Le Brexit, une opportunité pour ceux qui restent… isn’t it ?

, par Ophélie Omnes

Pendant longtemps, la position timorée, parfois contre-productive, souvent contestée, du gouvernement britannique vis-à-vis de la construction européenne a pu être considérée comme une épine dans le pied des Européens, qui les empêchait de pouvoir aller de l’avant. De ce point de vue, on pourrait donc considérer que le départ des Britanniques (quand il sera enfin finalisé) permettra à l’Union européenne d’avancer et de parachever la construction politique du continent. Cependant, si le triste spectacle que donne à voir le Brexit depuis 2016 a en réalité également nui à l’Union européenne depuis 2016, il pourrait en susciter le réveil.

Le Royaume-Uni n’est pas responsable de tous les maux européens

Tout d’abord, l’activation effective de l’article 50, au demeurant peu précis, est la démonstration de la réversibilité de l’intégration européenne, en dépit de la volonté initiale des rédacteurs du Traité de Lisbonne d’introduire une porte de sortie, dans l’espoir que son existence même empêcherait qui que ce soit d’essayer de la prendre. Dès lors, cet épisode constitue un précédent malheureux dans une Union dont les Etats se sont engagés à œuvrer à ce qu’elle soit « sans cesse plus étroite ».
En outre, l’Union européenne à 27 ne s’est pas révélée prête à sauter le pas décisif au parachèvement de sa construction politique, même dans la perspective du départ des Britanniques. En effet, les positions austères des Frugal 4 (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) au moment des discussions relatives aux contributions nationales des Etats membres au budget européen ou le veto initialement posé par la Hongrie et la Pologne au cadre financier pluriannuel 2021-2027 en raison de leur opposition relative au respect de l’état de droit sont autant d’exemples des blocages institutionnels subis par l’Union européenne au cours des derniers, sans que le Royaume-Uni n’ait eu aucun rôle à jouer. Néanmoins, ces épisodes démontrent, si c’était encore nécessaire, que le véritable problème de l’Union européenne vis-à-vis de sa propre construction réside dans son incapacité de réformer ses institutions et de prendre les décisions qui s’imposent pour devenir un ensemble véritablement politique et démocratique, et non le seul positionnement d’enfant difficile adopté par l’un ou l’autre de ses Etats membres.

Le Brexit est finalement un contre-exemple de souveraineté mal exercée

Pendant toute la campagne pour le Brexit, il a été question pour le peuple britannique de « reprendre le contrôle » (« take back control »). Néanmoins, il s’agit là d’un exemple parfait d’une bien mauvaise gestion de la souveraineté qu’un peuple peut exercer par le biais de ses représentants, puisque le Royaume-Uni s’en est retrouvé plus affaibli, et non plus fort.
Ainsi, l’expérience ratée du Brexit, et les conséquences extrêmement dommageables auxquelles les autorités britanniques continuent d’exposer leurs citoyens, sont un plaidoyer vivant pour la construction européenne. Le spectacle désolant, particulièrement dans l’hypothèse d’un no-deal, des montages juridiques plus inventifs les uns que les autres auxquels citoyens et entreprises doivent recourir afin de pouvoir espérer diminuer l’impact que le Brexit aura sur leur accès au marché intérieur, en termes de liberté de circulation des marchandises et des services, mais aussi et surtout des personnes, ne peut qu’inciter les Etats européens à réfléchir à deux fois avant de décider d’appuyer sur la gâchette de l’article 50. Les si prestigieuses universités outre-Manche auront ainsi bien du souci à se faire une fois qu’elles seront sorties du réseau européen au sein duquel les étudiants venus de toute l’Union européenne peuvent se déplacer librement car sûrs d’obtenir une équivalence à leur diplôme.
Par ailleurs, au cours du (long !) processus qu’a constitué le Brexit, cette expérience qui aurait pu être traumatique pour l’Union européenne si elle n’était pas parvenue à faire preuve d’unité, s’est finalement révélée comme une opportunité pour les 27 de prouver qu’ils étaient capables d’adopter un front commun, pour peu qu’ils en aient la volonté politique. Ce constat, loin d’aller de soi en 2016, doit être accueilli comme un motif d’espoir pour les modifications structurelles et institutionnelles qui devront être entreprises (et aboutir) pour parvenir à l’établissement d’Union plus démocratique et plus efficace (en un mot, fédérale). Ce n’est qu’ensemble que les Européens peuvent prétendre être plus forts, pas en cédant aux caprices illusoires du nationalisme.

Un potentiel rebond pour la construction européenne

A plus ou moins court terme, eu égard aux réalités qu’il a permis de mettre en exergue, le Brexit doit être considéré par l’Union européenne comme l’occasion de rebondir, et de prendre des mesures concrètes d’éviter une nouvelle expérience du genre.
Dans un premier temps, elle doit se débarrasser à tout prix de la règle de l’unanimité. Le pouvoir de blocage du Royaume-Uni au niveau européen n’aurait jamais pu être aussi grand si l’Union n’avait pas elle-même permis de pouvoir être prise en otage par l’un de ses Etats membres, au moyen du veto. La règle de la majorité qualifiée doit devenir la règle en matière de prise de décisions européennes au sein du Conseil si l’Union ne veut pas devenir une construction sclérosée, tributaire du seul bon vouloir des gouvernements de ses Etats membres.
En outre, à terme, seul le développement d’une véritable sphère européenne, de nature à susciter un sentiment d’appartenance permettant l’exercice d’une citoyenneté vivante par les habitants du continent européen. Cela permettra d’éviter de reproduire la situation insoluble qui a mené au Brexit, dans laquelle la moitié des citoyens d’un Etat appartenant à un ensemble comme l’Union européenne considère qu’elle n’a rien en commun avec cet ensemble et préfère partir. Le départ des Britanniques peut – et doit – être envisagé comme une opportunité de donner aux citoyens européens les moyens d’envisager la construction européenne comme une réponse efficace aux défis actuels, et non plus comme une idée issue des élites.