Pourquoi l’Afrique du Sud conteste-t-elle la justice internationale ?

, par Roberto Toscano

L’Afrique du Sud a annoncé son intention de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI), juridiction qui, depuis 2002, est chargée, conformément au Statut de Rome signé en 1998, de juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. L’annonce sud-africaine est sensationnelle mais certainement pas inattendue.

Depuis des années maintenant, la Cour est la cible de critiques acerbes de la part de nombreux États africains qui l’accusent de discriminations, notant que les huit procédures engagées par le bureau du procureur de la CPI concernent uniquement des États africains : la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la République centrafricaine, le Soudan, le Kenya, la Libye, la Côte d’Ivoire, le Mali ; la République du Burundi, à la veille de l’ouverture d’une enquête, a déjà entamé la procédure de retrait de la CPI.

L’Afrique du Sud ne fait l’objet d’aucune enquête mais le Ministre de la Justice a expliqué la décision en soulignant la contradiction existant entre la juridiction de la Cour et l’immunité dont jouissent les principaux dirigeants politiques de chaque pays.

Il y a ainsi deux types de critiques qui convergent pour pousser les africains à se retirer du système de la CPI.

Opposer l’immunité des plus hauts leaders politiques à la compétence de la Cour revient à nier la raison même d’être de cette dernière, instituée précisément pour éviter que le terme "immunité" se lise comme comprenant l’impunité face aux crimes les plus atroces. Si le problème est bien là, alors quelques-uns des 124 États (africains ou non) ayant adhéré au Statut de Rome feraient mieux de s’en dégager pour des simples raisons de cohérence.

De plus, en Afrique, plus qu’ailleurs, les leaders criminels soumettent leurs populations respectives à des répressions massives pour des raisons ethniques ou tribales qui servent habituellement de couverture à des systèmes de corruption et d’exclusion, et parfois même d’extermination, comme ce fut le cas du génocide au Rwanda en 1994. Ainsi, en Afrique, beaucoup de gens perçoivent la CPI comme une protection pour les populations en raison de l’effet dissuasif que la Cour peut produire sur les dirigeants sanguinaires. Mais eux aussi dénoncent une évidente disproportion entre l’attention portée au continent africain et celle portée aux autres continents où l’on trouve pourtant des situations présentant également de graves violations des droits humains. Comme l’a déclaré un haut responsable de l’Union africaine : « Pourquoi pas l’Argentine ? Pourquoi pas Myanmar ? Pourquoi pas l’Irak ? ».

Une fois encore, ce qui ressort est la faiblesse d’un système international dans lequel les inégalités et les asymétries font que les normes et les institutions qui seraient nécessaires pour assurer un monde moins violent et moins injuste perdent finalement leur crédibilité. En partant de la présence au sein des Nations Unies d’États « plus égaux que d’autres » (les membres du Conseil de sécurité), trop nombreuses sont les situations dans lesquelles le critère de base, qui est pourtant à l’origine de la reconnaissance et des règles communes, a été perdu, à savoir celui de « l’égalité de tous devant la loi ».

Quelqu’un peut-il affirmer qu’il existe un droit d’exterminer sa propre population par un génocide et que les dirigeants responsables de telles atrocités doivent être couverts par l’immunité ?
Ce n’est pas qu’une question d’obligation morale mais aussi une question de rationalité politique car il serait étrange de ne pas voir comment de telles actions criminelles produisent une grande partie de l’instabilité mondiale – du terrorisme aux flux de réfugiés.

Mais pouvons-nous défendre un système qui est fort avec le faible et faible avec le fort ?

De plus, à propos de la CPI, il ne serait pas juste de nous limiter aux critiques et au rejet émis par les seuls pays africains.
Nous devrions rappeler que les États-Unis, bien qu’ils aient participé à la rédaction du Statut de Rome et qu’ils l’aient signé sous la Présidence Clinton, non seulement ne l’ont jamais ratifié mais ont aussi annulé la signature sous la Présidence de Bush. Pourquoi ? Parce qu’il a déclaré que, compte tenu de leurs responsabilités mondiales, il n’était pas acceptable que non seulement les hauts responsables mais aussi les soldats fassent l’objet de procédures qui pourraient être souillées par des intentions politiques. Sous la présidence Bush, l’hostilité américaine à la CPI a conduit à l’approbation par le Congrès d’un mécanisme de sanction (annulation des programmes d’aide militaire) visant les pays qui n’accepteraient pas d’accorder l’immunité aux citoyens américains contre les poursuites devant la CPI. Avec Obama, Washington est passée de l’hostilité à une coopération pragmatique mais est restée ferme en maintenant le principe que la Cour ne pourrait jamais juger les citoyens américains.

Ainsi, il n’y a pas que les Africains qui veulent éluder la juridiction de la Cour – une Cour dont la faiblesse actuelle est le résultat de ses propres erreurs (la pire pour un Tribunal : appliquer des double standards) mais, en vérité, cela concerne un problème plus général de la politique : celui de la relation gênante entre le pouvoir et le droit.

La route vers la justice internationale est très longue, très problématique et très cahoteuse.

P.-S.

Roberto Toscano
Ancien Ambassadeur italien en Iran et en Inde – Editorialiste de La Republica

Article publié initialement en anglais par The Federalist Debate - Turin

Traduit de l’anglais par Marion Larché - Paris.