Il y a « 30 ans » nous avons publié…

Pour les droits civiques des travailleurs immigrés

Bertrand Saint-Gal de Pons

Extraits d’un rapport présenté au Congrès de la JEF France, Lyon, septembre 1975 - Adopté à l’unanimité

Les Jeunes fédéralistes européens avaient déjà fait campagne
contre le service militaire à circonscription universelle
obligatoire. Il a paru utile de se lancer dans une direction
nouvelle, mais toujours pour la même cause... et la bonne
cause. Le thème que nous vous proposons est « les droits
sociaux, civiques et politiques des travailleurs immigrés ».

Il s’agit de combattre par ce nouveau biais le nationalisme (le
racisme...), le « tout dans la nation, rien en dehors » (qui exclut
les non nationaux). La conception nationale de la dignité et de
la responsabilité, du pouvoir et des libertés, qui fait que celui
qui n’est pas bleu-blanc-rouge est à part dans notre douce
France..., et c’est pareil pour les autres pays de la
Communauté européenne.

Le partage international équitable du travail n’existe pas. En
attendant ces beaux jours, les pays industriels, notamment
ceux de la CEE, doivent en grande partie leur prodigieuse
croissance industrielle des années 60, à une main-d’oeuvre
immigrée. Ces pays s’adaptent tant bien que mal à la crise
actuelle grâce à la mobilité de cette même main-d’oeuvre (« que
l’on jette après usage »).

En 1961, la CEE (6 pays) comptait 1.700.000 travailleurs
migrants, en 1973 (9 pays) elle en compte 6 millions, ce qui fait
11 millions de migrants étrangers avec leurs familles dont 75 %
d’étrangers « extracommunautaires ».

En France, au 1° janvier 1974, les travailleurs migrants étaient
1.900.000, soit 8 % de la population active et représentaient
avec leurs familles 4 millions de résidents, soit 7,7 % de la
population totale.

On connait par l’actualité les manifestations les plus
spectaculaires que peuvent provoquer le racisme, la
discrimination linguistique ou sociale, la pauvreté sous toutes
ses formes, l’insécurité, la clandestinité... Tous ces éléments
sont liés à la situation du migrant étranger.

Mais si cette société à part constitue une multitude de citoyens
de « seconde zone », irresponsables, en « transit » prolongé sur
le sol français, c’est parce qu’ils sont majeurs devant la loi
pénale et mineurs devant la loi politique et sociale. Prenons le
cas français sachant qu’il est similaire à celui des autres pays
de la CEE : c’est la nationalité qui classe son homme et
l’absence de cette nationalité qui déclasse.

Travailleur français

La nationalité française donne au travailleur la possibilité, à
certaines conditions d’exercer des droits dans l’Etat et dans
l’entreprise.

  • dans l’Etat, le Français, travailleur ou non, peut voter aux élections municipales, cantonales, législatives, présidentielles et être élu ;
  • dans l’entreprise, le travailleur français peut élire le délégué du personnel ou les membres du comité d’entreprise, il peut élire le délégué syndical, le conseiller au conseil des prud’hommes ou se présenter à ces diverses élections.

Le travailleur français participe à la production nationale. Il
touche un salaire et il paie son impôt. Il bénéficie également de
la législation sociale et est soumis au droit pénal. Il en va de
même pour son collègue (camarade) qui n’a pas la nationalité
française.

Travailleur immigré

Pourtant, à cause de cette qualité de travailleur étranger, il a un
statut spécial pour ses droits à l’égard de l’Etat et de
l’entreprise :

  • à l’égard de l’Etat, il subit son côté répressif, profite dans certaines conditions de sa législation sociale ; mais il est menacé en permanence dans ses libertés publiques au moins par une mesure d’expulsion, d’extradition ou d’assignation. Et il n’a aucun droit civique, ni celui de voter, ni celui de se faire
  • élire à quelque niveau de l’Etat que ce soit.
  • dans l’entreprise, le travailleur étranger comme le national peut élire ou être élu dans les élections au comité d’entreprise ou dans celles pour les délégués du personnel. Pour l’élection du délégué syndical apparaît une nouvelle ségrégation. Les travailleurs communautaires sont habilités, tandis que les non communautaires ne peuvent pas participer à ces élections.

Mais aucun travailleur étranger, qu’il soit communautaire ou
non communautaire, n’a le droit d’être administrateur syndical.

Les législations nationales sont discriminatoires, pas le PNB.
Les législations nationales sont dépassées par le volume de la
circulation des hommes. Les démocraties, pour mériter encore
ce nom, doivent aller au-delà du critère de souveraineté
nationale, de nationalité (battu en brèche depuis l’invention de
la machine à vapeur)...

L’idéal, et j’insiste sur ce côté idéal, car sa réalisation
rencontrerait des difficultés énormes (conventions bilatérales,
frontaliers, identité européenne...), l’idéal serait l’accession des
travailleurs migrants aux droits politiques par la réalisation d’un
statut unique des travailleurs migrants qu’ils soient ou non
communautaires pourvu qu’ils soient dans la Communauté (…)