Traité transatlantique : un épouvantail pas encore façonné !

, par Alain Réguillon

Par Alain REGUILLON, président de l’UEF-France, directeur de la publication « Carnet d’Europe »

Certains ont le chic pour engager le débat sur des sujets qui n’ont plus ou pas encore d’objet. En 2005, ce fut
la « directive Bolkenstein » qui n’était pas une directive et dont le projet avait été retiré par la commission
compétente du Parlement européen qui avait décidé de le modifier profondément. N’empêche, l’épouvantail
brandi à ce moment-là a pesé sur bien des suffrages.

Aujourd’hui, c’est le traité transatlantique de libre échange avec les USA (TTLE) qui fait recette. Il est vrai que
les attaques contre l’euro ayant fait un flop -la majorité de nos concitoyens veulent bien le voir baisser, mais
pas disparaître-, il fallait trouver un autre angle de déstabilisation pour inquiéter l’électeur : va donc pour le
TTLE !

En réalité, de quoi s’agit-il ? Petite explication pour curieux honnête !

L’Union ne joue pas contre ses intérêts

Premier point à noter. Un accord de libre échange avec les États-Unis, quel qu’il soit, entre dans le
fonctionnement ordinaire d’une puissance commerciale. L’Union européenne en est une. Et même la
première. Quant aux USA, ils sont notre premier client avec quelque 17% d’importations européennes alors
que leurs exportations vers l’Union ne sont que de 11,5%. Notre balance commerciale avec ce pays-continent
est donc bénéficiaire : doit-on s’en plaindre ?

Par ailleurs, il convient de souligner que les accords passés par l’Union avec toute autre pays ou organisation
internationale ne portent pas que sur des aspects commerciaux et entrent dans la logique de sa politique
extérieure. Autre point important : tous les accords passés doivent être conformes aux principes
démocratiques et de solidarité que l’Union s’impose et entend promouvoir avec le reste du monde. Les
accords doivent également être en cohérence avec les politiques conduites en interne sur le territoire de
l’Union.

Le Traité transatlantique devra donc être conforme à ces principes et aux intérêts des politiques
européennes. Alors pourquoi penser, a priori, que l’Union jouera contre ses intérêts ?

Le projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement

Les États-Unis et l’Union européenne représentent ensemble 30% des échanges commerciaux internationaux,
50% du PIB mondial et financent les 2/3 des programmes de recherche et d’innovation. Autant dire qu’un
accord entre ces deux géants aura des répercussions sur tout le commerce mondial, mais aussi sur toutes les
actions de développement et d’innovation.

Les enjeux. Sur le plan réglementaire, c’est de rendre les intérêts des producteurs compatibles avec ceux des
consommateurs. En matière d’innovation et de recherche, les intérêts des deux puissances sont imbriqués et
une coopération plus forte entre elles serait de nature à être plus efficace. La numérisation de l’économie
est un atout pour la multiplication et la simplification des échanges. Dans ce domaine, un rééquilibrage vers
l’Union est nécessaire.

Lun des enjeux est d’ordre démocratique en ce sens que la négociation doit se faire en toute transparence et
la Commission doit largement communiquer auprès des citoyens pour éviter toute suspicion et rejet
populaire d’un tel accord. Cette dimension n’a pas échappé au Conseil économique et social européen qui s’est
saisi du dossier, ni au Parlement européen qui suit avec beaucoup d’attention cette négociation dans laquelle
il a décidé de s’impliquer pleinement.

Les obstacles. Ils proviennent essentiellement d’une différence de conception entre Européens et Américains.

Pour les Européens, les points de divergences sont les suivants :

  • Questions tarifaires : les propositions des USA sont considérées comme bien inférieures à celles de l’Union d’où dossier pour l’instant mis de côté ;
  • Accès aux marchés publics : pas d’avancées car le gouvernement américain est lié par la loi qui lui impose de n’acheter qu’à des entreprises américaines. L’Union exige que les entreprises européennes soient traitées
  • comme les entreprises américaines (pas de restrictions liées à la nationalité). Cela pose un problème d’ordre législatif aux Américains.
  • Volet réglementaire : divergence forte car les Américains veulent en rester à des principes généraux et les Européens à des accords sectoriels précis ;
  • Mécanisme de règlements des différents entre entreprises (instance d’arbitrage internationale) : il enlèverait aux États et à l’Union le droit de réguler. C’est un système qui existe au sein de l’ALENA et qui
  • permet à une entreprise de pouvoir attaquer un État si elle estime qu’une législation nuit à ses intérêts. Cette instance est refusée par l’Union.
  • Les indications géographiques : il s’agit là d’une divergence de fond sur les appellations d’origine que les Européens veulent protéger ;
  • La protection des données personnelles : c’est le dossier sensible par excellence surtout après les révélations d’Edward SNOWDEN sur les écoutes américaines généralisées. Par ailleurs, il s’agit d’un marché
  • de plus de 1000 milliards de dollars d’ici à 2020 d’où des enjeux stratégiques et commerciaux considérables.

Pour les Américains, les obstacles sont davantage d’ordre institutionnel :

Le blocage du Congrès. Il refuse de renouveler la procédure accélérée de ratification parlementaire et
menace de revenir sur tout ou partie des négociations, bloquant ainsi l’adoption ;
Quant aux agences fédérales américaines, elles demandent le respect de leurs prérogatives et n’entendent
pas être dépossédées d’une part de leur souveraineté.
Un autre problème se pose, c’est la négociation engagée par les États-Unis avec onze autres pays ce qui
pourrait avoir un impact sur l’accord américano-européen par la circulation d’autres produits autres
qu’américains.

Des priorités à la vigilance.

S’il est important que des accords interviennent avec le reste du monde, l’urgence est de muscler l’Union. Sur
le plan institutionnel, il faut que la méthode communautaire –avant l’avènement d’un fonctionnement
fédéral- reprenne le pas sur celle intergouvernementale. Sur le plan économique, il faut créer de nouveaux
géants industriels, notamment dans le domaine du numérique, et faciliter la vie des PME/PMI afin de créer
des emplois. Sur le plan énergétique il faut une vraie politique commune favorisant la transition écologique
de nos modes de production et de consommation et renforçant notre indépendance. Sur le plan de la
compétitivité, il faut conjuguer et doper nos efforts de recherche et d’innovation en renforçant la qualité de
nos universités et en jumelant davantage les centres de recherches avec les industries de production, cela est
indispensable à la création de nouveaux emplois. Enfin, il faut revoir la politique agricole commune qui
décroche par rapport au reste du monde et forger une vraie solidarité entre Européens par des politiques de
cohésion et de développement plus ambitieuses prenant en compte la libre circulation des travailleurs dans
des conditions équitables et en conduisant une politique commune d’immigration car l’Union vieillit et nous
aurons besoin d’un apport de main d’œuvre étrangère à court terme.

Alors, il ne faut pas rejeter la négociation avec les Etats-Unis d’Amérique qui reste notre partenaire naturel. Il
faut considérer cela aussi face à la montée en puissance des Russes, des Chinois, des Indiens, des Brésiliens et
bientôt de pays d’Afrique. La vigilance doit être la règle de la négociation dont l’aboutissement n’est pas
urgent. Ce qui est regrettable, c’est que de tels accords ne soient pas multilatéraux. Il serait peut-être urgent
aussi de relancer les négociations au sein de l’OMC, négociations en panne depuis 2006 et qui poussent à des
accords bilatéraux insatisfaisants.

Ce qu’il faut dire en conclusion, c’est que le traité transatlantique n’est pas encore signé, que ce ne doit pas
être un épouvantail et que, selon le poids que l’on donnera au Parlement européen à l’issue des élections du
25 mai, celui-ci pourra peser plus ou moins fort pour empêcher les États de signer trop vite un mauvais
accord. Alors, le 25 mai : aux urnes, citoyens !

Lyon, le 18 mai 2014