SARKO, L’EUROPE ET L’OTAN

, par Jean-Pierre Gouzy

Notre souverain-président du moment a décidé que la France réintégrerait solennellement l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN), en ce printemps de grâce 2009, quarante trois ans après que son illustrissime ancêtre et inspirateur, le général de Gaulle, eut décidé de faire l’inverse en sortant de celle-ci. Le 7 mars 1966, Charles le Grand fit, en effet, connaître son intention de répudier l’organisation intégrée du Pacte atlantique, tout en maintenant l’hexagone au sein de l’alliance conclue vingt ans plus tôt avec Washington pour faire face à la menace stalinienne. Cette communication fit l’objet d’une simple épistole adressée au président américain de l’époque, Lyndon B. Johnson. Le 9 mars, le Conseil des ministres français confirma, comme un seul homme, que la France entendait bien rétablir sur son territoire « sa pleine souveraineté ». Les 10 et 11, dans des aide-mémoires adressés à ses alliés, Paris annonça le retrait des forces atlantiques et américaines stationnées dans l’hexagone. Retrait devenu effectif dès le début de 1967, au profit de la grande banlieue de Bruxelles, où le siège de l’OTAN coule des jours paisibles depuis lors.

La démarche gaullienne présentée au nom de « l’Europe européenne » s’inspirait évidemment beaucoup plus des préoccupations de la « France française », dotée depuis peu de sa propre force de frappe nucléaire. En fait, Charles le Grand, s’il avait fait preuve de clairvoyance en se faisant le théoricien de « l’armée de métier », était irasciblement hostile à toute idée d’intégration, qu’elle fut atlantique ou européenne. C’est au nom d’une telle perception qu’il avait déjà répudié, dans les années 1950, les projets de Communauté européenne de défense (CED) et de Communauté politique (CPE) dite « supranationale ». Pour lui, seules les « coalitions » étaient acceptables. Elles avaient, à ses yeux, le mérite d’être interchangeables à merci.

Depuis lors, plus de quatre décennies s’étant écoulées, « l’Europe de la défense » s’est-elle pour autant réalisée ? Chacun peut percevoir qu’en dehors d’accords de coopération technique et d’opérations communes ponctuelles, elle relève de l’illusionnisme, surtout si, voici dix ans désormais, dans les accords franco-britanniques de Saint-Malo, on a prétendu la sortir de l’ornière où elle n’a cessé de croupir, quoi qu’en disent les « personnalités autorisées » qui tentent périodiquement de démontrer le contraire…

Nicolas Sarkozy, dans cette affaire avance à front renversé. Soutenu par le gros des bataillons de la force de frappe (parlementaire) de l’UMP, il vante les mérites de sa démarche, en tentant de démontrer par « a + b » que la France pèsera bien plus à l’intérieur (de l’organisation intégrée) que de l’extérieur. Les souverainistes, évidemment, vilipendent le « choix de l’allégeance ». D’une manière générale, dans l’opposition, on dénonce ce retour au bercail atlantique « sans véritable contrepartie », au grand étonnement d’Angela (Merkel), de Sylvio (Berlusconi), de Gordon (Brown), de Vaclav (Klaus) et de Jose-Luis Rodrigez (Zapatero), malgré leurs divergences proprement européennes.

A vrai dire, ces querelles ne sont pas les nôtres. C’est pourquoi nous nous limiterons à deux remarques essentielles : d’une part, l’OTAN, en tant que communauté des démocraties occidentales, a besoin d’être profondément repensée dans ses mission et ses fondements. Cette réflexion essentielle fait cruellement défaut, alors que l’Alliance telle qu’elle a été conçue a, depuis vingt ans déjà, pacifiquement gagné « la guerre froide ». D’autre part, c’est une Union toujours divisée en États souverains qui prétend composer le « pilier européen » de l’Alliance. Il est paradoxal et même choquant de constater que les Européens en restent au stade intergouvernemental en matière de défense proprement européenne, alors qu’ils ne paraissent voir aucun inconvénient à se retrouver, sous la houlette de l’Oncle Sam, dans une organisation militaire intégrée au sein de laquelle les États-Unis détiennent la quasi-totalité des postes clés. Quand donc viendra-t-il à l’esprit de nos dirigeants politiques que rien, fondamentalement, au sein de l’Alliance Atlantique ne changera tant que les Européens resteront incapables de créer une force fédérale capable d’équilibrer qualitativement et quantitativement celle des Etats-Unis ? Si la volonté politiquement affirmée d’aller dans ce sens, avec ou sans les Britanniques, n’existe pas, la démarche sarkozienne aura la valeur d’un pas de clerc, une fois de plus !