satisfaction
de ses propres besoins. Il est donc évident que, si l’UE a
l’intention d’exploiter pleinement son pouvoir, il faut
garantir à la Commission européenne le monopole sur
les approvisionnements extérieurs, comme c’est déjà le
cas pour le marché des marchandises où la Commission
représente les 27 pays membres au sein de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si
chaque pays européen passe individuellement des
contrats avec des fournisseurs tels que la Russie où les
pays de l’Organisation des pays producteurs de pétrole
(OPEP), il aura un pouvoir contractuel moindre. Dans
ce cas, il appartient à l’UE d’agir comme un Etat fédéral
fermé. Toutefois, pour ce qui concerne le changement
climatique, l’UE a montré qu’elle agissait comme un
Etat fédéral ouvert. La lutte contre le réchauffement de
la planète ne concerne pas seulement l’Europe mais le
monde entier, même si l’Europe a aussi défendu les
Accords de Kyoto pour répondre à une demande des
citoyens européens. Il en résulte donc une politique à
caractère mondial. Le marché des permis négociables
(de polluer) doit être considéré comme une institution
supranationale de gouvernement du système industriel
mondial (même si les pays extra-européens ne peuvent
pas être contraints par un pouvoir supranational à
respecter les quotas pour lesquels ils se sont engagés
mais ils y sont contraints par la menace d’une crise qui
pourrait les ébranler). L’UE a pu l’instituer facilement
grâce aux compétences que lui avait déjà confié les
Traités de Rome. C’est ce qui permet que des pays (ou
des régions) non européens tels que la Russie, la
Californie, etc., puissent participer au marché des permis
négociables.

Des considérations analogues pourraient se reproduire
pour la politique extérieure et de sécurité. L’UE a réalisé
les conditions d’une vie en commun pacifique entre ses
peuples nationaux. Elle peut maintenant promouvoir la
paix dans le monde. C’est dans cet objectif que la
création d’une force d’intervention rapide est
indispensable pour agir efficacement dans les zones de
crise comme le Moyen Orient. Dans d’autres cas, il
conviendrait que l’UE soit le promoteur de politiques au
niveau mondial en mettant sa force d’intervention rapide
à la disposition de l’ONU, ou en défendant une politique
de désarmement nucléaire généralisé et contrôlé.
En conclusion, le monde a besoin d’une Europe fédérale
et l’Europe a besoin d’un gouvernement et d’une
constitution. Le nouveau Traité offre aux fédéralistes
des niches pour contraindre les forces politiques à
s’engager dans la construction d’un gouvernement
fédéral européen. Cependant, le Traité ne permettra pas
de dépasser les goulots d’étranglement liés au droit de
veto. C’est pourquoi la construction d’une fédération au
sein de la confédération deviendra peu ou prou
nécessaire et inévitable. La Constitution doit être faite
avec ceux qui le veulent. La bataille pour une
constitution et un gouvernement fédéral européen
permettra aux fédéralistes de revendiquer un nouvel
ordre mondial, fondé sur le dépassement progressif de la
souveraineté nationale. C’est sur le front de la création
d’un gouvernement européen, en tant qu’embryon de
gouvernement mondial que les fédéralistes pourront
montrer avec le plus de force et de clarté les contenus
révolutionnaires du projet fédéraliste pour l’Europe et
pour le monde.