Quand l’Europe se déglingue

, par Jean-Pierre Gouzy

Un distingué chroniqueur du Figaro a cru devoir titrer son article du 16 décembre dernier : « L’Europe se meurt, l’Europe est morte » en nous expliquant pourquoi « en l’espace d’un an », elle « est devenue une sorte de canard sans tête qui continue à courir, sans savoir qu’elle n’existe plus » sur le plan industriel « assassinée par les fonctionnaires bruxellois » ; sur celui de l’énergie et des transports « assassinée par Angela Merkel » quand elle a répudié « le recours à l’énergie nucléaire » ; sur celui des politiques financières et de la croissance quand Bruxelles a voulu imposer coûte que coûte « une doxa gravée dans le marbre depuis plus de vingt ans » ; celui de la sécurité, enfin, quand Angela Merkel a choisi « de manière unilatérale d’ouvrir les portes de l’Allemagne à tous les migrants qui le voulaient » et de « tuer, par la même occasion Schengen et la libre circulation des citoyens européens ». Il ne resterait, donc plus, qu’une « Europe politique » dont le caractère assez dérisoire est sommairement mis en lumière. Or, précisément, c’est là où le bât blesse : il n’y a pas d’Europe politique à proprement parler, aujourd’hui sur notre continent. Comme le déclare, tout de go, Daniel Cohn-Bendit, dans le Journal du dimanche du 27 décembre, nous sommes en face d’une Europe « adémocratique », au sein de laquelle, on décide à l’unanimité, en imposant « le régime de la minorité ». Il est aisé, dans ces conditions, de mettre « tout sur le dos de l’Europe alors que les Etats-nations sont en réalité ceux qui empêchent les décisions ». Que faire dans ces conditions ? Pour D.C-B., on se doit d’affronter une réalité incontournable : « revoir l’architecture démocratique, aller plus loin avec une Constitution européenne, quitte à laisser de côté les Etats récalcitrants qui sortiront de l’espace politique commun, tout en restant dans l’espace économique ».

À très grands traits cette option fondamentale nous convient, quand nous observons le spectacle que donne le continent européen où l’euroscepticisme et l’euro-populisme prospèrent, où les formations politiques traditionnelles, incapables de sortir de leurs cloisonnements coutumiers trébuchent, qu’il s’agisse des « réfugiés » ou de l’emploi, de la sécurité ou de l’éveil régional au Royaume-Uni (avec l’Ecosse), en Espagne (avec la Catalogne, voire au Pays-basque), en France (avec la Corse qui vient de se rappeler à son bon souvenir).

Certains évènements majeurs récents ne font que nous renforcer dans nos intimes convictions… Tel est le cas des élections en Pologne, le 25 octobre dernier,qui ont donné la majorité absolue aux ultraconservateurs et eurosceptiques patentés du PIS (« Droit et Justice »),leur permettant de prendre le pouvoir à Varsovie, et du même coup, de faire tomber un État essentiel de l’Union européenne (UE) dans leur escarcelle. Tel est le cas du Danemark où le référendum du 3 décembre suivant a permis , sous la pression de l’extrême-droite (« Parti du peuple danois ») qui soutient le gouvernement libéral minoritaire du cru comme la corde soutient le pendu, de répondre formellement « non » à plus d’Europe dans le domaine de la coopération judiciaire et policière. Tel est le cas en France où le Front National a échoué de peu, le 19 décembre 2015, à faire main basse sur les nouveaux exécutifs régionaux, mais qui a permis électoralement au parti d’extrême-droite de monter en puissance dans l’hexagone en revendiquant 6.820.000 voix et plus de 27 % des suffrages exprimés ainsi que 358 sièges dans les conseils régionaux. En Espagne, les élections qui se sont tenues le 20 décembre, ont confirmé l’avancée de nouvelles forces démocratiques plus ouvertes « au changement », que les partis traditionnels. À savoir : Podemos à gauche de l’échiquier politique et Ciudadanos qui se situe au centre, mais avec un résultat paradoxal ; personne n’est d’accord avec personne, au sein des partis qui ont monopolisé le bilatéralisme depuis la fin du franquisme et des jeunes formations nouvelles apparues sur l’échiquier politique au moment où pour la première fois depuis 2008, le chômage (21 % de la population active) commence à baisser et où la croissance repart à l’envie.

L’Europe qui s’introverse et se cloisonne au lieu de s’ouvrir et de se renforcer n’est-elle pas en train, à des degrés divers et sous différentes formes, de se déglinguer tout bonnement ? Il faut, à cet égard, prendre au sérieux, la dernière « sortie » de Cohn-Bendit. Les fédéralistes devraient être les premiers à le comprendre, mais à propos, où sont les fédéralistes en ce début d’année 2016 ?