
Fédéchoses numéro 71 - 1991
ÉDITORIAL
Les décisions prises par le Conseil européen qui s’est réuni à Rome les 27 octobre puis les 14 et 15 décembre de l’année dernière, représentent un pas en avant dans le processus de l’unification européenne. L’adoption d’un plan assez contraignant concernant la création de l’Union économique et monétaire ainsi que l’orientation pouvant être considérée comme acquise, dans le sens d’un accroissement substantiel des pouvoirs du Parlement démontrent que le processus de l’unification européenne est animé par une dynamique interne que seules de graves modifications de l’ordre mondial pourraient stopper. Il faut faire à ce propos deux remarques :
La première, c’est que la perspective de la mise en œuvre de la seconde phase du plan Delors, prévue pour le 1er janvier 1994, ne manquera pas de susciter auprès des acteurs économiques, des attentes qui obligeront les gouvernements à respecter leurs propres engagements, comme ce fut le cas pour le Marché unique.
La deuxième est que l’Union monétaire ne pourra fonctionner longtemps sans un réel pouvoir politique européen, ce qui mettra les gouvernements devant le problème incontournable d’une véritable réforme démocratique de la Communauté.
Le Parlement européen, de son côté, se trouvant dans une position renforcée à la suite des travaux de la Conférence intergouvernementale sur l’Union politique, sera nettement plus conscient de ses responsabilités et fera valoir toute son influence pour accélérer le processus et assurer le rôle constituant qui lui incombe.
Ces considérations ne sont toutefois certainement pas de nature à nous convaincre que nous sommes près de la réalisation de notre objectif ou encore que le processus a déjà dépassé le seuil de l’irréversibilité. En fait, cette logique ne fonctionnera qu’à la condition que des crises, susceptibles d’arrêter cette dynamique ou en mesure d’en inverser le cours, n’éclatent pas en dehors du cadre communautaire avant l’accomplissement de l’unification européenne.
La Communauté européenne vit et évolue désormais dans une étroite et croissante interdépendance avec le reste du monde et les gouvernements de ses États membres ne disposent que d’une autonomie partielle dans leurs décisions. Pour pouvoir prendre en considération l’avenir de la Communauté, il est donc important d’essayer de comprendre ce qui se passe au-delà de ses propres frontières.
Les événements de 1989 et 1990 en Europe de l’Est et en Union soviétique ont profondément changé les termes du problème de l’unification européenne. Les gouvernements de la Communauté ont parfaitement réalisé que l’expérience de pacification et de collaboration économique qui avait jusqu’à présent si bien réussi en Europe occidentale, risquait d’être sérieusement mise en danger par la crise économique profonde qui touche ces pays et par la crise politique consécutive à l’explosion contrôlée des nationalismes.
Il est donc indispensable que les pays de la CEE interviennent par des aides économiques d’urgence en vue d’écarter ces risques. Toutefois, cela ne suffit pas. Il est essentiel que ces pays sachent offrir aux peuples de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique, la perspective crédible d’un avenir de paix et de prospérité.
Cette perspective, pour ce qui concerne les pays de l’Europe de l’Est, ne peut être que celle de l’adhésion dans un temps relativement court à une Communauté qui aurait acquis le caractère d’une Union fédérale. Par ailleurs, l’attraction que la CEE exerce sur ces pays est dès aujourd’hui considérable et beaucoup d’entre eux ont dès à présent manifesté leur intention de solliciter dans un premier temps l’association et dans un deuxième temps l’adhésion.
Mais il est évident que les actuels mécanismes décisionnels de la Communauté ainsi que ceux qui résulteront des deux conférences intergouvernementales qui ont commencé leurs travaux à Rome le 15 décembre, ne sont pas et ne seront pas en mesure, sans aller d’abord vers la paralysie et ensuite vers la dissolution, de supporter un élargissement d’une telle portée (il serait d’autant plus important qu’il serait impensable de s’ouvrir aux pays de l’Europe de l’Est sans en faire autant pour ceux de l’AELE).
Il en résulte que pour répondre à un défi à l’issue duquel notre destin est suspendu, il est nécessaire que la Communauté se dote à court terme d’un gouvernement à caractère véritablement fédéral, subordonné à un réel contrôle démocratique, même si c’est avec des compétences limitées conformément au principe de subsidiarité.