Conférence sur l’avenir de l’UE : Les français sont-ils en train de devenir fédéralistes ?

, par Gérard Perret

Largement ignorée par les médias français, la Conférence sur l’avenir de l’Europe et ses extensions nationales permettent d’évaluer les changements de l’opinion publique européenne et française sur sa perception de l’évolution de la construction européenne et des attentes qu’elle suscite. Et ceci, d’une manière plus qualitative que les eurobaromètres et les différents sondages sur le sujet. En effet cette conférence comporte deux outils permettant une consultation directe des citoyens européens :

  • une plateforme multilingue où chaque citoyen est invité à poster son opinion ou ses propositions sous 9 rubriques (1- changement climatique et environnement 2- santé 3- économie, justice sociale, emploi 4- UE dans le monde 5- valeurs, primauté du droit, sécurité 6- transformation numérique 7-démocratie européenne 8- migration 9- éducation, culture , jeunesse et sport) ;
  • et 4 panels de 150 citoyens tirés au sort dans les 27 États membres selon la méthode des quotas et traitant de 4 groupes de sujets (1- économie, justice sociale, emploi, éducation, jeunesse, sport, culture, transformation numérique 2- Démocratie européenne, valeurs et État de droit, sécurité 3- changement climatique, environnement 4- UE dans le monde, migrations).
    Dans une perspective fédéraliste je me limiterai à l’analyse des données issues du deuxième panel citoyen sur la démocratie européenne et sur les propositions faites à la rubrique démocratie de la plateforme en y sélectionnant les propositions d’inspiration fédéraliste. Cette consultation ainsi que l’ouverture du site ont eu lieu tout au long de l’année 2021 et a donc été en partie impactée par la pandémie de la Covid-19. Parallèlement le secrétariat d’État aux affaires européennes (Clément Beaune) a organisé dans les 13 régions métropolitaines et les cinq régions ultramarines des conférences citoyennes calquées sur le même format que les panels européens et qui ont rassemblé 746 citoyens.
    Les propositions qui ont été communes aux trois types de consultations sur la démocratie européenne peuvent être classées en trois rubriques :
  • 1. Institutions : 1-1 Amélioration de la gouvernance actuelle : généralisation vote majorité qualifiée, listes transnationales et statut pour les partis politique européens, droit d’initiative législative du Parlement européen, élection au suffrage universel des exécutifs (commission, conseil ou fusion des 2) et 1-2 Nouvelle gouvernance : c’est ici que l’on constate une différence majeure entre panel européen et français. Le premier se contente de proposer d’ouvrir une discussion sur une constitution de l’UE alors que le second préconise clairement de tendre vers une fédération d’États d’Europe dotée de compétences fortes dans des domaines d’intérêts communs ;
  • 2. Vie démocratique : référendum européen, protection des migrants et des demandeurs d’asile, protection des données personnelles ;
  • 3. Information, communication et éducation civique : créer des chaines TV/radio européennes multilingues, développer une meilleure communication des instances de l’UE, utiliser les technologies modernes de traduction pour réduire les barrières linguistiques afin de renforcer l’identité européenne, éduquer à la citoyenneté européenne, lutter contre la désinformation.

En examinant plus précisément les propositions faites par les conférences citoyennes françaises, on trouve outre la surprenante proposition de création d’une fédération, (qui arrive en cinquième proposition d’un total de 14 portant sur les 9 rubriques de la plateforme européenne), un profond désir de la part de nos concitoyens d’ouverture démocratique du fonctionnement de l’UE et de création d’un véritable espace public européen. Ainsi pour améliorer la vie démocratique européenne, ils préconisent plusieurs mesures : lever les obstacles à la participation directe des citoyens, mettre en place un pouvoir citoyen européen (participer, décider, contrôler), impliquer de manière effective les citoyens dans la définition des politiques publiques européenne, augmenter la transparence des processus de décision, contrôler d’avantage les lobbys recensés au niveau de la Commission. Enfin ils souhaitent créer les conditions d’émergence d’un espace public européen et d’un sentiment d’appartenance à une identité européenne par l’intermédiaire de mesures telles que : développer l’esprit européen à travers l’éducation, la formation, l’information, sensibiliser tous les âges à la citoyenneté européenne et garantir l’accès à une information objective et exhaustive sur l’UE, renforcer l’apprentissage des langues européennes, renforcer le sentiment d’identité européenne en diffusant le plus largement possible les informations provenant des États membres et en généralisant l’enseignement des cultures et des histoires européennes.

En conclusion, la richesse et la diversité incroyable des propositions montrent à quel point les opinions publiques européennes et françaises sont mûres pour lancer le projet fédéral. L’élément le plus étonnant est la cohérence des propositions des citoyens français qui se démarquent nettement de celles faites par la classe politique française, soulignant une fois encore le décalage entre opinion et partis politiques. Cette constatation vient d’être confirmée par un récent sondage Odoxa de décembre 2021 indiquant que 58% des Français pensent qu’avancer vers une Europe fédérale est une bonne chose. Au-delà des souhaits de modifications institutionnelles qui sont pour nous fédéralistes une préoccupation majeure, il apparaît aussi chez nos concitoyens, un grand désir de participation démocratique et de création d’un espace public, civique et culturel européen sans lequel le débat institutionnel ne peut faire sens et dans lequel nous devrions nous investir d’avantage.