Pour que ce soit le dernier des traités !

, par David Soldini

Ou ce que devraient penser et faire
les progressistes en Europe
fâce à ce traité insatisfaisant…

David SOLDINI
Universitaire - Vice-Président de l’UEF France - Paris

Le Traité de Lisbonne est une première dans l’histoire européenne. C’est la première fois depuis le début de l’aventure européenne qu’un traité a comme ambition affichée de renoncer aux objectifs que s’étaient fixé les pères fondateurs de l’Europe. Pour la première fois dans l’histoire de l’intégration, les Chefs d’Etats et de gouvernements ont tranquillement et consciemment essayé d’enterrer la perspective d’union politique. C’est écrit noir sur blanc dans les protocoles. Le retrait des symboles européen, du drapeau, de l’hymne, de la devise, de la Charte des droits fondamentaux, ne figurant plus dans le corps du Traité, l’abandon du nom même de Constitution et d’une dénomination normale des textes européens (qui continuent à se nommer directives, décisions, règlements, au lieu de lois et lois cadres) sont des éléments qui n’ont pour seule fonction de mettre un frein à l’évolution de l’Union vers un système politique et démocratique.

C’est véritablement une première dans l’histoire européenne (UE). Car si l’UE est habituée aux stop and go, aux propositions ambitieuses accouchant de souris, le Traité de Lisbonne se caractérise par le fait qu’il renonce clairement à l’objectif fixé par les pères fondateurs : faire de l’Europe une fédération.

Certes, le Traité de Lisbonne reprend certaines innovations prévues par la Constitution et améliore sans doute le cadre institutionnel de l’UE. Mais il serait irréaliste de se servir de ces maigres avancées pour justifier ou excuser ces reculs symboliques, mais lourds de sens.
Ainsi, les non français et néerlandais ont bien servi aux nationalistes et aux anti-européens. Il n’y a, de ce point de vue, aucune amélioration quelle qu’elle soit par rapport au projet de traité constitutionnel.

Pour autant il faut également admettre que ce Traité est le fruit d’une négociation entre des gouvernants de moins en moins europhiles. Pouvait-on faire mieux ? Sans doute pas, étant donné la composition actuelle de la classe politique européenne. Fallait il faire mieux ? Sans aucun doute, et le texte constitutionnel, était effectivement un pas important dans la bonne direction.

Alors que faire aujourd’hui ?

Un traité mauvais, presque insultant pour ceux qui, depuis cinquante ans, se battent pour l’unité européenne ; une classe politique faible, l’œil rivé sur les opinions publiques nationales, et soucieuse, avant toute chose, de maintenir son faible pouvoir. Faut-il dire non ? S’insurger, au risque de paralyser encore une fois les institutions ? Sans doute pas.
Faut il accepter cela et considérer que l’affaire est réglée, comme le souhaitent les dirigeants nationalistes qui se sont pressés aux micros des journalistes pour annoncer, tout contents, que ce Traité était bon pour dix, quinze, vingt ans ? Certainement pas.

Le Traité de Lisbonne présente quelques réformes intéressantes, sur lesquelles, sans doute, il est possible de construire. La disposition probablement la plus novatrice est la clause de révision. En effet, pour la première fois dans l’histoire européenne, un texte communautaire prévoit une procédure démocratique pour la réforme des Traités : une Convention doit être réunie pour décider des changements majeurs à apporter aux Traités. Tout gouvernement, le Parlement européen ou la Commission peuvent soumettre au Conseil une proposition de modification du Traité. Le Conseil décide alors à la majorité simple s’il y a lieu de réunir une Convention.

Ainsi, il est fort probable que le prochain texte fondamental communautaire ne sera pas négocié par les Chefs d’Etats et de gouvernements, suivant la procédure honteuse (du point de vue de la démocratie) de l’intergouvernementalisme, mais sera le fruit d’un travail démocratique, réalisé par les représentants des citoyens et des gouvernements. Le prochain texte fondamental ne sera donc pas négocié comme un traité classique car il sera le fruit du travail d’une Assemblée. Une procédure de ratification uniforme en Europe pourrait renforcer le caractère véritablement européen et démocratique de la procédure. Enfin, l’idée que ce nouveau texte, qu’il faudra bien appeler Constitution, puisse entrer en vigueur sans que l’ensemble des Etats l’ait ratifié, cassant ainsi la règle de l’unanimité, pourrait effectivement permettre l’émergence d’une véritable union politique démocratique. Certes, cela n’est pas prévu par le présent Traité. Cependant la réunion d’une nouvelle Convention pourrait créer un bras de fer, une tension utile, entre le pouvoir constituant démocratique -la Convention- et le pouvoir diplomatique des Chefs d’Etats et de gouvernements. Ce conflit pourrait permettre de finalement sortir d’une situation qui favorise la position la plus prudente, la plus nationaliste, la plus populiste et la moins efficace, comme ce fut le cas lors des dernières négociations.

Les forces politiques progressistes devraient aujourd’hui conditionner l’approbation de ce nouveau et mauvais Traité à la réouverture immédiate des négociations, dans le cadre d’une Convention. Une telle perspective pourrait permettre de rassembler ceux qui considèrent qu’il est impossible de dire non car l’Europe est dans un état dramatique et ceux qui considèrent qu’il faut dire encore une fois non car ce texte est lui-même dramatique et largement insuffisant.

En France, le président Sarkozy a clairement écarté cette perspective, rejoignant dans ses déclarations les eurosceptiques Gordon Brown et Lech Kaczynski. Les progressistes ne doivent pas accepter un tel état de fait. Le Traité de Lisbonne ne permet pas à l’UE de fonctionner, il ne donne pas à l’Europe les compétences qui devraient être les siennes en matière de politique étrangère et de politique économique notamment.

Tant que les Chefs d’Etat et de gouvernement décideront seuls, à l’unanimité et dans le secret, l’intérêt général européen ne sera pas représenté lors des négociations et elles aboutiront nécessairement à un compromis insuffisant. Le nouveau Traité, malgré toutes ces imperfections, permet de rouvrir la question constitutionnelle que des gouvernants nationalistes ont voulu enterrer à jamais. Il permet de le faire dans des conditions qui pourraient marquer une véritable rupture dans l’histoire européenne. S’il y a une bonne raison pour soutenir ce mauvais texte, c’est bien celle-ci : qu’il soit le dernier d’une longue série et surtout qu’il soit vite, très vite, balayé par l’histoire.