Fédéchoses numéro 60 - 1988

ÉDITORIAL : La France malade du nationalisme

Comme tous les autres États européens, la France vit la contradiction croissante entre le cadre de la vie politique, qui demeure national, et la dimension du marché ouverte aujourd’hui à l’espace européen, voire mondial. Les États-nations européens, par leur petite taille et leur dévotion, ne sont plus à même de résoudre les véritables problèmes politiques : maîtrise de l’économie, de l’environnement, du progrès social, de la défense... créant ainsi partout une grave crise du consensus politique. On peut cependant s’interroger sur les raisons pour lesquelles la France reste le seul pays où cette crise s’exprime par une telle montée de l’extrême droite à des niveaux que le NPD en Allemagne et le MSI en Italie n’atteignirent jamais.

Pour que la vie politique fonctionne normalement, il faut que les citoyens soient convaincus que les hommes politiques pour lesquels ils votent seront à même pour concrétiser, dans l’exercice du pouvoir, les valeurs qu’ils ont choisies, qu’il s’agisse de celles du libéralisme, de la démocratie ou du socialisme.

DE GAULLE, venu au pouvoir pour mettre un terme à la guerre algérienne couvrant encore une, a permis aux Français de vivre encore pendant quelques années dans l’illusion que les problèmes de la politique pouvaient se régler au seul niveau national. Le nationalisme qu’il incarnait a pu s’épanouir sous l’effet de son charisme a pu s’épanouir à toute internationale qui, compte tenu de son passé de combattant de la résistance nazisme et du fascisme, a ainsi privé l’extrême droite de tout monopole de l’idéologie dont s’alimente.

DE GAULLE disparu, la vie politique en France s’est cristallisée autour de la lutte existante droite-gauche, laissant croire qu’il marche une véritable alternative, dans le cadre national, entre le libéralisme et le socialisme.

L’expérience de l’alternance a démontré la vanité des espoirs de ceux qui pensaient qu’en changeant la majorité en France on pourrait aussi changer la vie. On peut ainsi comprendre le phénomène Jérôme des électeurs en 1988. L’alternative apparaît alors simple.

...soit on reste dans le cadre de l’État national comme seul cadre pensable de la vie politique, et il faut insuffler à l’électeur un sentiment nationaliste suffisamment puissant pour qu’il y adhère. Dans cette perspective, si l’État national a échoué, ce n’est pas parce qu’il est dépassé mais parce que ses citoyens et sa classe politique ne sont pas animés d’un sentiment d’une appartenance nationale suffisamment fort, ce qui induit les choix que nous connaissons : exclusion de ce qui n’est pas français, centralisation, replis en même autoritaire du pays, traité des anciennes valeurs morales et des idoles bien de chez nous, comme Charles Martel et Jeanne d’Arc,

...soit il convient de mettre en place une Union Européenne, seul cadre politique où les électeurs auront la possibilité réelle de changer la vie.

En 1941, Altiero Spinelli (qui jusqu’à la fin de sa vie aura lutté pour l’avènement de la Fédération européenne), relégué dans l’île de Ventotene par le fascisme, rédigeait Le Manifeste, dont cet extrait pourrait aujourd’hui étrangement actualité :

La ligne de démarcation entre partis progressistes et partis réactionnaires suit donc désormais non pas la ligne formelle du stade plus ou moins avancé de démocratie, du niveau plus ou moins élevé de socialisme à instaurer, mais la ligne bien plus substantielle et toute nouvelle de séparation entre ceux qui conçoivent comme finalité essentielle de la lutte la vieille ambition de la conquête du pouvoir politique national (...) et ceux qui verront comme une tâche centrale la création d’un état international solide (...)

En France aujourd’hui, un consensus semble se dessiner entre ceux qui, à gauche, refusent "l’ouverture" avec ceux qui, à droite, souhaitent une alliance et ceux qui, finalement, croient.

La bataille pour l’Union Européenne nécessite un tel consensus en France, comme il est déjà apparu dans d’autres pays de la Communauté.

Ce phénomène politique nouveau est porteur d’un grand espoir un an avant l’élection du Parlement Européen en 1989.

Jean-Luc PREVEL - Jean-Francis BILLION