Fédéchoses numéro 55 - 1987

ÉDITO : UNE VOLONTÉ POLITIQUE POUR L’EUROPE

Depuis que l’Europe est sortie de la nuit du nazisme et du fascisme, au commencement de son processus d’unification, deux voies ont été indiquées : le fonctionnalisme qui mettrait l’accent sur la nécessité de s’organiser en commun dans les domaines concrets les plus importants pour l’époque (dans l’optique de la reconstruction de l’économie européenne, par exemple dans le secteur du charbon et de l’acier) et le constitutionnalisme qui a été proposé par des groupes fédéralistes et dans la Résistance.

La CECA était une idée typiquement fonctionnaliste (il s’agissait d’agir dans un domaine important mais limité), pourtant dans la déclaration solennelle prononcée par Robert Schuman le 9 Mai 1950 on disait de manière explicite que avec la CECA on voulait établir "les premières assises concrètes d’une fédération européenne indispensable à la préservation de la paix."

Il est aisé de constater que depuis quel ques années l’intégration stagnent parce que justement le degré de construction n’est pas et plus d’aller de l’avant. La CEE est en effet caractérisée par le monopole législatif et exécutif du Conseil des ministres et le droit de veto qui en découle.

La Communauté est pourtant entrée dans une phase d’unification qui rend incontournable un saut qualitatif. À qui fera-t-on croire qu’il est possible de sortir la politique agricole commune de l’ornière , de donner à l’Ecu un rôle de devise convertible (plus que jamais nécessaire face aux soubresauts du Dollar), de réaliser le marché intérieur, de développer de nouvelles politiques communes dans des domaines tels que l’emploi et les technologies avancées, d’avoir une politique extérieure et de sécurité, sans un véritable gouvernement ?

Il est impossible que douze gouvernements, assistés de diplomates et de fonctionnaires nationaux, puissent rédiger un bon projet d’Union européenne. Seul un organisme dont la raison d’être est l’Europe le peut.

De Gaulle a pu dire que la fédération européenne était irréalisable faute de fédérateur. Depuis 1979, après des années de lutte des fédéralistes et grâce à l’engagement de Giscard d’Estaing le Parlement européen est élu au suffrage universel direct et joue ce rôle.

Quand Altiero Spinelli lui proposa d’élaborer un projet de Traité pour l’Union, tout le monde dit qu’il n’obtiendrait jamais la majorité ; quand la majorité se manifesta et que le projet fut approuvé (14 Février 1984) tout le monde dit qu’aucun gouvernement ne le prendrait jamais en considération ; quand un premier gouvernement et un premier parlement national se prononcèrent en faveur de sa ratification tout le monde dit qu’il était impensable que les autres gouvernements prennent la même position. Et puis il y a eu les déclarations de Mitterrand lors de son grand discours devant le Parlement européen (24 Mai 1984) puis les déclarations parallèlement favorables du chancelier allemand parmi d’autres leaders des pays de la Communauté.

Le malheur est qu’une Conférence intergouvernementale convoquée par le Sommet de Milan 1985) a étonné tout le projet portant réaliste et éclairé de ce maximaliste qui ne comprenait que le minimum institutionnel indispensable à la relance de l’Union, pour accoucher d’une souris, l’Acte unique européen (Sommet de Luxembourg en décembre 1985).

Au train où vont les choses il est d’ailleurs légitime de se demander si la malheureuse souris n’est pas guettée par la "mort subite du licite".

À l’évidence, une fois de plus ; la méthode intergouvernementale a échoué. Comme l’a fort bien dit Mitterrand dans ses vœux pour l’année 1987, "l’Europe ne se fera pas toute seule, il faut que les peuples s’en mêlent".

Qui sait aujourd’hui qu’au sein du Parlement européen s’est constitué le 9 Juillet 1986 un intergroupe fédéraliste pour l’Union européenne qui regroupe près de 150 membres venant de tous les pays de la communauté et de tous les groupes politiques de l’Assemblée (y compris les communistes mais à l’exclusion de l’extrême-droite) et que des initiatives similaires se mettent en place dans certains parlements de la Communauté ?

Les élections du Parlement européen de Juin 1989 doivent permettre d’élire un Parlement doté d’un mandat constituant. Tel est l’enjeu ; c’est d’ailleurs ce que réclame sa commission institutionnelle.

Ce projet de Constitution de l’Union, approuvé par le Parlement européen, devra être ratifié par les Parlements ou par des référendums nationaux mais ne devrait en aucun cas être soumis et remaniulé par une Conférence intergouvernementale.

Alors que l’intégration économique des Douze est en voie d’achèvement, que l’opinion publique s’avère convaincue de la nécessité de donner un gouvernement à l’Europe (comme le montrent depuis des années les Euro-baromètres), seule manque la volonté politique pour réaliser le saut qualitatif nécessaire.