Politique globale du climat et démocratie mondiale

, par Fernando Iglesias

Les effets sur le climat et la géographie planétaires -tels que
l’accroissement des températures moyennes, la fonte des
calottes glaciaires, la désertification, l’augmentation du nombre
et de l’ intensité des cyclones et autres phénomènes
climatiques dévastateurs- ont placé la question du
réchauffement global en tête de l’agenda global. On peut
observer un renforcement du consensus scientifique sur
l’importance des causes liées au modèle actuel de civilisation
et au fait que l’énergie constitue la matrice du phénomène. La
prise de conscience planétaire de la gravité de la menace
augmente. L’attribution du Prix Nobel de la paix à Al Gore et au
« Panel intergouvernemental sur le changement climatique »
des Nations unies a montré l’importance croissante de la
question sur la scène mondiale.

Bien que la Conférence de l’ONU de 2007 sur le changement
climatique à Bali, en Indonésie (notez bien le nom : il ne
mentionne même pas la question du réchauffement global) se
soit conclue par un accord pour négocier un futur accord — ce fut
en fait un autre échec déguisé en succès. Une feuille de route
dont les objectifs sont soit abstraits soit relégués à des notes
en bas de page, un budget de 307 millions d’euros pour aider
au changement technologique du monde sous-développé qui
nécessiterait en fait des milliards et la promesse paradoxale
d’un « Kyoto II », constituaient un maigre résultat face à la
menace considérable que le changement climatique fait peser
sur l’humanité. Tandis que les débats sur les causes
climatiques du réchauffement global augmentent, l’échec des
agences intergouvernementales met en lumière une origine
politique plus profonde.

Regardons la situation : un bien public global qui appartient à
l’humanité tout entière (l’éco-système) est en grand danger en
raison des politiques énergétiques irresponsables qui sont
menées — avec un degré différent d’irresponsabilité — par la
plupart des Etats-nations du monde. La raison est évidente :
l’émission des gaz qui causent l’effet de serre est une affaire
excellente pour les compagnies et les sociétés depuis que les
effets négatifs de la consommation d’essence, de charbon et
de gaz sont partagés par tous les êtres humains, tandis qu’ils
en contrôlent entièrement les bénéfices.

Qui plus est, si nous passons des acteurs économiques aux
acteurs politiques, le résultat ne change pas : il est pratique
pour chaque nation de maintenir une législation
environnementale permissive à l’intérieur de ses frontières
parce que les coûts de l’émission sont payés par tous les pays,
tandis que les bénéfices sont exclusivement engrangés par les
compagnies du pays pollueur.

Asynchronies globales

Le résultat du conflit entre les problèmes mondiaux actuels et
une notion territoriale restreinte de la souveraineté nationale, a
été l’incapacité des Etats-nations, des organisations
internationales et des comités intergouvernementaux,
d’apporter des réponses adéquates et efficaces. La
conséquence de ce développement asynchronique peut être
symbolisé par des rythmes radicalement différents : un système
technologique qui avance à la vitesse de la lumière, qui se
manifeste par l’internet et les ondes électro-magnétiques des
mass-media globales, un système économique qui va à la
vitesse du son, symbolisé par des managers globaux qui
parcourent le monde dans des avions subsoniques et un
système politique dominant qui progresse à la vitesse d’un
train, dispositif emblématique de la toute première modernité.
Ce n’est pas un accident si, dans le système qui en résulte,
technologiquement et économiquement intégré (global) mais
politiquement fragmenté (national/international), un accord sur
des objectifs modestes tels que le protocole de Kyoto (1997) a
été rejeté par les deux pays qui sont les deux principaux
responsables des émissions globales : la Chine et les Etat-
Unis. C’est pourquoi un hypothétique Kyoto II, non seulement
manque d’une véritable base mais aussi décevant et insuffisant
face à l’ampleur du défi. Tout Etat participant à un hypothétique
accord du type de celui de Kyoto se trouverait manifestement
dans une situation désavantageuse sur le marché mondial
comparé à ses concurrents qui décideraient de ne pas y
souscrire. Cela renforcerait la tendance actuelle à établir un
système de dumping écologique global puisque dans un
système internationalement fragmenté, la récompense va au
cancre de la classe. Il est regrettable que, en même temps que
le réchauffement global progresse, des accords inefficaces tels
que celui de Kyoto et des conférences sans conclusion telles
que celle de Bali rassurent la conscience mondiale avec un
faux message : les Etats-nations et leurs dirigeants font
quelque chose pour résoudre le problème.

La cause d’une Assemblée parlementaire des Nations Unies (UNPA) : vers un Parlement mondial

La crise causée par le réchauffement global et l’insuffisance
des solutions apportées par les agences
intergouvernementales montrent qu’il faut transformer les
Nations unies pour réaliser les objectifs pour lesquels cette
organisation a été créée. Le moment est venu de construire
des institutions mondiales démocratiques qui s’occupent des
intérêts communs des citoyens du monde et pas seulement de ceux des gouvernements du monde. Je veux parler d’un
Parlement mondial. Un Parlement mondial qui appartient aux
rêves les meilleurs de l’humanité, au moins de ceux de
Tennyson et de Victor Hugo, est maintenant apparu comme
une nécessité urgente et vitale pour stopper le mélange
oppressant de chaos et de tyrannie apporté par la domination
du nationalisme et du présidentialisme sur les questions
mondiales. Au-delà de la question elle-même, l’initiative la plus
avancée dans le domaine de la construction d’une institution
parlementaire mondiale avec des pouvoirs législatifs sur les
questions globales, c’est la Campagne pour l’établissement
d’une Assemblée parlementaire des Nations unies (UNPA)
lancée en avril 2007 par le Comité pour des Nations unies
démocratiques (KDUN), le Mouvement fédéraliste mondial et
un vaste réseau d’ONG et de membres de parlements du
monde entier.

L’appel de la Campagne pour une UNPA a été approuvé par
plus de 600 membres de parlements de plus de 90 pays. La
Campagne promet de réitérer le travail immense effectué dans
les années 90 par la Coalition pour une Cour pénale
internationale (CCPI) qui a conduit à la mise en place de la CPI
en 2002, ce qui a constitué un pas important vers la
globalisation de la justice.

Cependant la question qui se pose est : que pourrait faire une
Assemblée parlementaire dans le domaine du réchauffement
global, une fois établi qu’elle serait initialement composée de
membres des parlements nationaux et que ses pouvoirs
seraient purement consultatifs ? Comment pourrait-elle
apporter une contribution qui « fasse la différence » par rapport
— dirons-nous — à celle apportée par la Conférence de l’ONU sur
le changement climatique ou par l’Agence environnementale de
l’ONU proposée par le précédent Président français Jacques
Chirac ou toute autre proposition internationale donnée ? Ce
que l’UNPA peut offrir n’est rien moins que la démocratie. Dans
la mesure où l’incapacité de traiter le réchauffement global
découle du déficit démocratique de l’ordre mondial, seule une
assemblée parlementaire peut attirer l’attention sur le facteur
politique qui cause la crise et apporter une contribution décisive
à sa solution à travers un programme comportant des étapes
successives.

D’abord, une Assemblée parlementaire de l’ONU, qui pourrait
être créée par une résolution adoptée par la majorité de
l’Assemblée générale conformément à l’article 22 de la Charte,
pourrait demander une Assemblée mondiale de
l’environnement comme Jacques Chirac l’avait proposé. Cela
donnerait une légitimité démocratique à la proposition et
rendrait ainsi plus viable un projet contre le réchauffement
global visant à remplacer le Protocole de Kyoto qui expire en
2012. Cela devrait être un projet global (ni international, ni
intergouvernemental) avec des objectifs bien plus ambitieux
que ceux fixés à Bali et qui comprendrait des mesures punitives
spécifiques (en terme de commerce international, flux de
trésorerie, etc.) pour les nations (et les compagnies
appartenant à ces nations) qui essaient de conquérir des
avantages compétitifs en violant ses règles. Un principe
politique global devient ici assez évident : pour participer au
marché économique mondial, vous devez respecter les
régulations écologiques mondiales. Les nations qui choisissent
de ne pas participer en évoquant leur souveraineté peuvent
continuer à vendre leurs marchandises à l’intérieur de leurs
frontières souveraines mais elles trouveraient des barrières
protectionnistes si elles essaient de vendre à l’extérieur. Si le
projet d’une Assemblée environnementale mondiale était
supervisé par l’UNPA et approuvé par l’Assemblée générale
des Nations unies, seul le veto de l’un des cinq pays membres
permanents du Conseil de Sécurité pourrait empêcher son
application mondiale. Quel gouvernement démocratique
voudrait affronter les énormes pressions qui s’élèveraient s’il
s’opposait à un projet globalement et démocratiquement
élaboré ? Un gouvernement des Etats-Unis se confronterait-il à
un impact électoral imprévisible sur ses électeurs qui ont une
sensibilité plus importante à l’égard des questions
environnementales que leur gouvernement national ?

Au pire, le protocole qui en serait résulté pourrait être approuvé
par les autres pays avec une légitimité incomparablement plus
importante que ne l’a eu celui de Kyoto ou que celui qui
émanerait d’une quelconque conférence intergouvernementale
telle que celle de Bali. La question des sanctions contre des
« Etats rebelles » pourrait être mise entre les mains de
l’Organisation mondiale du commerce en charge du dumping
écologique et de la violation des règles du commerce.

Naturellement, concernant l’établissement graduel d’un
Parlement mondial et le défi du réchauffement global, on ne
peut pas suggérer qu’il existe une solution magique.
Cependant, la possibilité d’impliquer une institution globale de
représentants élus, avec des méthodes plus démocratiques
pour traiter les conflits inévitablement engendrés par un monde
qui se globalise de plus en plus, n’est pas suffisamment
reconnue. La simple existence de l’UNPA, sa capacité de traiter
la question du réchauffement global et son objectif d’élaborer
des recommandations sur des questions globales d’une
manière démocratique, pacifique et consensuelle
constitueraient un pas en avant extraordinaire. Cela ouvrirait
probablement la voie pour appliquer à la résolution des
questions mondiales la même recette que nous considérons
aujourd’hui comme irremplaçable pour l’obtention des décisions
politiques nationales : la démocratie.

Finalement, si l’UNPA réussissait à faciliter une réaction
globale satisfaisante au problème du réchauffement global, il
serait plus facile de la transformer en un véritable Parlement
mondial avec des activités permanentes, une élection directe
des représentants et des compétences législatives concernant
les questions mondiales importantes.

Les gouvernements nationaux comprendront-ils, en se basant
sur l’expérience de l’Union européenne, que quand ils confient
des compétences qu’ils ne peuvent plus assumer d’une
manière appropriée par eux-mêmes, à une entité démocratique
supranationale, ils ne perdent pas vraiment de pouvoir mais
qu’ils en gagnent ? Irons-nous vers une Assemblée
parlementaire des Nations unies, puis vers un Parlement
mondial, ou devrons-nous attendre une crise dont les
proportions et les conséquences seraient similaires à celles de
la seconde guerre mondiale, une future « guerre civile mondiale
causée par le réchauffement global », comme le craint le
Secrétaire Général de l’ONU ?

P.-S.

Fernando IGLESIAS
Député argentin et membre du Parlement latino-américain. Fondateur de Democracia Global – Movimiento pro Federación Americana y el Parliamento Global.
Buenos Aires.
Membre du Conseil mondial du WFM

Article publié en coopération avec The Federalist Debate - Turin

Traduit de l’anglais par Jean-Luc PREVEL - Lyon