Note en marge du Congrès de Vienne de l’U.E.F.

, par Guido Montani

Guido MONTANI
Président du Movimento federalista europeo, section italienne de l’U.E.F. et du WFM. Membre du Comité fédéral de l’U.E.F. Europe et du Conseil mondial du WFM
Texte traduit de l’Italien par Jean-Luc PREVEL

Au cours du débat politique, au Congrès de l’U.E.F. à Vienne (du 30 juin au 2 juillet 2006, ndt), certains militants ont tenté d’introduire l’idée que, à côté de la stratégie en faveur de la relance du processus constituant européen qui était finalement devenue majoritaire, il existait une seconde ligne stratégique, alternative à la première, tournée vers la création d’une fédération européenne. Ceux qui soutenaient cette seconde ligne d’action ont proposé un amendement qui, s’il était approuvé, aurait dû se traduire dans la demande d’un référendum européen grâce auquel les citoyens auraient dû s’exprimer en faveur ou contre la création d’une fédération européenne. Les délégués au Congrès semblaient donc confrontés à une alternative insidieuse : « référendum européen pour la relance de la Constitution européenne ou référendum pour une fédération européenne ? »

Toutefois, la seconde alternative, maximaliste en apparence, soumise à un examen attentif, s’avère une affirmation naïve, sans perspective politique. Admettons qu’un groupe de gouvernements déterminés à construire la Fédération européenne prenne en considération cette hypothèse. Ils sont conscients que la Fédération représente un contrat politique contraignant pour les citoyens et les gouvernements de l’Union. Et il va de soi qu’un contrat politique d’une telle portée ne peut être conclu sans que les gouvernements s’interrogent sur l’issue du processus politique qu’ils mettent en marche. Peut-on demander aux citoyens européens s’ils sont favorables à la Fédération européenne sans répondre à la question : quelle fédération ? Il ne s’agit pas du tout d’une question de rhétorique. C’est la souveraineté nationale qui est en jeu. Il existe des Etats fédéraux centralisés comme les Etats-Unis, avec un gouvernement fédéral doté de pouvoirs économiques et militaires importants. Il existe des fédérations beaucoup plus décentralisées, comme la Suisse, avec des pouvoirs cantonaux forts. Il existe des fédérations avec des gouvernements présidentiels et d’autres avec des gouvernements parlementaires. En outre, quelles compétences devraient-elles être assignées au gouvernement fédéral ? Par exemple, l’énergie nucléaire devrait-elle rester une compétence nationale ou devenir une compétence européenne ? Il est évident que les gouvernements nationaux qui décideraient de mettre en route un référendum ne pourraient faire moins que discuter, au préalable, ces problèmes entre eux. En définitive, cela équivaut à discuter (ou à faire discuter par une assemblée constituante) d’un projet de constitution européenne qui serait ensuite soumis aux citoyens européens pour approbation. La constitution est l’ossature, la carte d’identité de l’Etat européen.

Cette première observation en entraîne une seconde. Dans le monde actuel, avec la confirmation de la démocratie comme méthode incontournable de gouvernement, il n’est pas pensable de pouvoir construire le pouvoir européen sans passer par une procédure constituante qui implique, plus ou moins ouvertement les représentants des citoyens européens. Max Weber soutenait qu’un Etat consiste dans le monopole de la force physique légitime. Cette définition s’adapte parfaitement à l’Etat typique de l’époque dans laquelle vivait Weber, c’est à dire l’Etat national, monolithe caractérisé par une forte concentration des pouvoirs. Si nous voulons aujourd’hui appliquer la définition de Weber au cas européen, c’est à dire à une situation où il s’agit de construire un Etat fédéral avec différents Etats nationaux (une fédération d’Etats nationaux comme Delors l’a définie) nous devrions dire qu’un Etat supranational consiste en un ensemble de règles (institutions), de valeurs communes (une charte des droits) et de pouvoirs (coordonnés entre les différents niveaux de gouvernement) nécessaires pour faire respecter ces règles et ces valeurs. La constitution « constitue » l’Etat et vice versa, sans constitution, l’Etat ne peut être constitué.

Naturellement, la reconnaissance de ce rapport intime entre Etat et constitution n’implique pas, en fait, que le processus constituant actuel, tel qu’il est en train de se dérouler, aboutisse à la création du type d’Etat espéré par les fédéralistes. En effet un Etat européen avec une quantité significative de défauts et de lacunes est en train de se construire. Il vaut la peine de rappeler le précédent historique de l’unification italienne. Quand, après les guerres victorieuses de l’indépendance, naquit l’Etat unitaire italien, Mazzini prit ses distances et préféra un fier exil plutôt que la subordination à la monarchie de la Maison de Savoie. Les Etats naissent imparfaits et les fédéralistes ne peuvent pas, à eux seuls, décider du rythme et des modalités du processus historique de l’unification politique de l’Europe. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est exploiter chaque occasion favorable pour orienter le processus de l’intégration européenne vers une issue fédérale. La force des fédéralistes réside dans l’affirmation, qui s’est vérifiée historiquement avec les fédérations existantes, que seule la fédération peut permettre de donner naissance à un système de gouvernement démocratique de l’Europe. Et c’est seulement avec un gouvernement démocratique, que l’Europe peut devenir un acteur capable d’agir dans le monde.

La force politico-culturelle des fédéralistes est souvent sous-évaluée par les fédéralistes eux-mêmes qui risquent de se diviser en factions lorsque la durée de la lutte s’allonge et que les résultats semblent trop limités par rapport aux attentes. C’est ce qui arrive dans tout mouvement politique quand les avant-gardes doivent faire l’expérience de phases de transition longues et difficiles. Pensons aux deux cents ans d’histoire du socialisme, avec ses nombreux courants et factions, des saint-simoniens à nos jours.

Les fédéralistes ne peuvent éviter le risque de se fractionner, jusqu’à devenir un ensemble de groupuscules, privé de rapports significatifs avec la classe politique, que s’ils acceptent humblement d’être une partie, la plus consciente, d’un processus historique qui voit s’engager de simples citoyens, des intellectuels, des partis, des forces sociales, la société civile et des gouvernements nationaux. Ils doivent entretenir avec ces forces un dialogue continu, en vivant leurs contradictions et en cherchant avec eux les voies les plus raisonnables pour avancer vers l’unité politique de l’Europe. Le processus constituant n’est ni un fantasme, ni une invention idéologique. C’est une réalité contradictoire. Un parcours tortueux mais nécessaire. C’est la phase historiquement la plus avancée de l’intégration européenne. La Fédération européenne se fera, si elle se fait, au terme d’une lutte victorieuse contre les anti-fédéralistes qui essaient de faire échouer le processus constituant.