Le Billet de Jean-Pierre GOUZY

Pas de répit pour l’euro !

, par Jean-Pierre Gouzy

L’euro-grande messe du Conseil européen s’est déroulée à
Bruxelles, jusqu’aux aurores du 29 juin. Il s’agissait pour nos
excellences « d’apaiser les marchés ». Pas de trêve estivale
possible, en effet, si les marchés et les bourses des valeurs
continuent à bouger erratiquement dans la torpeur de l’été,
parce que la dette continue à s’alourdir et les déficits à se
creuser. D’autant qu’en France les premiers règlements
budgétaires vont encore mobiliser assemblées et ministères
plongés dans la lecture de la bible républicaine : le rapport de
la Cour des comptes.

Pensez donc, après la Grèce, l’Irlande et la Portugal, à la
marge de la zone euro, voici que l’Espagne et l’Italie
commençaient à donner de sérieux signes d’accès de fièvre. « Il
professore » (Mario Monti) avait beau prescrire des cures
d’austérité et son collègue hispanique, Mariano Rajoy,
accumuler les potions magiques, tous deux se sentaient
dépourvus d’un « bouclier anti-spread », efficace pour financer à
des taux acceptables des dettes qui ne cessaient de grimper.

De plus, pour ajouter aux désagréments du moment, voici que
le gouvernement chypriote appelé à présider l’Union
européenne (UE) pour six mois en compagnie du stimulant
Herman Van Rompuy, à partir du 1er juillet, venait à son tour de
demander à bénéficier du concours financier de l’UE et du
Fonds monétaire international, pour recapitaliser ses propres
banques soudainement perçues en détresse. Si la France, de
son côté, malgré un paquet de 1.789,4 milliards d’euros de
dettes (au 31 mars 2012, soit 89,3 % de son PIB) n’est pas
apparue frappée de plein fouet par la bourrasque qui menace
d’emporter la zone euro, il a semblé à tout un chacun qu’elle
pourrait bien, à son tour, se trouver concernée par les
conséquences de ces turbulences dans les mois qui viennent,
alors même que son nouveau président avait fait du « retour à
la croissance » l’objectif phare de sa campagne électorale,
notamment en préconisant la vulgarisation de la méthode des
eurobonds pour mutualiser tout ou partie de la dette au niveau
européen afin de pouvoir, à ce niveau, bloquer la furia
désordonnée des marchés. La mise au point du système
supposait l’accord de l’Allemagne, en raison de son poids
économique et financier au coeur du continent. Celle-ci a fait
rapidement savoir que -redoutant d’avoir à faire les frais de
cette mutualisation- elle ne pouvait en accepter l’augure que
dans la perspective d’une Union politique européenne, avec
ceux de ses partenaires qui accepteraient d’assumer la
responsabilité d’un « saut fédéral », tel qu’il s’est envisagé
depuis les premiers pas de la construction communautaire
dans les années 1950. Autrement dit, l’objectif fédéral
longtemps considéré comme à échéance lointaine devenait,
sous la pression des évènements, d’une prégnante actualité.
La chancelière a même précisé les contours du projet
politique : élection d’un président européen au suffrage
universel, transformation de l’actuelle Commission en véritable
gouvernement de l’Union, renforcement des prérogatives du
Parlement européen (pour lui permettre d’exercer les fonctions
équivalentes à celles de la Chambre américaine des
représentants), instauration d’un Sénat européen qui ne serait
autre que le Conseil européen transformé. L’actuel
gouvernement allemand est-il véritablement prêt, aujourd’hui à
promouvoir un projet global d’une telle ambition ? On peut en
douter, mais alors les partenaires européens de l’Allemagne -et
notamment la France- auraient dû accepter d’ouvrir le débat de
fond, au lieu de l’esquiver, avec Angela Merkel et son mentor,
Wolfgang Schäuble, qui joue un rôle incontournable outre-Rhin,
pas seulement comme Ministre des Finances mais comme
personnalité appréciée au sein du parti majoritaire et au-delà
dans la classe politique allemande. Espérons que ce moment
de vérité auquel il faudra bien finir par consentir n’est que partie
remise. Beaucoup dépendra de l’affirmation d’un large courant
fédéraliste transpartisan, par exemple dans un pays comme la
France où des personnalités indépendantes, appartenant au
monde de l’économie et à celui de la culture, proclament en
nombre accru, la nécessité de poser la question de l’exercice
de la souveraineté économique, financière, monétaire et
budgétaire au niveau de la gestation de l’Europe, pour ouvrir de
nouvelles perspectives d’avenir et renouveler un débat politique
figé dans des normes qui ne correspondent plus à la nature
transnationale des réalités affrontées.

Mais, revenons à Bruxelles, ces 28 et 29 juin écoulés : le
Conseil européen qui s’y est déroulé, est loin d’avoir été
complètement inutile. Il a permis à François Hollande
d’annoncer pour la première fois son intention de faire ratifier le
Traité budgétaire, fruit des cogitations de la défunte
« Merkozie », mais aussi des engagements pris par 25 des 27
Etats-membres de l’UE. Le président français a estimé, en
effet, que les récentes négociations avaient permis d’obtenir « la
réorientation » attendue de l’UE, en considérant que les
dispositions acquises en matière de croissance, même si elles
ne faisaient pas l’objet d’un Traité qui équilibre juridiquement le
Traité budgétaire en cours de ratification, lui donnaient
satisfaction. Reste à savoir si, entre autres, les mélanchonistes
et habituels contestataires de « l’Europe libérale » qui peuplent
les allées du pouvoir à Paris, l’entendront de cette façon. Le PS
qui dispose, à lui seul, de la majorité absolue à l’Assemblée
nationale sera considéré comme le maître du jeu, mais au-delà,
se pose la question de l’autorité du président de la République.
Angela Merkel qui a obtenu, le 29 juin, une ratification-canon
par le Bundestag du Traité budgétaire et du mécanisme
européen de sécurité (avec l’appui du SPD) a également
accepté d‘avaliser le document sur la croissance voulu par son
vis-à-vis français. (« vis-à-vis », en effet, et non « alter ego », les
prérogatives d’un président constitutionnel allemand n’ayant
rien à voir avec celles que la constitution de la Vème République
attribue aux chefs d’Etat français, même quand il s’agit de
présidents « ordinaires »).

Les crédits seront, en principe dégagés, en faisant appel aux
cinquante cinq milliards d’euros scandaleusement inemployés,
qui dorment, faute de projets, dans les tiroirs des fonds
structurels communautaires ; puis à une soixantaine de
milliards de prêts générés par une augmentation du capital de
la Banque européenne d’investissements (BEI) et, enfin, une
poignée d’autres milliards d’euros affectés au lancement du
pilotage de projets destinés à financer de nouvelles
infrastructures intercontinentales. 120 milliards d’euros (soit 1% approximativement du PIB), représentent, il faut le savoir,
une mise de fonds relativement modeste au niveau européen,
si on compare ce montant, par exemple, à ceux qui ont dû être
dégagés pour empêcher la seule Grèce de se noyer.
Mario Monti a obtenu, de son côté, les « assouplissements »
qu’il ambitionnait, grâce au rachat de titres souverains par les
fonds de sauvetage mis en place par l’Union.

Mariano Rajoy, enfin, s’est vu concéder la recapitalisation
directe des banques espagnoles par les fonds de sauvetage
européens, afin d’éviter qu’elle ne prenne la forme de prêts
consentis aux Etats et n’alourdisse leur dette. Ces dispositions,
cependant, ne seront applicables qu’en 2013. Ce qui donne
des marges appréciables à la spéculation.

Même les « fédéralistes » auraient le droit de dire qu’ils sont
partie prenante au processus en cours, puisque, au nom du
concept « d’intégration solidaire » auquel s’est rallié François
Hollande, ils ont obtenu le renforcement de la capacité de
supervision du secteur bancaire par la Banque centrale
européenne, préconisé par Mario Draghi dans la perspective de
la mise en oeuvre d’une Union bancaire européenne dont l’un
des objectifs serait de mettre fin aux jeux séparés des
superviseurs nationaux, qui peuvent conduire à des chocs
destructeurs, comme celui qui vient d’aboutir à la quasibanqueroute
de la quatrième banque espagnole, avec 23,5 milliards d’euros à la clé.

Tout baigne donc ?

Certes pas… On s’en apercevra, en France, avec le « cassetête
de la règle d’or », au cours de l’automne et plus
généralement quand les tenants de la classe politique
prendront conscience de l’ampleur des changements que la
crise de l’euro sont encore appelés à provoquer.