Un gouvernement européen : oui, mais pour quoi faire ?

, par Florent Banfi

Une idée qui semblait « farfelue » il y a quelques années est aujourd’hui
quotidiennement présente dans les medias, crise oblige. Gouvernance
économique de la zone euro, gouvernement économique européen,
contrôle du budget des Etats par la Commission, sont autant de
propositions visant toutes à renforcer l’efficacité économique du
fonctionnement communautaire. Nous nous concentrerons ici uniquement
sur la plus complète de celle-ci, soit la création d’un gouvernement
européen ayant des compétences accrues en matière économique.

Un rapide regard sur les propositions fédéralistes de ces trente dernières
années nous rappelle que le gouvernement européen est un thème qui a
toute sa part dans notre corpus d’idées au même titre que la monnaie
unique ou que l’élection au suffrage universel direct du Parlement
européen. Néanmoins, depuis le Traité de Maastricht, force est de constater
que la dimension économique du gouvernement européen s’est renforcée.
La récente « crise grecque » a souligné le besoin d’un réel gouvernement
pour l’Union européenne (UE). Un gouvernement européen sensé influer
sur les problèmes économiques touchant l’Europe ou, dit autrement, un
gouvernement économique européen, sont présentés comme une étape
fondamentale dans le fonctionnement du système politique européen. Mais
au-delà de la proposition fédéraliste, est-ce qu’un gouvernement
économique européen est « LA » solution contre tous les maux et
dysfonctionnements révélés par la crise grecque et la crise financière ?
Lorsque certains pays ont rejoint la zone euro, leur capacité d’endettement
s’est améliorée grâce à la meilleure garantie apportée par celle-ci. Le risque
que représentaient leurs emprunts étant plus faible, le taux auquel ces pays
ont pu emprunter sur les marchés le fut tout autant. Ils se sont donc
retrouvés plus ou moins du jour au lendemain ; avec une augmentation de
leur capacité d’emprunt sans que cette dernière soit liée à une amélioration
de leur économie ou à un besoin réel. Ces flux de capitaux entrants se sont
transformés en dette publique et privée.

La crise financière a empiré la dette des Etats, déjà délicate, en augmentant
leur déficit suite au sauvetage du système bancaire et au soutien apporté à
la demande par les plans de relance.

Nous pouvons ajouter à ce tableau que la Grèce a triché avec ses comptes
en masquant une partie de la réalité. Lorsque le pot aux roses fut
découvert, les marchés ont commencé à spéculer sur la dette grecque.
Cette dernière nécessitant un refinancement à court terme, la spéculation
devint rapidement problématique. Dans un second temps, les taux grecs
ont poursuivi leur ascension mais cette fois-ci le motif des spéculations fut
l’absence de décision des leaders européens.
A partir des éléments ci-dessus présentés, quels problèmes ont-ils été mis
en lumière et en quoi un gouvernement économique permettrait-il de les
résoudre ? Nous concentrerons notre propos sur quatre thèmes.

Régulation financière internationale

La crise financière a porté sur le devant de la scène le manque de
transparence et de régulation des marchés financiers. L’UE a aujourd’hui
les moyens, grâce aux compétences qui lui sont propres de par les traités,
de mettre en place de nouvelles règles applicables en interne. Néanmoins,
la régulation financière n’est pas une question purement intra-européenne
et du fait de la dimension internationale des marchés, c’est au niveau
mondial que de telles règles doivent être appliquées. Ces modifications des
règles du jeu financier au niveau mondial s’effectuent par des discussions
bilatérales entre États. Un gouvernement européen en matière économique,
ayant la capacité de porter la voix européenne au niveau mondial, aurait
beaucoup plus de poids et donc d’efficacité que trois ou quatre États
européens agissant de façon non coordonnée.

Comment prévoir ? Contrôle du budget et transparence…

La crise grecque a révélé sans laisser le moindre doute possible que les
règles mises en place par le Traité de Maastricht étaient inefficaces.
L’absence de transparence de la part du gouvernement grec fut une
surprise qui a démontré que l’UE n’avait pas les moyens de vérifier les
données communiquées par les États. Un régulateur européen pourrait être
un outil important pour améliorer la transparence financière des comptes
publics des États européens.

Au-delà de la question de la transparence, l’absence de prévention efficace
est également révélée dans l’incapacité des États à se plier aux règles de
contrôle des déficits (même l’Allemagne y a dérogé pendant une année). Ce
qui nous apporte deux nouvelles problématiques : le contrôle trop faible
sur les finances des États membres de la zone euro (mais pas uniquement)
et l’absence de coordination de ces derniers. En ce qui concerne le contrôle
des budgets, le point fondamental est de séparer l’instance de contrôle et le
Conseil. Il est nécessaire, bien que non suffisant, que le contrôle soit
effectué par un organe le plus indépendant possible des potentiels
coupables, sous peine d’accords bilatéraux entre eux et d’un
fonctionnement biaisé ce qui reviendrait à la même situation que le statu
quo. Bien qu’indépendante des États, en théorie, la Commission
européenne s’est révélée impuissante lorsqu’il a fallut appliquer des
sanctions contre les pays ne respectant pas le pacte de stabilité. C’est donc
par une augmentation des pouvoirs de la Commission, en la transformant
en gouvernement européen doté d’un budget propre suffisamment
indépendant ? que ce problème sera réglé.

Absence de coordination

La crise grecque a montré que le Conseil était incapable de prendre une
position commune dans un délai bref. En ce sens, un gouvernement
européen pourrait agir de façon plus rapide et efficace n’ayant pas
d’unanimité à respecter dans ce domaine. Le gouvernement européen
n’étant pas juge et partie, pourrait coordonner les États beaucoup plus
facilement que si ce travail de coordination était effectué par un État
membre.

Absence d’action

Le deuxième élément qui a favorisé la spéculation des marchés a été
l’absence de réponse des dirigeants européens à la crise de la dette.
L’absence d’action se divise en deux problèmes : absence de prise de
décision et absence de moyens financiers et politiques pour agir. Les
dirigeants européens agissent principalement pour des raisons de politique
intérieure et ont démontré leur incapacité à prendre en compte des
questions dépassant leurs frontières et à agir de concert, laissant la Grèce
agoniser au gré des marchés. Le Conseil a démontré qu’il n’était pas
l’institution adéquate pour gérer les problèmes de gouvernance de l’UE à
cause de son fonctionnement.

Un gouvernement européen, entendu comme renforcement des
compétences et de la légitimité de la Commission, pourrait favoriser
l’action de l’UE à condition de se doter de financements propres et
suffisamment indépendants des Etats.

Après la crise financière

Personne ne peut nier que la crise financière se soit transformée en crise
économique. A la suite de la crise économique, nous pouvons parier que
l’Europe aura une crise sociale importante à affronter. Crise à laquelle les
fédéralistes n’ont pas de réponse structurée aujourd’hui et qui nécessitera
une coordination européenne pour en sortir.

Au-delà de la stabilisation de la crise économique, et des feuilletons sur la
dette des Etats au rythme des communications des agences de notations,
se pose le problème de la sortie de crise grâce à une croissance solide et
durable. Une simple coordination des politiques économiques des Etats ne
suffira pas à investir dans des gains de productivité et à soutenir la
demande.

Et la démocratie : envolée ?

Bien que l’Europe ait évolué suite aux crises passées, cette dernière crise a
rappelé que le fonctionnement de l’UE pouvait être tout sauf démocratique
et que les améliorations de la dernière Convention sont très fragiles : le
Conseil a décidé sans consulter la société civile ni le Parlement, de
contourner les traités.

Les marchés financiers ont eut plus d’impact sur les politiques
économiques des Etats (nous sommes passés des plans de relance à
l’austérité) quelque soit l’avis des parlements et des citoyens. En
extrapolant, nous pourrions dire que les principaux lobbyistes pour la
cause européenne se trouvent en salle de marché et non plus dans le
Parlement.

Comment sortir de la crise ?

Force est de constater que les décisions prises par le Conseil sont tout
sauf réellement efficaces à moyen terme et ont plus pour objectif d’être un
effet d’annonce à court terme qu’une réelle modification fédérale de l’UE
pourtant nécessaire.

Le Conseil, à cause des membres qui le composent, ne prendra pas
d’initiative pouvant créer un gouvernement européen. Les seules tentatives qui émergent ici ou là sont de nature à renforcer la dimension
intergouvernementale de l’UE et donc ce qui l’a rendue inefficace jusqu’à
maintenant. Ce n’est donc pas du Conseil qu’il faut attendre un sursaut
démocratique.

En revanche, le Parlement européen a, depuis Lisbonne, la possibilité de
démarrer un processus de modification des traités par une Convention.
Aujourd’hui le dindon de la farce de cette crise, mis de côté par les États
comme s’il n’existait pas, le PE doit se réveiller et utiliser les nouveaux
pouvoirs dont il dispose pour obtenir une nouvelle Convention. Cette
dernière sera la seule à permettre l’émergence d’un réel gouvernement
européen, en lieu et place de la Commission européenne, qui soit
démocratique, légitime, indépendant financièrement, bref… efficace.

P.-S.

Florent BANFI
Membre du Bureau de l’UEF France - Jeunes Européens France - Paris

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