Vers une révolution démocratique mondiale : Parlement mondial et transformation de l’ordre mondial

, par Andreas Bummel

1 / Les limites de la démocratisation nationale

Les protestations massives et pacifiques de millions
d’Egyptiens qui ont renversé le régime répressif et corrompu de
Hosni Mubarak en 18 jours et l’expulsion du Président tunisien
Zine El Abidine Ben Ali après une résistance civile massive
pourrait devenir une étape importante dans l’expansion de la
démocratie dans le monde. Au cours des 10 dernières années
la forte tendance à la démocratisation qui avait suivi la fin de la
guerre froide avait ralenti et il avait finalement semblé qu’elle
pourrait même s’inverser. Dans les 5 années, de 1989 à 1994,
la part des démocraties dans le monde estimée par la Freedom
House de Washington D.C., avait bondi de 40 à 60 %. En
2005 et 2006, cette proportion culmina à 65 % avant de
décliner continuellement jusqu’à revenir l’an dernier au niveau
de 1994 [1].

Les études d’opinion internationales, toutefois, ont montré un
soutien populaire fort et sans relache en faveur de la
démocratie dans toutes les régions du monde, y compris, par
exemple, une moyenne de l’ordre de 80 % des personnes
interrogées au Moyen orient [2]. En fait, aujourd’hui, la démocratie
est reconnue quasiment de manière universelle comme la
seule forme légitime de gouvernement. Même les régimes les
plus autocratiques se voient demander de conserver au moins
une façade démocratique. Les révoltes en Tunisie et en Egypte
ont inspiré des manifestants et se sont fait l’avocat de la
démocratie dans des pays gouvernés de manière autocratique
et pourraient déclencher un effet dominos. Le succès d’une
transition démocratique en Egypte constituerait un point décisif
dans la région et au-delà. C’est du moins l’espoir qui repose
derrière les comparaisons avec la chute du Rideau de fer en
1989.

La révolte en Egypte est aussi une source d’inspiration pour
tous ceux qui défendent un ordre mondial plus démocratique et
la création d’un parlement mondial. Les protestataires en
Egypte en avaient assez d’être condamnés à être des sujets
passifs n’ayant rien à dire dans les affaires de leur pays.

Beaucoup de gens ont un même sentiment en ce qui concerne
les affaires internationales. Les citoyens sont exclus des prises
de décision internationales car elles ont lieu exclusivement à
l’ombre des responsables gouvernementaux. Dans le même
temps, de plus en plus de sujets sont négociés et font l’objet de
décisions au niveau international, par exemple l’avenir du système financier global ou l’adaptation au changement
climatique. Les marchés économiques et financiers intégrés au
niveau global et le changement climatique ont rendu obsolète
l’idée d’une autodétermination démocratique au niveau
national. Il est impossible, par exemple, d’échapper aux
impacts de l’augmentation des prix de la nourriture qui résutent
des marchés internationaux des biens de consommation.

Ce qui, au premier regard, semble être une perte d’autonomie,
est au moins pour partie une méthode des gouvernements pour
protéger leur programme contre les interférences de la société
et affaiblir le contrôle démocratique. Comme l’argumente Klaus
Dieter Wolff, « la gouvernance internationale offre aux États
l’opportunité de faire des engagements réciproques tels qu’ils
puissent soustraire certains sujets au débat de la société et
aussi à toute révision possible » [3]. L’organisation politique des
ordres du jour du processus des G 20 informels en est un
exemple ; un autre exemple récent en est l’Accord commercial
anti-contrefaçon qui a durant des années été négocié en
secret. Les parlements nationaux, à l’exception peut-être du
Congrès américain, n’ont normalement pas d’autre alternative
que d’accepter sans conditions ce que les gouvernements ont
décidé entre eux. Dans cette perspective, le contraste
saisissant entre le soutien prétendu à la démocratisation dans
le monde et le manque presque complet d’action pour
démocratiser le système international n’est pas une surprise.

2 / La démocratisation transnationale

Ceux qui sont engagés à construire la démocratie dans leurs
pays, et qui sont animés d’un esprit neuf comme en Egypte,
devront se demander : « Quel but y a t’il à construire une nation
démocratique si elle doit être prisonnière dans un système
international non démocratique et non transparent ? Dans un
monde globalisé le confinement de la participation
démocratique des citoyens aux institutions des États-nations,
est quasiment équivalent à une incapacité (électorale). La
réelle émancipation politique ne peut pas s’arrêter aux
frontières nationales. Comme l’a expliqué l’ancien Secrétaire
général des Nations unies Boutros Boutros-Ghali : La
démocratie au sein de l’État va diminuer de manière importante
si le processus de démocratisation n’est pas étendu également
au système de la gouvernance internationale… Ce projet inclue
la tâche de donner aux citoyens du monde une voix plus directe
dans les affaires du monde. Un lien direct entre les institutions
globales et le peuple doit être établi sur le champ
 [4].

En fait, il y a un autre aspect de la démocratisation qui n’a pas
beaucoup attiré l’attention à ce jour mais qui n’est pas moins
extraordinaire. Il y a une forte et croissante tendance à une plus
forte interaction de représentants élus au-delà des frontières
nationales et à la création de mécanismes formels pour leur
entrée dans les organisations interngouvernementales. Selon
une récente étude de Claudia Kissling, plus de 100 institutions
parlementaires internationales existent aujourd’hui, dont
environ 70 ont été établies depuis 1999 [5]. Les plus importantes sont les organes parlementaires formels des organisations
internationales comme le Parlement européen, le Parlement
Pan-africain, le Parlement du Mercosur ou l’Assemblée
parlementaire de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe).

Cette tendance confirme la nécessité et les avantages de
compléter la coopération internationale par la représentation
parlementaire. Toutefois, cette tendance n’a pas encore atteint
les organisations intergouvernementales à caractère global. Ni
les Nations unies (ONU) ni aucun de leurs nombreuses
agences et programmes spécialisés, ni l’Organisation mondiale
du commerce (OMC), le Fond monétaire international (FMI) ou
le Groupe de la Banque mondiale n’ont d’organe parlementaire,
même à titre consultatif. Ce défaut est l’une des principales
causes du déficit démocratique de la gouvernance globale.

3 / Une assemblée parlementaire mondiale

L’existence de nombreuses institutions parlementaires
régionales rend difficle d’argumenter qu’il serait impossible pour
des raisons de principe de créer une Assemblée parlementaire
globale (APG) qui représente des citoyens du monde à l’ONU,
à l’OMC ou aux institutions financières internationales. Bien
que, pour des raisons tactiques et pratiques il puisse être utile
qu’un tel organe soit initialement fondé avec un but limité en
tant qu’organe consultatif de l’Assemblée générale de l’ONU ou
comme partie d’une autre organisation du système des Nations
unies, le but est qu’il soit un jour relié formellement aux
principales institutions intergouvernementales qui dessinent la
gouvernance internationale. Les Commissions permanentes,
Sous-commissions et Commissions d’enquête nonpermanentes,
mises en place par cette assemblée pourraient
s’intéresser à des sujets spécifiques et devenir liées à des
organes et organisations spécifiques. Les Commissions
pourraient agir de manière conjointe sur des thèmes recoupant
leurs objets et coordonner diverses approches. Lors de
sessions plénières moins fréquentes, les résultats du travail
des Commissions pourraient être combinés et adoptés. Comme
assemblée parapluie de la gouvernance globale, une APG
pourrait aider à dépasser la fragmentation du système et de la
loi internationaux. Bien que l’organisme proposé ici soit
largement connu et soutenu comme l’Assemmblée
parlementaire des Nations unies (APNU - UNPA), user du
terme d’APG permet mieux de mettre l’accent sur cette
approche globale.

Une APG ne devrait pas être conçue comme une simple
extrapolation des institutions parlementaires comme on les
connait au niveau national. Elle devrait plutôt être conçue
comme une plateforme centrale et formellement organisée pour
des délibérations globales qui permette à la société civile de
participer à ses travaux. Les Commissions de l’Assemblée par
exemple pourraient agir comme des plateformes pour une large
délibération et devraient permettre la participation d’experts et
de représentants de la société civile.

À l’opposé des organes intergouvernementaux tels que
l’Assemblée généralede l’ONU, dans lesquels des diplomates
appointés conduisent leurs affaires, les membres votants d’une
APG seraient des responsables élus. Initialement, les membres
pourraient être élus par les parlements nationaux, comme dans
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. À plus longue échéance, ils devraient être élus directement comme
c’est le cas au Parlement européen depuis 1979.

Leur nombre maximal serait probablement de 700 à 800
délégués. L’Assemblée pourrait émerger progressivement
d’une beaucoup plus petite structure. Le Global Public Policy
Committees suggéré dans le rapport du panel sur les relations
entre les Nations unies et la société civile (2004) [6] ou le Global
Parliamentary group qui devrait développer une vue globale
et intégrante des principales organisations du système des
Nations unies, des Institutions de Bretton Woods et de l’OMC

proposé par la Commission mondiale sur la dimension sociale
de la globalisation la même année [7] pourraient constituer un
bon point de départ.

La taille de la population est généralement considérée comme
le principal facteur afin de déterminer le nombre de membres
élus par pays. Au moment idéal, dans un avenir lointain,
chaque être humain devrait avoir le même poids, quelque soit
son pays d’origine. D’ici là, un système pragmatique de
proportionnalité dégressive doit être trouvé qui assure un
équilibre entre les petits et les grands pays, de la Chine avec
1,3 milliard d’habitants au Tuvalu avec 13000. Quelques
modèles développés par le Comité pour des Nations unies
démocratiques, montrent que cela devrait être possible [8].

4. Transformer la gouvernance internationale

Les enquêtes d’opinion internationales effectuées durant la
dernière décennie montrent que la plupart des gens dans le
monde soutiennent un ordre international basé sur la loi
internationale. Steven Kull, signale que les majorités dans la
plupart des pays pensent que les lois internationales créent des
obligations normatives comme les lois nationales et rejettent
l’opinion que les nations ne devraient pas se sentir tenues de
soutenir la loi internationale lorsque le faire est en désaccord
avec leurs intérêts nationaux
 [9].

Que ce soit la conformité avec la loi internationale, l’atténuation
du changement climatique, l’application des droits humains, le
soutien à la démocratie, le désarmement nucléaire et le
renforcement des Nations unies, de larges majorités de tous les
peuples dans l’ensemble du monde soutiennent ces buts. La
population dans son ensemble est beaucoup plus réceptive que
les gouvernements nationaux à la coopération globale. Selon
Steve Kull, une étude couvrant 46 pays a trouvé qu’une
moyenne de 72 % se considéraient également comme des
« citoyens globaux ». En fait, un sondage réalisé dans 19 pays
en 2005 a établi que 63 % des personnes interrogées
soutenaient « un nouveau Parlement des Nations unies,
composé de représentants directement élus par les citoyens » [10]. À ce jour un seul gouvernement à exprimé son
soutien.

Ce n’est pas une surprise. Vu qu’une APG serait composée de
réprésentants élus responsables devant leurs électeurs, elle
tendrait probablement à être plus proche de leurs vues que de
celles des gouvernements nationaux. Son but réel serait d’avoir
une vue globale et de considérer l’intérêt de l’humanité dans
son ensemble au lieu d’intérêts nationaux étriqués. Une fois
une large proportion de délégués élue directement,
l’Assemblée serait dotée d’une légitimité politique sans
précédent. Au travers d’une APG la citoyenneté mondiale
pourrait s’exprimer par elle-même comme une autorité
souveraine globale.

Alors qu’une APG, à son commencement, serait dotée de
fonctions largement consultatives, ses pouvoirs augmenteraient
progressivement. Elle pourrait le cas échénat devenir une
institution clé dans un système législatif global. Ainsi que l’ex
Président tchèque Vaclav Havel l’a suggéré dans un discours
au Sommet du Millénaire des Nations unies en 2000, un
parlement global pourrait être réprésenté par un système
bicaméral consistant en une assemblée ressemblant à
l’actuelle Assemblée générale, et l’autre consistant en un
groupe de délégués diurectement élus par la population du
globe au sein duquel le nombre de membres représentant les
diverses nations correspondrait donc approximativement à la
taille des nations
 [11].

Bien évidemment, une APG serait seulement une partie d’un
processus beaucoup plus complexe et complet de
transformation de l’ordre international en un système effectif de
gouvernance globale démocratique. Mais sa fondation pourrait
toutefois bien être la principale étape individuelle car elle
pourrait agir comme centre de gravité pour de futurs
changements. Un tel centre fait défaut aujourd’hui. Au plan
global, la société civile n’a pas la structure, les moyens, la
persistance et la cohérence pour maintenir un tel centre durant
une longue période. Par exemple, le Forum permanent des
Organisations non gouvernementales, vivement discuté durant
les années 1990, n’a jamais vu le jour.

Au cours des dix, vingt dernières années, une abondance de
panels de haut niveau, de commissions d’experts, de groupes
politiques et d’autres initiatives ont publié une liste sans fin de
rapports intelligents sur la réforme de l’ONU, les Objectifs de
développement du Millénaire et la nécessité d’une gouvernance
globale. Aucune réforme d’importance n’a été menée. Mais
sans transformation du système en tant que tel, des politiques
fondamentalement différentes au niveau global ne seront pas
viables. Une APG est nécessaire pour conduire le processus
de réformes de l’ordre mondial. Aucun autre acteur capable de
le faire n’est en vue.

Une vision indépendante exercée par un organe démocratique
tel qu’une APG est une condition préalable pour toute sorte de
taxation globale ou de forces de maintien de la paix
permanente des Nations unies. Sans une APG, tout
renforcement substantiel de l’actuel système intergouvernemental ne pourrait qu’exarcerber la crise de la
démocratie et de la gouvernance planétaire.

5. Conclusion

Sans aucun doute, l’humanité est entrée dans une nouvelle
époque. Nous vivons des changements qui sont souvent
comparés à la Révolution de Gutemberg. L’invention et le
développement de l’impression mécanique au 15ème siècle ont
été un catalyseur décisif pour le changement sociétal qui a
finalement établi l’âge des Lumières. L’ordre féodal a été
balayé par une conscience nationale croissante de la
population, culminant avec la Révolution française de 1789
durant laquelle la notion de l’État-nation moderne est apparue
dans l’Ancien monde.

Comme les seigneurs féodaux dans le passé, les États-nations
actuels sont également confrontés à un changement de
conscience. La révolution technologique des trois dernières
décennies dans les communications, le transport, les
technologies de l’information et des médias a un impact sur
nombre de gens et leurs visions du monde. Comme K. Abhay
l’a récemment commenté, l’invention de l’internet et de l’internet
connecté aux téléphones mobiles prépare la voie pour la
conscience planétaire et la démocratie globaleK. [12].

Une APG ne serait pas seulement le résultat du changement
capital qui nous attend. Tout au contraire, elle est quasiment
nécessaire comme catalyseur pour le nouvel âge des Lumières
global. Après tout, l’Assemblée serait la première institution
dans l’histoire humaine à créer un lien direct entre chaque être
humain individuel et la planète, sans aucun intermédiaire. Elle
pourrait incarner l’idée que chaque être humain est un membre
responsable de la communauté globale et non un sujet passif
d’un impénétrable appareil global, que son nom soit G8, G20,
OMC ou FMI.

La lutte pour une APG ne concerne pas seulement le transfert
du pouvoir dans le système international en faveur du peuple
mondial souverain. Elle est également une lutte intellectuelle.

P.-S.

Andreas Bummel

Président du Committee for a Democratic U.N.,
Berlin, Germany - Texte publié initialement mi
février 2011 dans la revue Cadmus

Traduit de l’anglais par Jean-Francis Billion - Lyon

Notes

[1Freedom in the World 2011 : The authoritarian
challenge to democracy
. Freedom House. 2011.
Disponible à : http://www.freedomhouse.org/

[2Voice of the People 2005 : Trends in Democracy.
Global Summary
. 2005. Gallup International.

[3Klaus Dieter Wolf, “The New Raison d’État as a
Problem for Democracy in World Society
”, dans,
European Journal of International Relations, 5, n° 3,
1999, pp. 333-363.

[4Boutros Boutros-Ghali, 2009. The missing link of
democratization. Open Democracy
. Available at
http://www.opendemocracy.net/

[5Claudia Kissling, The Legal and Political Status of International Parliamentary Institutions, Berlin,
Komitee für eine demokratische UNO, 2011).

[6United Nations, We the Peoples : Civil society, the
United Nations and Global Governance
, New York,
United Nations, 2004.

[7International Labour Office, A fair globalization :
Creating opportunities for all, New Delhi : Academic
Foundation, 2004.

[8Andreas Bummel, The composition of a
Parliamentary Assembly at the United Nations
,
3ème. Edition, Berlin : Committee for a Democratic
UN, 2010). Available at http://www.kdun.org/95/

[9Steven Kull, “Listening to the Voice of Humanity
dans, Kosmos (2010), pp. 26-29.

[10Public Opinion on Global Issues : A Web-based
Digest of Polling from Around the World
. 2009.
Council on Foreign Relations. disponible sur
http://www.cfr.org/

[11Vaclav Havel, Address of the President of the
Czech Republic at the Millennium Summit of the
United Nations
. 2000, United Nations, disponible sur
http://www.un.org/

[12Abhay, Birth Of Global Democracy, 2011. dans,
The Times of India, 21 janvier 2011. Disponible sur
http://timesofindia.indiatimes.com/