Fédéchoses n° 12 - 4° trimestre 1975

Le Liban n’est pas un plan d’occupation des sols Féodalisme confessionnel ou fédéralisme ?

, par Bertrand SAINT-GAL de PONS

Fédéchoses n° 12 - 4° trimestre 1975

Le Libanais est un optimiste à toute épreuve. C’est un anarchiste en herbe, par son individualisme, sa fierté, sa ferveur méditerranéenne et religieuse, arabe et orientale. Mais il est attaché à sa communauté comme à une tribu. Le lien patriarcal et féodal se dissimule seulement à Beyrouth sous le clinquant de l’Occident.

L’arme est le symbole de la liberté, un peu comme pour les cow-boys. Les Libanais ont la détente facile par jeu, pour la fête ou le deuil. Un coup de feu remplace le pétard ou le feu d’artifice.

Livraisons d’armes officielles et trafic clandestin transitent par le Liban, expliquant qu’elles soient à profusion.

« Le Liban est fait de minorités confessionnelles associées », Michel Souha -le Vedel local-, en tout 14 communautés religieuses officielles. Dans cette mosaïque, deux pôles, le musulman et le chrétien. Aucune des deux moitiés ne peut s’imposer à l’autre parce qu’elle est trop disparate. L’équilibre politique basé sur le Pacte de 1943 entre ces deux communautés se retrouve dans la Constitution, dans l’administration... ; dans toute la vie politique et sociale, l’on retrouve ce besoin permanent de parité.

Ainsi le Liban tient-il par une double renonciation : celle des Chrétiens à une union avec l’Occident, celle des Musulmans à une union avec l’Orient.

Mais tant que durera la crise du Proche-Orient, la moitié musulmane regardera vers l’Orient, le monde arabe et son élément révolutionnaire palestinien (350000 réfugiés), la Syrie.

En réaction, la moitié chrétienne sera tentée par une sécession ou une guerre civile pour rétablir l’ordre « phalangiste » sur tout ou partie du Liban. La partition de Chypre en deux régions ethniques pourrait trouver des adeptes. Et l’exemple d’Israël, Etat théocratique, pourrait faire école. Ce sont deux tentations et deux exemples très forts pour les forces centrifuges, extrémistes islamiques de gauche, chrétiennes de droite.

La Révolution palestinienne est un élément moteur de cette tendance à la désintégration. Le Liban n’est plus ce paradis qui ignorait la pauvreté. Les masses de population provenant de l’exode rural, les réfugiés palestiniens, syriens, égyptiens, constituaient la main-d’oeuvre idéale pour un décollage économique. L’industrialisation ne s’est pas faite. La misère s’est installée dans certaines zones et reste donc un prolétariat prêt à suivre la dynamique palestinienne.

Si demain les Palestiniens renforcent au Sud-Liban leur autorité, si les Syriens, arabes et musulmans en grande majorité, étaient tentés de réaliser leur rêve d’un retour à la « Grande Syrie » (Liban plus Syrie), si des affrontements avaient lieu entre les quelques milliers de Juifs de Beyrouth et d’autres éléments libanais, que ferait Israël ?

La tradition historique du Liban est trop forte pour que l’on désespère de transformer un jour son féodalisme confessionnel en fédéralisme ; la « cantonalisation » étant impossible ou déraisonnable, il resterait une solution consistant à établir un système bicaméral avec une chambre du peuple et une chambre des communautés.