Buenos Aires - 22 février 2012

Malouines, une vision alternative

, par Fernando Iglesias

Trente ans après la tragique aventure militaire de 1982, il nous manque encore une critique publique de l’approbation sociale qui accompagna la guerre des Malouines et qui mobilisa quasiment tous les secteurs de la société argentine. Parmi les motifs de ce soutien, l’adhésion à la cause des Malouines qui proclama que ces îles étaient un « territoire inaliénable », qui fit de leur « récupération » une question identitaire et qui la plaça au somment de nos priorités nationales et de l’agenda international du pays, ne fut pas la moindre.

Une analyse même peu objective démontre le gouffre qui existe entre l’énormité de ces actes et la réelle importance de la question des îles Malouines, de même que sa relation lointaine avec les grands problèmes politiques, sociaux et économiques qui nous affligent. Néanmoins, un climat d’agitation nationaliste impulsé par les deux gouvernements (britannique et argentin) semble affecter une grande part de nos dirigeants, de la majorité comme de l’opposition, qui se glorifient de ce qu’ils qualifient de « politique d’État ». Nous pensons, qu’il est temps, d’examiner au fond cette politique à partir d’une conviction : l’opinion publique argentine est mûre pour une stratégie qui combine les intérêts nationaux légitimes avec le principe d’autodétermination sur la base duquel notre pays a été fondé.

Une révision critique de la guerre des Malouines doit inclure tout à la fois l’examen du lien entre notre société et ses victimes directes, les appelés combattants, comme l’admission de l’injustifiable usage de la force en 1982 et la perception que cette décision et la déroute qui l’a suivie ont eu des conséquences à long terme. Il est nécessaire de mettre fin aujourd’hui à l’exigence contradictoire du gouvernement argentin d’ouvrir une négociation bilatérale qui inclue le thème de la souveraineté tout en annonçant que la souveraineté argentine est non négociable, et d’offrir des bases de dialogue véritables avec les Britanniques et — en particulier — avec les « Malouins », dans le cadre d’un agenda ouvert et régional. En l’honneur des passages sur les droits de l’homme incorporés dans notre Constitution en 1994, les habitants des Malouines doivent être reconnus comme sujets de droit. Respecter leur mode de vie, comme le stipule la première clause de notre Constitution, implique d’abandonner l’intention de leur imposer une souveraineté et une citoyenneté qu’ils ne désirent pas. L’affirmation obsessionnelle du principe que « les Malouines sont argentines » et l’ignorance ou le mépris de la tyrannie qu’il suppose, affaiblissent la demande juste et pacifique de retrait du Royaume uni et de sa base militaire et rendent impossible d’avancer vers une gestion des ressources naturelles négociée entre les insulaires et les Argentins.

La République argentine a été fondée sur le principe d’autodétermination des peuples et pour tous les hommes du monde. En tant que pays dont les antécédents incluent la conquête espagnole, notre propre construction en tant que nation ne peut faire abstraction et est indissociable d’épisodes d’occupation coloniale tout comme c’est le cas pour les Malouines. L’histoire, d’autre part, n’est pas réversible, et l’intention de ramener les frontières nationales à une situation ayant existé il y a presque deux siècles — à savoir : antérieure à notre unité nationale et alors que la Patagonie n’était pas encore sous domination argentine — ouvre une boite de Pandore qui ne peut conduire à la paix.

En tant que membres d’une société plurielle et diverse dans laquelle l’immigration a été la source principale de peuplement nous ne considérons pas avoir de droits préférentiels qui nous permettraient d’asservir les personnes qui vivent et travaillent sur les Malouines depuis plusieurs générations, bien avant que n’arrivent en Argentine beaucoup de nos ancêtres. Le sang des personnes tombées aux Malouines exige, par-dessus tout, que nous ne retombions pas à nouveau dans le genre de faux patriotisme qui les a conduits à la mort et que l’on ne les exploite pas comme éléments de sacralisation de causes qui, dans tout système démocratique, sont sujettes à un débat d’opinion.

Nous devons arrêter d’agiter la « question des Malouines » et élaborer une vision alternative qui dépasse le conflit et mène à sa résolution pacifique. Nos principaux problèmes nationaux et nos pires tragédies n’ont pas été causées par la perte de territoires ni par le manque de ressources naturelles, mais par notre manque de respect pour la vie, les droits humains, les institutions démocratiques et les valeurs fondamentales de la République argentine, comme la liberté, l’égalité et l’autodétermination. « Ojalá » ; que le 2 avril et l’année 2012 ne donnent pas lieu à l’habituel déferlement de déclamations patriotiques mais plutôt qu’ils permettent aux Argentins — gouvernants, dirigeants et citoyens — de réfléchir ensemble et sans a priori sur les relations entre nos propres erreurs et les échecs de notre pays.

P.-S.

Fernando Iglesias (co-auteur)

Universitaire et écrivain - Ancien parlementaire
argentin, membre du Parlement du Mercosur et du
Conseil du World Federalist Movement - Buenos
aires

Traduit de l’espagnol par Jean-Francis Billion - Lyon

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