Le faux gouvernement économique européen du 17 juin 2010

, par Pascal Malosse

Le Conseil européen du 17 juin 2010 est censé avoir donné naissance au « gouvernement économique européen ». Un bond en avant dont avaient rêvé depuis des décennies les plus ardents fédéralistes, lecteurs assidus du Rêve européen de Jeremy Rifkin et des Mémoires de Jean Monnet. Pourtant quelque chose sonne faux dans cette belle annonce.

Premièrement, les conclusions du sommet utilisent le terme anglo-saxon « gouvernance » économique qui ne signifie pas grand chose. Le terme « gouvernement » aurait effrayé les Allemands, l’entendant comme le contrôle politique de la Banque centrale européenne (BCE). Ensuite, la seule mesure concrète dont se dote l’Union est un mécanisme de surveillance budgétaire à priori par la Commission européenne. C’est-à-dire un système d’alerte qui permettra de vérifier tous les printemps à partir de 2011, si les budgets des États Membres ne sont pas trop fantaisistes et respectent les critères du Pacte de stabilité. Sachant que seuls trois États sur 27 respectent actuellement les fameux critères (l’Estonie, la Suède et le Luxembourg), la procédure promet d’être sportive ! Et ils ne s’entendent pas encore sur la nature des éventuelles sanctions.

Quant à la stratégie européenne 2020, nommée pour l’emploi et la croissance ? Elle est quasi-inexistante, reprenant dans ses grandes lignes la Stratégie de Lisbonne avec une pincée de « croissance verte » et « d’innovation digitale » en plus. Le document comprend l’objectif de la lutte contre la pauvreté, mais la recommandation reste vague et sans contrainte.

Une phrase relevée dans les conclusions du Sommet résume bien le désarroi des élites européennes :
« Il convient d’accorder la priorité aux stratégies d’assainissement budgétaire favorisant la croissance et principalement centrées sur la limitation des dépenses. »
La contradiction entre l’objectif de croissance et celui de la réduction des dépenses est si criante qu’elle ressemble à une réplique de La cantatrice chauve de Ionesco. Alors que la demande privée n’a absolument pas redémarré, qu’elle est maintenue à bout de bras par les programmes de relance, la décision de couper dans les dépenses publiques risque de nous faire replonger dans la récession, voire dans la dépression. De nombreuses personnalités comme Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, et 100 économistes italiens, signataires d’une lettre envoyée aux dirigeants européens, dénoncent l’incohérence de cette décision sans être entendus.

Il s’agit avant tout d’un pari pris dans l’urgence : mettre en œuvre rapidement l’austérité généralisée afin de rassurer les marchés ou plus précisément les prêteurs, de conserver la note AAA attribuée par les agences de notation et de garantir ainsi un accès facile à l’endettement. Espérons que le pari ne soit pas suicidaire...

C’est en tout cas une élégante manière d’enterrer définitivement l’image du projet européen auprès de l’opinion publique. Bruxelles sera à nouveau le coupable de service qui demande aux peuples en souffrance des efforts supplémentaires. Une petite musique que l’on entendait souvent quand les gouvernements nationaux privatisaient les grandes entreprises publiques et démantelaient le droit social.

Car, il s’agit une fois de plus d’une intégration que l’on peut surnommer de négative, celle qui restreint et supprime au lieu d’être positive, celle qui propose, innove et soutient des projets. En 1992, le traité de Maastricht constituait une avancée considérable, réalisant le marché unique, mettant sur les rails la future zone euro, mais comportant déjà un défaut originel. Les derniers obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux tombaient, tandis que le rapprochement économique, fiscal et social n’avait pas lieu. Le budget européen, censé assurer la cohésion de l’Union, stagne depuis 1982. Seuls le Pacte de stabilité et la méthode de coordination ouverte, que personne ne prend au sérieux, devaient combler ce vide intersidéral.

Une augmentation du budget et l’émission de bonds du trésor européens permettrait de mettre en oeuvre une politique économique européenne digne de ce nom, afin de sauver notre modèle de société. Ce jour là, sans doute que les citoyens s’identifieront à l’Union européenne.

On peut épiloguer sur les raisons de cette grande déception : l’intergouvernementalisme dominant, les divergences entre les Etats membres, l’immobilisme de la Commission et du Parlement européen. Mais là n’est plus l’essentiel. La solution ne peut être qu’européenne et fédérale. C’est une question de survie.