Sauver l’Union européenne !

, par Henri Paraton

Henri Paraton

Membre du groupe Construction européenne de Attac Rhône - S’epxrime ici à titre personnel

Il est préférable de parler de l’Union européenne (UE),
plutôt que de l’Europe, car leurs périmètres sont
différents.

Tout d’abord une remarque : de même que les Français
accusaient l’euro d’être trop fort pour leur permettre
d’exporter, alors qu’Allemands et Néerlandais y arrivaient
(pourquoi ?), nous accusons maintenant les agences de
notation d’être à l’origine de tous nos maux !

Comme diraient nos amis anglo-saxons « don’t shoot the messenger ! »

Même si nous pouvons leur reprocher d’appartenir à des
groupes financiers qui se sont servis des agences de
notation pour nous « fourguer » leurs « subprimes » en
faisant croire que c’était aussi bon que des emprunts
d’Etat (dettes souveraines), leurs notations actuelles de la
situation financière de nos pays ne semblent pas
déplacées.

En fait la situation de la France et celle des pays
européens dont la notation a été dégradée est grave, voire
catastrophique, et ce n’est pas en cassant le thermomètre
que nous ferons baisser la température.

Quelles sont les causes de cette situation ?

Elles sont multiples, parmi celles-ci nous pouvons citer :

  • baisse des impôts des citoyens les plus riches ;
  • crise de solvabilité des fonds de pension ;
  • extrême diversité des situations des Etatsmembres
    de la zone euro ;
  • laxisme des divers gouvernements concernés, y
    compris des gouvernements français et allemand
    (épisode peu reluisant de la mise entre
    parenthèses des accords de Maastricht, en
    2005) ;
  • crise des prêts hypothécaires (« subprimes »),
    provoquée par la guerre en Afghanistan et en
    Irak ;
  • construction inachevée de la zone euro.

La baisse des impôts des citoyens les plus riches

Cette politique, issue de la pensée libérale, développée
par Milton Friedman, et mise en oeuvre par le Président
Reagan, aux Etats-Unis, et le Premier Ministre
britannique, Margaret Thatcher, a été initiée, en France,
sous la Présidence de Jacques Chirac, et a connu des
sommets avec la Présidence de Nicolas Sarkozy.

C’est à qui endettera le plus et le plus vite la France.
Il est vrai qu’en période faste, la gauche, au début des
années 2000, a donné le mauvais exemple en compensant
par des baisses d’impôts, les déficits moindres que
prévus, sous la pression de la droite qui criait : « la
cagnotte, la cagnotte ».

Toujours est-il qu’avec la baisse des taux d’imposition des
plus riches, leur bouclier fiscal (porté de 60 à 50 %, en
2007) et la multiplication des niches fiscales, en leur
faveur, toutes ces mesures ont contribué à creuser le
déficit de l’Etat et de la Sécurité sociale (SS) et à
accroître, de façon catastrophique, l’endettement de la
France qui est très supérieur à celui de l’Espagne, pays
actuellement attaqué.

De 2007 à 2012, l’endettement de la France augmenterait
de plus de 500 milliards d’euros (82 % de notre PIB, à fin
2010), quand celui de l’Espagne n’atteindra 77,4 %, qu’en
2016.

Le développement rapide du chômage, dû aux mesures
d’austérité, qui ne peut qu’aggraver les déficits des
comptes de la SS et de l’Etat.

Dans le même temps les statistiques semblent indiquer
que les ménages les plus riches continuent de s’enrichir et
le gouvernement, qui a décidé de faire donner des « cours
de morale » à l’école, ne semble pas désireux de mettre
sérieusement à contribution ceux qui pourraient aider la
France à se désendetter.

La crise de solvabilité des fonds de pension

Enivrés par la hausse permanente de 10 % par an des
valeurs boursières, jusqu’au début des années 2000, les
dirigeants des fonds de pension anglo-saxons se sont
gavés de « bonus » et ont généreusement distribué des
dividendes plus que confortables à leurs actionnaires.
La crise des NTIC (dot.com) qui a fait chuter les Bourses
de 50 %, en septembre 2000, a entraîné la quasi
insolvabilité des fonds de pension anglo-saxons.
Une fois la chute survenue la question pour eux était :
comment faire face à leurs obligations vis-à-vis de leurs
souscripteurs ?

Les capitaux restants ne le leur permettaient plus. Il
fallait donc pressurer les entreprises dont ils détenaient
des actions, pour leur faire « cracher » 15 à 20 % de
dividende.

Cela a provoqué des vagues de licenciements avec pour
objectif de réduire les frais de personnel afin d’accroître
les résultats. L’effet secondaire de ces licenciements fut
l’accroissement de la charge de travail des salariés encore
en place qui purent faire des heures supplémentaires,
pour partie, mais surtout subirent des cadences infernales
qui se traduisirent, entre autres, par des suicides.

Et puis la crise des « subprimes », en 2008, a fait chuter
les valeurs mobilières, remettant, à nouveau, en question
la solvabilité des fonds de pension, problème que les
promoteurs de ces retraites par capitalisation évitent
d’évoquer.

Que font les gouvernements pour aider les fonds de
pension ? Ils décrètent que le système de retraite actuel
(qu’il soit par capitalisation ou répartition) n’est plus
viable, nous sommes priés de les croire, et qu’il convient
de retarder l’âge de départ à la retraite.

Cela accroît les résultats des entreprises et laisse plus de
temps aux fonds de pension pour essayer de retrouver
une certaine solvabilité, d’autant qu’entre temps ils sont
passés des « prestations définies » (les futurs retraités
savent ce qu’ils vont gagner et le fonds de pension est
responsable), aux « cotisations définies » (le fonds de
pension n’est aucunement responsable du résultat et le
futur retraité ne sait absolument pas ce qu’il va
percevoir).

Mais en ce qui concerne les retraites par répartition, sa viabilité dépend de la démographie (elle est bonne en
France), de la durée de vie de la population concernée
(elle est supposée s’accroître de façon importante en
France, mais ces « projections » devraient être révisées
tous les 5 ans pour être valables), du niveau de chômage /
activité (la remontée catastrophique du chômage, en
France qui revient à 10 %, niveau atteint en 2000, quand
le Président de la République, Jacques Chirac décida de
supprimer le service militaire, renvoyant plus de 300.000
jeunes dans leurs foyers) et du montant des cotisations
versées (rôle néfaste des suppressions de cotisations sur
les heures supplémentaires ; l’Etat a-t-il les moyens de les
compenser ?).

L’extrême diversité des situations des Etats-membres de la zone euro

Si l’Allemagne et les Pays-Bas exportent massivement et
ont un excédent commercial très important, que ce soit
avec leurs partenaires de l’UE ou avec le reste du monde,
d’autres pays, comme la France, l’Espagne, l’Italie et la
Grèce ont des déficits excessifs de leurs balances
commerciales, tant vis-à-vis des autres pays de l’UE que
vis-à-vis du reste du monde.

L’Allemagne a basé son économie sur les machines-outils
et l’industrie mécanique de façon plus générale ; les Paysbas
sont plutôt dans le négoce et la transformation des
produits agricoles ; la Grèce travaille dans le tourisme ; la
France essaie de faire un peu de tout : tourisme, agroalimentaire,
agriculture, automobile, aviation,
électronucléaire ; mais sans être considérée comme la
meilleure dans aucun de ces domaines.
Leurs organisations sociales : poids et rôle des
organisations syndicales, et leurs politiques économiques
et sociales sont très différentes.

C’était ce que craignaient les signataires du Traité de
Rome de 1957 qui, entre autres, dans l’article 3 g)
demandaient « l’application de procédures permettant de
coordonner les politiques économiques des Etats
membres et de parer aux déséquilibres dans leurs
balances des paiements » et h) : « le rapprochement des
législations nationales dans la mesure nécessaire au
fonctionnement du marché commun ».

Le laxisme des gouvernements

En 2005, en dehors de toute crise européenne ou autre,
les gouvernements français et allemand ont refusé
l’application, à leur encontre, des sanctions prévues par le
Traité de Maastricht pour les pays qui ne respectaient pas
les critères et, plus spécialement les 3 % maximum de
déficit budgétaire (Etat et SS ensemble).

Ceux-là même qui en période favorable ne respectaient
pas le critère de 3 %, voudraient le porter à 0 % même en
période de crise...

Par ailleurs tout se passe comme si, au lieu de gouverner,
dans l’intérêt de tous leurs concitoyens, les
gouvernements et, singulièrement, le gouvernement
français, se faisaient dicter leur politique par les milieux
d’affaires, en général, et financiers, en particulier.
« Gouverner, c’est prévoir », dit-on, en l’occurrence, non
seulement le gouvernement français n’a rien prévu, mais
il a laissé faire, ce qui est très « libéral », mais aussi une
preuve flagrante d’incompétence, car réagir à chaud, une
fois dans la crise, s’avère difficile, surtout si l’on doit
obtenir l’aval de 16 ou 26 autres pays.

A moins, comme diraient les cyniques qu’il ait
volontairement laissé se dégrader la situation pour
pouvoir « sauver la France » en vendant les « bijoux de
famille », en l’occurrence les services publics.

La crise des prêts hypothécaires (subprimes)

Nombre de ménages américains empruntaient à taux
variable, avec une hypothèque, pour l’achat de leur
maison et de nombreux autres objets : électroménager,
voiture,... les taux d’intérêt, étaient très bas, aux Etats-
Unis, en 2000.

La guerre d’Irak, qui a suivi celle d’Afghanistan,
provoquée par les attentats du 11 septembre 2001, si elle
a enrichi certains Américains, entre autres les
actionnaires d’Halliburton, a ruiné les Etats-Unis.
Du coup, le dollar s’est mis à se dévaluer par rapport aux
autres devises, rendant excessivement coûteux les
échanges des Etats-Unis avec le reste du monde.

La Réserve fédérale a relevé les taux d’intérêt et les
Américains, dont les taux d’intérêt étaient indexés à ceuxci,
se retrouvèrent excessivement endettés et en faillite.
Et c’est ainsi que des millions de ménages ont vu leur
maison saisie et se sont retrouvés à la rue.

Cela aurait pu rester un problème américain si des
banques européennes ne s’étaient trouvées, elles aussi, à
prêter sur le marché immobilier américain et si les
banques, de toutes nationalités, n’avaient cherché à faire
passer par la « titrisation » le « mistigri » aux acheteurs de
valeurs mobilières, entre autres, européens, à qui les
agences de notation ont garanti la qualité de ces
investissements qui, à l’usage, se sont avérés « pourris »
(junk bonds).

La construction inachevée de la zone euro

Jacques Delors et les concepteurs de l’euro pensaient que
les critères de Maastricht : 3 % maximum de déficit et
endettement maximum de 60 % du PIB étaient
nécessaires, mais pas suffisants. Il fallait aussi un
gouvernement fédéral et une politique économique
commune avec convergence des critères sociaux.

Réunis au sein d’un même Etat (fédéral), ces pays, si
divers, pourraient se compléter et une politique
économique et financière adaptée leur permettre de vivre
ensemble, dans de bonnes conditions, ce qui n’est pas le
cas actuellement.

Les dirigeants des divers pays membres de l’UE ont failli
à la tâche que leur avait confiée le Traité de Rome de
1957.

En effet son article 2 stipule : « La Communauté a pour
mission, par l’établissement d’un marché commun et par
le rapprochement progressif des politiques économiques
des Etats membres, de promouvoir un développement
harmonieux des activités économiques dans l’ensemble
de la Communauté, une expansion continue et équilibrée,
une stabilité accrue, un relèvement accéléré du niveau de
vie et des relations plus étroites entre les Etats qu’elle
réunit »
.

En conclusion

Nous pouvons dire que le changement d’orientation de
l’UE, par rapport au Traité de Rome de 1957, est une
catastrophe pour les peuples des pays membres. Les
principes énoncés aussi bien par le Projet de Traité
constitutionnel que par le Traité de Lisbonne sont des
leurres.

Par exemple le principe de « concurrence libre et non
faussée », qui revient comme un « leitmotiv » est bafoué
quand le gouvernement français et l’organisme de
régulation exigent qu’en France EDF vende, à perte, son
électricité à des sociétés commerciales pour leur
permettre de concurrencer le fournisseur historique.

Pourquoi ces sociétés ne vendent-elles pas soit ce qu’elles
produisent (mais peut-être ne produisent-elles rien ?) soit
ce qu’elles achètent, sur le marché, au prix du marché ?
De même le gouvernement français force la SNCF à
abandonner ses créneaux les plus chargés au profit de la
concurrence. Vous avez dit concurrence ?

Par ailleurs nous pouvons lire dans l’hebdomadaire libéral
britannique The Economist que le Premier Ministre
britannique David Cameron se prépare à subventionner la
réindustrialisation des îles britanniques (la dévaluation de
la livre sterling, par rapport à l’Euro ne leur suffit plus).
Mieux encore, le Royaume-uni et The Economist
s’opposent à la mise en place de règles de concurrence,
par la Commission de Bruxelles, entre les Bourses
européennes, c’est-à-dire entre la City et Francfort... Qui
disait que les Britanniques étaient les défenseurs du
libéralisme économique et de la « concurrence libre et
non faussée » ?

Et si, pour sauver l’Union européenne,
nous commencions par appliquer
les principes du Traité de Rome de 1957 ?