Des fédéralistes en Mai 68 - L’UDE-Ofm

, par Michel Morin

L’Union des Démocrates Européens - organisation fédéraliste mondialiste (UDE-ofm) a pris racines dans les rangs des fédéralistes européens du MFE dans les années 60, par la germination de l’idée de créer un parti fédéraliste européen [1].

Une organisation à l’image de Mai…

Cette aventure politique, très minoritaire, de courte durée -moins de 10 ans- a accompagné, plus que fait, le « Mai 68 » mondial, européen, français. Simultanément symptôme et vecteur d’une époque, elle fut à la fois collective et supranationale, somme d’individualismes et fruits d’engagements existentiels. Les évocations et commémorations de mai 68 viennent de bien illustrer de tels enchevêtrements : « Un pour Mai ; Mai pour tous ».
Phénomène groupusculaire, l’UDE-ofm a vécu ce mode d’organisation du politique en action dans le monde d’alors. Au départ, une perspective stratégique, la perception d’un problème pressant ont provoqué la condensation des énergies militantes. Une des formulations du projet de parti fédéraliste fut portée par André Chitti-Batellli en 1960, en prolongement d’un rapport d’Alexandre Marc présenté au Congrès de Strasbourg du MFE. A partir d’une audience conséquente au départ a émergé un Comité d’Initiative pour un Parti fédéraliste européen (CIPFE), lequel occupait une surface encore notable, avec un spectre de d’options assez large, reposant sur une motivation commune : devenir une vraie force politique et donc participer aux élections. Mais avec l’élaboration du programme et les engagements à prendre face aux problèmes réels du monde, les ruptures et les scissions s’ajoutèrent et, en conséquence, en 1968 il restait une demi douzaine de groupes répartis en Italie surtout, en Belgique, en France et en Allemagne.
Un exemple, le soutien à François Mitterrand à la présidentielle de 1965, décidé au niveau supranational et une présence électorale, très volontariste, aux cantonales à Lyon en 1967 sur un programme pour une « démocratie fédérale européenne » positionnèrent le groupe lyonnais parmi les forces de gauche, mais entraînèrent le départ de plusieurs fondateurs du CIPFE.
Le parallélisme avec l’évolution qui traversa, en 1967/68, toutes les mouvances (communistes, maoïstes, socialistes, chrétiens), est caractéristique de l’époque. Elle préfigura l’émergence libertaire du Mouvement du 22 mars, dans lequel se retrouvèrent nombre de militants de toutes origines.
Le « fédéralisme intégral » n’était pas loin dans le paysage des idées…

Une organisation avec des valeurs et des projets de « Mai »

Dès 1963, l’état du monde et l’analyse de la mondialisation en marche ont conduit à inscrire dans le nom de l’organisation son engagement mondialiste.

Celui-ci se traduisait concrètement par des luttes pour la paix au Vietnam, par des textes et des manifestations contre l’armement nucléaire dans le monde et de l’Europe à venir. La revue théorique de l’UDE s’appelait Fall-out (Retombées nucléaires).
La dénonciation des dictatures en Europe et dans le monde était aussi présente que la lutte contre les idées et les organisations fascisantes dans les villes où l’UDE était présente.

La volonté de partage des richesses avec ce qui était encore « le tiers monde » était fortement exprimée. L’universalisme était porté fortement : promotion de la déclaration des droits de l’homme ; solidarités avec les mouvements populaires dans le monde ; solidarités avec les travailleurs immigrés ; manifestations pour la paix.

Afin de parvenir à la création d’une fédération européenne, un second axe d’engagement était la lutte contre l’Etat national et en particulier contre l’un de ses supports clefs : l’armée et la conscription pour le service national.
Début 1968, le lancement à Turin d’une « objection de conscience politique », comme étape dans un processus de désobéissance civile, annoncée comme non-violente, marquait une lutte frontale contre l’ordre établi. Portées par un engagement existentiel fort, les valeurs faisaient irruption sur le terrain politique.

Contre la domination de l’Etat national, les groupes UDE rêvaient également d’un projet de « libération de territoire » qu’aurait permis la création de villages de rencontres de jeunes européens. Sans s’arrêter au nom donné, dès mars 68, à une micro tentative en Ardèche, « Commune n°1 » -tout un programme !- cette stratégie se voulait à la fois concrète et l’expression d’une volonté de rupture. Cette démarche est également bien connotée dans son temps : les théories ou actions de libération de territoire balisaient la mondialisation d’alors. Ainsi une des caractéristiques de « Mai » fut le détournement de nombre de lieux de leur vocation première : universités, usines, théâtres…arrachés au pouvoir de l’État.

Une Lettre ouverte aux jeunes d’Europe, rédigée par les jeunes fédéralistes et Giuliano Martignetti, responsable politique de l’UDE à Turin, portait ces perspectives. Aussi il est compréhensible que les militants de l’UDE n’aient eu aucune peine à s’engager individuellement dans les événements de Mai.

Une organisation limitée dans son engagement en mai 68

Les contradictions ont touché l’UDE-ofm comme nombre d’autres groupes.

Tout d’abord, la présence de l’organisation elle même fut faible pendant les événements. En effet, la primauté à l’action n’a pas empêché la publication de quelques textes, mais les militants étaient dispersés dans leurs engagements exigeants et prenants. Les moyens de communication ne fonctionnaient plus et donc la dimension supranationale fut très affaiblie pendant de nombreuses semaines. Les technologies nouvelles n’avaient pas fait leur apparition !

Cependant, dès août 68, le séminaire supranational annuel permit la mise en commun avec un ordre du jour significatif : « La crise étudiante et ouvrière en Europe : l’université et l’Etat ; syndicats et patronat ; la répression et le recours aux mythes nationalistes ; faudra-t-il une révolution pour faire l’Europe ? ».

Ensuite, la nature des violence qui marquèrent 68 dans les différents pays où l’UDE existait, avec un point particulièrement élevé en France, a télescopé la stratégie non violente que les militants de l’UDE mettaient en avant dans leur dénonciation de l’Etat national. Les contradictions individuelles devenaient politiques. Chacun a dû gérer cette situation, mais le groupe n’a pas pu réaliser la synthèse.

Enfin, le choix stratégique de « l’autonomie politique » et de la création de réseaux qui fondait la démarche de l’UDE était similaire à celui de nombreux groupes actifs en Mai. Comme les autres, l’UDE n’a pas pu générer un nouveau modèle d’organisation politique durable.

Les années qui suivirent marquèrent la fin de l’aventure. Le manque de moyens financiers et humains, amplifié sans aucun doute par l’onde de choc de « Mai », ont eu raison de cette petite organisation qui a produit des textes intéressants dont on trouve des prolongements significatifs dans la mouvance écologiste en Europe et dans le mouvement des fédéralistes européens, peu portés alors sur la dimension mondiale de leur message. Trace anecdotique, le logo de l’UDE a un petit cousin germain dans celui de l’UEF d’aujourd’hui.

P.-S.

Michel MORIN
Membre fondateur de l’UDE-ofm – Ancien militant des Jeunes du MFE, Michel MORIN, est membre des Bureaux de l’UEF-France et de l’UEF-Europe

Notes

[1Cette tentative des militants de l’UDE-Ofm est totalement distincte du groupe, Parti fédéraliste européen, plus tard fondé par le juriste Guy Héraud, lui aussi ancien membre du MFE, et de l’Internationale fédéraliste à laquelle il se rattachait.