Les processus d’unification régionale en Asie

, par James W. Arputharaj

Introduction

L’Union européenne (UE) est certes un bon modèle que beaucoup d’entre nous souhaiteraient imiter dans d’autres régions du monde. Nous n’avons pas besoin de réinventer la route, mais nous devons apprendre à partir des succès et des échecs de l’UE. Cependant, les contextes des différents processus d’unification régionale sont tout à fait divers.

Tandis que l’histoire a motivé et construit l’UE après la deuxième guerre mondiale, les motivations pour engager d’autres processus d’unification régionale comme l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du sud-est) et la SAARC (Association sud-asiatique pour la coopération régionale) sont tout à fait différentes. De plus, la nature relativement homogène des membres de l’UE est un avantage supplémentaire. Les pays européens ont une histoire de la démocratie longue et similaire ; ils sont de dimensions voisines et les citoyens ont déjà atteint de hauts niveaux d’expression écrite et de principes humanitaires. Dans l’Asie du sud, d’autre part, l’immensité de l’Inde empêche, dans une large mesure, l’unification régionale. En ce qui concerne le niveau d’instruction écrite en Afghanistan, il est de 23 %, tandis que certains Etats de l’Inde sont à plus de 80 %. De plus, il y a des désordres civils dans chacun des pays de l’Asie du sud, si l’on excepte le Bhoutan et les Maldives.
La démolition du mur de Berlin fut une décision libératrice, tandis qu’en Asie du sud, l’Inde a construit récemment une barrière frontalière qui court sur 2.478 km entre le Bangladesh et l’Inde. De plus, 2.0000 soldats sont stationnés entre les frontières de l’Inde et du Pakistan, dans un état d’alerte maximum. Et le fait est que les deux tiers des pauvres du monde vivent dans l’Asie du sud.

En ce qui concerne la stabilité politique, il y a, actuellement, des conflits de faible intensité au Cachemire, aux Philippines, en Indonésie et en Thaïlande, tandis qu’on peut constater chaque jour les effets de conflits majeurs en Afghanistan et au Pakistan. Certains pays comme le Myanmar (Birmanie) et le Sri Lanka sont, à l’évidence, des Etats en faillite et, en même temps, les gouvernements du Myanmar et de la Corée du nord se présentent comme des dictatures répressives. Et les géants de l’Asie ? L’Inde et la Chine ? Pendant que le reste de la région est encore dans le creux de la récession, les deux pays les plus peuplés du monde sont tous les deux en tête des économies orientées vers la croissance et présentent des taux de croissance de plus de 7 %.

L’Asie et le Moyen orient ont la particularité d’avoir toutes les grandes religions et d’en être les berceaux. La région est divisée dans son ethnicité et par ses langues -et donc la plupart de ces pays sont unis dans la diversité.
L’Asie n’a pas d’organisation régionale mais l’Asie du sud et l’Asie du sud-est ont des organisations sous-régionales. Mais ces associations ne comprennent pas la seconde, ni la troisième plus grandes économies du monde -le Japon et la Chine. Dans cet article nous voulons nous intéresser seulement à l’ASEAN et à la SAARC.

L’ASEAN

Fondée en 1967, l’ASEAN est une organisation culturelle, économique et politique de pays situés en Asie du sud-est. La Déclaration de Bangkok donna naissance à l’ASEAN, les pays fondateurs étant l’Indonésie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande. L’effet dominant du communisme vietnamien dans la région et les querelles de frontières entre certains de ces pays motivèrent ces pays pour former cette union régionale.
Quand les membres reconnurent leur apparente incapacité à résoudre leurs querelles de façon bilatérale, ils formèrent l’ASEAN pour faire face au besoin d’un cadre de politique et de sécurité pour le traitement et la résolution des conflits.

L’ASEAN a pour but de développer la coopération et l’assistance mutuelle entre ses membres. Grâce au dialogue, elle encourage la démocratie et les droits de l’homme basés sur des critères régionaux. Le bureau du Secrétaire général se trouve à Djakarta, en Indonésie. Ultérieurement, l’ASEAN a admis d’autres membres : Brunei, Cambodge, Laos, Myanmar et Vietnam. Ainsi, avec la diversification de ses membres, l’ASEAN couvre une grande variété de pays -depuis le plus répressif, Myanmar, jusqu’aux démocraties libérales comme Singapour et l’Indonésie et aux communiste et socialiste, le Vietnam et le Laos.

L’Australie, le Canada, la Chine, la Corée du nord, la Corée du sud, la Nouvelle Zélande, la Russie et l’UE sont des partenaires qui dialoguent avec l’ASEAN.

Il y a quelques réussites notables. La Déclaration de Bali du 7 octobre 2003 a pour but de poursuivre une intégration économique plus étroite jusqu’en 2.020. Le projet envisage une zone de libre échange avec une population de 50 millions d’habitants, avec un commerce annuel de 720 milliards de dollars US. La Chine est d’accord pour développer des échanges avec les pays de l’ASEAN à hauteur de 1,7 milliards de dollars US. Le Japon est d’accord pour réduire ses barrières tarifaires et non-tarifaires.
Malgré tout, il y a des problèmes en suspens pour l’ASEAN. Le Timor oriental n’a pas pu être admis comme membre ou observateur parce que le Myanmar s’est opposé à cette admission due au fait que le Timor oriental soutient le mouvement pour la démocratie au Myanmar. Malgré des sanctions contre le Myanmar pour les violations des droits de l’homme, les choses en sont restées là.

La SAARC

Fondée le 8 décembre 1985, l’Association de l’Asie du sud pour la coopération régionale avait pour but de fournir une plateforme pour que les peuples d’Asie du sud puissent travailler ensemble dans un esprit de compréhension, de confiance et d’amitié. Cet accord était proposé par le Président du Bangladesh de l’époque, le Général Zia-ur-Rehman, principalement pour organiser les pays de la région en un ensemble pour contrebalancer le grand frère, l’Inde.
La SAARC vise à accélérer le processus de développement économique et social entre les Etats membres. Le bureau du Secrétaire général se trouve à Katmandou, au Népal. Une fois par an, normalement en janvier, le sommet de la SAARC se réunit dans chacun des pays membres, par rotation et chacun nomme à son tour son Président.

La SAARC se concentrait à l’origine sur les échanges touristiques et culturels entre les pays qui la composaient. Les restrictions sur les voyages avaient été assouplies pour les juges et les membres des parlements de l’Association. Le 14 avril 2007, quand le Sommet de la SAARC se réunit en Inde, la Déclaration de Dehli souligna qu’il était vital, en premier lieu, d’obtenir une meilleure connection et communication à l’intérieur de l’Asie du sud, ainsi qu’avec le reste du monde. En lien avec cela, ils se mirent d’accord pour améliorer les relations infra-régionales, en particulier pour les contacts physiques et économiques entre les gens. Ils se mirent d’accord sur une vision de l’Asie du sud où il y aurait une circulation renforcée et régulière des marchandises, des services, des gens, des technologies, des capitaux, de la culture et des idées.
Il est indubitable que la SAARC a accompli des réalisations notables. En 2004, au Sommet tenu au Pakistan, on se mit d’accord sur l’Accord de libre échange de l’Asie du sud (SAFTA) qui convenait, en principe, d’intégrer la région au niveau des services et de la coopération économique. La SAARC adopta aussi une charte sociale qui ressemble aux Objectifs du millenium pour le développement de l’ONU (MDGs). L’année 2007 était déclarée année verte de l’Asie du sud. De plus, une feuille de route était tracée vers une union douanière de l’Asie du sud, de façon planifiée, avec des phases définies. En outre, des modalités existent pour échanger des informations pour combattre le terrorisme, la drogue, les trafics de femmes et d’enfants et d’autres activités criminelles transnationales. Il faut remarquer que l’Asie du sud est la seule sous-région du monde à avoir une convention régionale contre le trafic des femmes et des enfants.

Pourtant, à cause des tensions entre l’Inde et le Pakistan, la plupart du temps, les problèmes de sécurité régionale n’ont pas été traités de façon adéquate. Il y a une prolifération redoutable d’armes légères et d’armes portatives dans la région. Malgré les efforts de plusieurs groupes de lobbyistes, y compris des fédéralistes d’Asie du sud, la SAARC a été incapable de s’occuper de ce problème.

La SAARC et l’UE

Depuis 2006, l’UE a un statut d’observateur auprès de la SAARC. L’UE accorde une grande importance à la coopération et à l’intégration régionale dans l’Asie du sud. L’UE vise à promouvoir l’harmonisation des normes et standards, à faciliter le commerce, à encourager la prise de conscience en ce qui concerne les bénéfices de la coopération régionale et à promouvoir les réseaux financiers et économiques dans la région de la SAARC. Dans cette perspective, l’UE et la SAARC ont signé un mémorandum en 1996 concernant l’assistance technique dans les questions commerciales. En 1999 les deux parties se sont mises d’accord pour améliorer l’accès des produits de la SAARC sur le marché de l’UE ; ainsi qu’un soutien technique à l’Accord de libre échange de l’Asie du sud (SAFTA).

Sujets de réflexion à propos de l’unification régionale

On pourrait craindre que les fédérations régionales ne se consacrent plus à leur propre renforcement qu’à leur contribution à une fédération mondiale.
Bien que, dans une large mesure, le régionalisme dilue le nationalisme, certains pensent que le régionalisme pourrait saper les bases du fédéralisme mondial. D’après l’expérience de la SAARC et de l’ASEAN, il apparaît que ces organismes ont simplement fonctionné comme des organisations intergouvernementales. Les contacts de peuples à peuples n’ont pas vraiment eu lieu. Seuls des fonctionnaires sont représentés dans ces réunions.
Tandis qu’il pourrait y avoir une solidarité accrue entre les membres d’une fédération régionale, ceci pourrait faire disparaître l’opposition de groupes marginalisés dans certains pays. Prenons l’exemple du Sri Lanka : la Chine, l’Inde et le Pakistan ont soutenu les efforts du gouvernement du Sri Lanka pour éliminer le groupe de l’ethnie tamoule qui exigeait l’auto-détermination.
Il y a de nombreux conflits sans solution dans chacune de ces régions. En accord avec le principe fédéraliste, nous devons aborder et essayer de résoudre les problèmes au niveau où ils se présentent. Par conséquent, il faut entamer des dialogues avec des acteurs non-gouvernementaux pour résoudre les conflits.

La voie vers l’avenir

Il faut que les unions régionales souscrivent à un cadre fédéral global et adoptent des institutions fédérales ; ce qui devrait impliquer une autorité mondiale de l’environnement, une organisation économique mondiale (pour revoir les institutions de Bretton Woods), une Assemblée parlementaire des Nations unies (UNPA), une Force rapide d’intervention des Nations unies, la Responsabilité de protéger les civils des conflits armés, un Traité sur le commerce des armements, etc.

Certains pays sont riches en ressources, mais le peuple est pauvre. Ceci est dû à une gouvernance mal adaptée et à une distribution inégale. Il y a des abus dans les cieux et dans l’espace sidéral et il n’y a pas d’organisme régulateur. Nombre de pays n’ont pas encore ratifié le Protocole de Kyoto et ne sont pas disposés à réduire les émissions de carbone.
On a besoin d’une réforme de l’OMC qui devrait être du ressort des Nations unies. Les exportations d’armes devraient être règlementées et supervisées par l’OMC.

Comme pour l’UE, des parlementaires pourraient être directement élus à une Assemblée parlementaire des Nations unies. A l’heure actuelle, seuls des fonctionnaires sont représentés à l’Assemblée générale des Nations unies. Afin que « Nous le peuple », comme le proclame le préambule des Nations unies, se réalise, nous devons soutenir les efforts pour l’UNPA.
Les Nations unies devraient avoir leur propre force de protection (la Force d’intervention rapide de l’ONU) plutôt que de dépendre des Etats membres pour fournir des soldats pour le maintien de la paix, afin que, dans les 24 heures, l’ONU puisse intervenir dans n’importe quelle zone de conflit.
Actuellement, nous ne pouvons pas empêcher qu’une calamité comme le génocide du Rwanda se produise n’importe où dans le monde. Les Nations unies pourraient trouver un mécanisme pour répondre à une telle éventualité, par un programme de Responsabilité pour protéger les civils contre les conflits armés.

Il n’y a pas d’instrument légal contraignant à l’ONU pour contrôler globalement les armes. Lors de la prochaine AG, les Nations unies pourraient ratifier un traité sur le commerce des armements (ATT), législation d’ensemble qui couvrirait les réformes du secteur de la sécurité, pour le marquage, le repérage, le stockage, la gestion et le contrôle des ventes d’armes aux acteurs qui ne sont pas des Etats. Aujourd’hui, la plupart des conflits sont entre des Etats et des groupes ou acteurs qui ne sont pas des Etats. Si les ventes d’armes à des belligérants non-étatiques ne sont pas interdites, la facilité pour se procurer des armes à bon marché continuera à alimenter des guerres.

Finalement, « Penser globalement et agir localement »

Notre objectif étant la Fédération mondiale, nous devons assurer l’unité entre les nations dans une région en encourageant l’amitié et la coopération mutuelle. Le soutien de la démocratie, du fédéralisme, des droits de l’homme et des valeurs humanitaires, voilà les clés de tout processus d’unification régionale.

Alors qu’il y aurait suffisamment de ressources dans le monde pour couvrir les besoins de chacun, il n’y en a pas assez aujourd’hui à cause de l’avidité d’un ou de quelques pays. La gouvernance globale par un gouvernement fédéral mondial, un besoin fondamental de notre temps.

P.-S.

James W. ARPUTHARAJ
Responsable des South Asian Federalists. Bureau exécutif du WFM - Chennai - Publié en commun avec The Federalist Debate - Turin

Traduit de l’anglais par Joseph MONTCHAMP - Lyon

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