Fédéchoses numéro 61 - 1988

Éditorial : De la démocratie !

Les nombreuses élections que la France connaît laissent à penser que ce pays est un foyer ardent de démocratie !

S’il est vrai que les citoyens peuvent exprimer librement leur choix à tous les échelons institutionnels, force est de constater qu’une fois passée l’élection, aucun contrôle populaire ne s’exerce plus sur l’élu.

C’est ainsi que la pratique de l’exercice du pouvoir nous interroge, surtout dans la perspective de l’Union Européenne.

Une Constitution contestable

La Constitution de 1958 a beaucoup apaisé le débat et l’histoire nous rappelle qu’elle fut hier comme pare pour ceux-la même qui aujourd’hui exercent le pouvoir.

La forme démocratique de cet acte solennel adopté par le peuple français et des temps troublés, ou l’émotion et l’instinct séculaire emportent son adhésion, est encore plus contestable depuis la réforme de 1962 qui a permis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Au regard de la pratique, il est indéniable que la Président de la République française est un monarque absolu qui exerce le pouvoir exécutif sans partage. Et, quand bien même la volonté de l’actuel titulaire de cette fonction suprême va dans le sens d’un meilleur équilibre institutionnel, la réalité constitutionnelle demeure et, à tout moment, la main du "Maître" peut gommer la représentation démocratique du peuple en dissolvant l’Assemblée Nationale.

Aucun monarque constitutionnel n’a de telle prérogatives, ni au Royaume-Uni, ni en Espagne, ni au Danemark, ni en Belgique, ni aux Pays-Bas, ni au Luxembourg.

Plus loin de nous, le Président des États-Unis d’Amérique, que l’on présente comme un personnage puissant, ne dispose pas de telles prérogatives. Au moment du choc de l’État français. A tout moment, il doit composer avec un Parlement, sur lequel il n’a aucune prise et notamment pas le pouvoir de dissolution, assurant ainsi le contre pouvoir réel des États fédérés.

Un Parlement fragile et clientéliste

Quand on constate que le Parlement français doit en priorité débattre des projets de lois du gouvernement et ensuite seulement de ses propres propositions, on mesure le peu de cas qui est fait de la démocratie.

Le mode d’élection des députés et des sénateurs pose aussi le problème de leur représentativité et de leur efficacité.

Il faut déplorer que les députés soient davantage les assistants sociaux de leur circonscription que des législateurs, ce qui altère le travail parlementaire.

Quant aux sénateurs, ils représentent plus le vie fédérale paysagère territoriale de la France. Leur représentativité n’est plus adaptée à un pays devenu urbain, ni à une dynamique dépassant largement les frontières de l’hexagone.

Le clientélisme du parlementaire ne favorise pas la hauteur de vue utile à bien préparer l’avenir. La circonscription ne doit pas confiner le parlementaire mais lui offrir une meilleure approche des réalités sociale, politique, culturelle et éducative afin de les projeter dans la conjugaison des autres, déterminant ainsi les besoins que la loi adaptera à l’intérêt général et à l’environnement international.

Rendre le pouvoir au Parlement et aux électeurs

Dans cet esprit, le dialogue doit être continu avec les citoyens et les collectivités territoriales qui doivent, à tout instant, avoir la faculté d’interpeller leurs parlementaires, contrôler leur travail, connaître leurs orientations.

Le référendum d’initiative populaire devrait permettre cette interpellation et ce contrôle.

L’élection des députés au scrutin proportionnel intégral, dans le cadre de l’arrondissement, introduirait plus de justice dans la représentation des citoyens et donnerait à l’élu le recul nécessaire pour bien légiférer.

La suppression du droit de dissolution serait encore un moyen de ne pas penser que le travail parlementaire et de rendre à l’Assemblée Nationale tout le pouvoir législatif. En contrepartie, les députés n’auraient pas le droit de renverser le gouvernement qui ne dépendrait que du Président de la République. Ainsi, nous connaîtrions une véritable séparation des pouvoirs législatif et exécutif.

Une révision sérieuse de la Constitution s’impose, d’autant que la nécessité de l’Union Européenne qui, dans un premier temps, reposera sur les États nationaux actuels, s’acheminera, au fil du temps, vers une Europe des régions.

Une révision de la Constitution doit tout à la fois renforcer la démocratie et préparer la transformation de la société à l’approche du XXIe siècle.

Vouloir l’Union Européenne c’est vouloir aussi une réforme profonde des institutions et circonscriptions de la France, dotant les citoyens français de responsabilités plus grandes et de pouvoirs plus conformes à la démocratie.

Alain REGUILLON
Président du Comité pour l’Union Européenne