Congrès de Trieste du Mouvement fédéraliste européen (1969), deux souvenirs

, par Gérard Fuchs, Marc Heim

Gérard FUCHS

Ancien Secrétaire général du MFE France à la fin des années 60
Membre du PS et ancien Parlementaire européen socialiste

Le Congrès de Trieste représente d’abord pour moi le souvenir d’une confrontation entre deux conceptions du fédéralisme : celle d’un fédéralisme purement institutionnel, défendue par Altiero Spinelli ; et celle d’un fédéralisme "intégral", inspirée par Alexandre Marc. Le fédéralisme, doctrine d’une organisation démocratique du pouvoir à tous les niveaux nécessaires de la société, du local au mondial, doit-il se contenter de proposer des institutions politiques idéales ? Ou bien doit-il s’appliquer aussi aux sphères économiques et sociales ?

En ces lendemains de Mai 68 en France, marqués par l’aspiration des salariés à être des acteurs et pas simplement des objets dans la vie de leur entreprise -c’etait tout le sens de l’émergence du mot d’autogestion- je me rangeais résolument dans le deuxième camp. La défense de cette position était la raison d’être de la motion que je présentais avec Mario Albertini et Marc Heim. Entré au congrès avec une forte majorité du vote des sections, ce texte, durement combattu par Altiero Spinelli, allait se retrouver minoritaire. Ce choix d’orientation pèse à mes yeux aujourd’hui encore sur le mouvement fédéraliste.

Et c’est mon deuxième souvenir, un peu nostalgique. En quittant Trieste avec Marc Heim, nous nous disions que le mouvement fédéraliste avait manqué une occasion historique : celle de mobiliser autour de ses idées non seulement des intellectuels, fussent-ils engagés, mais les militants du mouvement social capables de donner un dimension de masse au courant fédéraliste.

L’action politique ne peut se réduire à l’élaboration d’un projet de société idéale. Elle ne mérite son nom que si elle se préoccupe aussi de rassembler des forces sociales suffisantes pour œuvrer, avec quelques chances de succès, à la réalisation de son objectif. Les fédéralistes du monde réouvriront-ils un jour ce débat ?

Marc HEIM

Deux compléments d’information sur le Congrès de Trieste :

1) A notre arrivée à Trieste, il n’y avait qu’une motion : celle que nous avions rédigée Gérard Fuchs et moi, et qu’Albertini avait accepté de cosigner. Elle était largement majoritaire. (Il n’y avait qu’une liste de membres du Comité central). Quelle ne fut pas notre surprise quand, à l’ouverture du Congrès, nous avons vu apparaître Altiero Spinelli (il n’était même pas inscrit ) et avec une motion toute faite (cf. point 2).

Gérard Fuchs et moi estimions que le deux motions étaient incompatibles, et devaient être présentées en concurrence.

Dans la même nuit, Gérard Fuchs tentait de défendre, dans la commission d’orientation, cette position.
De mon côté, partant de l’idée qu’il y aurait deux motions, je m’occupais à constituer une liste concurrente de membres du Comité central (dont les membres étaient désignés à la proportionnelle). Nous savions Gérard Fuchs et moi qu’elle serait minoritaire. Mais avec la désignation à la proportionnelle nous pouvions espérer entre 30 et 40% des voix. La négociation fut dure, mais une liste fut constituée. Quelle ne fut pas ma déception, quand au petit matin, j’ai appris par Gérard Fuchs, que sous la pression des personnalités éminentes du MFE, dont Etienne Hirsch, Président du MFE (je préfère taire les noms des autres), il avait fallu présenter une motion unanime.

2) J’ai appris beaucoup d’années plus tard, par Alexandre Marc, qu’entre lui et Altiero Spinelli, il y avait eu un accord réciproque pour que ni l’un, ni l’autre, ne soit présent au Congrès de Trieste. De manière à donner les responsabilités à la jeune génération. Alexandre Marc a tenu parole... Quant à Spinelli... Comme Alexandre Marc n’était pas au courant de la présence de Spinelli à Trieste, cela nous a valu, à Gérard Fuchs et à moi, d’êtres considérés comme des « traîtres », ayant « livré le MFE à l’ennemi ». Ce dernier point me concerne plus que Gérard Fuchs, puisque j’au continué de travaillé avec Alexandre Marx jusqu’à sa mort. (Quand je lui ai raconté cette histoire, il m’a dit cette phrase étonnante : « j’aurais pu vouloir raconter cela à Suzanne (son épouse qui venait de décéder) ».