Fédéchoses numéro 59 - 1988

ÉDITORIAL

Les élections présidentielles sont aujourd’hui au centre de la vie politique en France. On pourrait même dire qu’on assiste à des élections présidentielles permanentes (pas seulement tous les sept ans), tant l’institution du Président de la République universellement reconnue a pris d’importance.

Dans un système politique où le parlement est lié au Président (par la dissolution présidentielle) et au gouvernement (par l’article 49.3), il n’existe aucun contre-poids à l’exécutif, ce qui évoque tout vrai débat politique. En cas de cohabitation Le Président ne peut prendre de véritable initiative à titre de l’exécutif (image de la légitimité du suffrage direct), mais son ombre plane, comme la statue du commandeur, sur un gouvernement dans lequel il ne se reconnait pas, ce qui le freine ou le paralyse.

Si le Président dispose d’une majorité au Parlement, il monopolise dans ses mains les pouvoirs exécutif et législatif. C’est l’absolutisme, même pas camouflé par les pouvoirs des communautés territoriales plus petites, comme celles là car dans les états fédéraux (RFA...), la décentralisation ne s’étant exercée qu’au niveau des départements, entités trop petites et ainsi dépendantes du pouvoir central. Les partis politiques ont un rôle à jouer dans la mesure où ils sont constitués d’une majorité présidentielle présente d’avoir créé qui, en soi, limite considérablement leur capacité de critique ou d’influence l’exécutif par l’intermédiaire de leurs représentants au Parlement. En l’absence de structures régionales disposant de pouvoirs réels et d’un véritable Sénat des régions, les députés sont par ailleurs liés à leur circonscription où ils passent beaucoup de temps à recueillir des doléances qu’ils sont sensés pouvoir résoudre à Paris.

Dans un tel système, le discours politique du parlementaire devra se situer entre le minimum nécessaire à réunir les suffrages de plus de 50% des Français autour d’un Président et la compétence technique pour l’implantation de pissotières à Bécon-Les-Bruyères. Dans ce contexte on ne peut plus s’étonner de l’absence de début d’idées.

Un sondage que nous avons récemment publié mettait en évidence que 60% des Français étaient favorables à un gouvernement européen responsable devant le parlement européen. Il n’y a pas besoin de regarder à la loupe les programmes des partis politiques ou des candidats à la Présidence pour réaliser sur ce point l’écart entre la classe politique et la volonté populaire.

Tout choix dans ce domaine est soigneusement évité pour ne pas courir le risque de diviser la majorité présidentielle potentielle, amalgame regroupant, à droite comme à gauche, des européens convaincus comme des nationalistes farouches. En cette fin de 20e siècle les États européens ont largement démontré leur incapacité à résoudre les problèmes de la politique (la paix, la justice sociale, la protection de l’environnement, le développement du tiers-monde...)

Aussi a-t-on trouvé en France, le moyen pour accrocher l’électeur (malgré sa conscience diffuse de l’incapacité de l’État national à régler les vrais problèmes), en transformant le fait électoral et le débat politique en une espèce de jeu télévisé permanent, à reconstitution partielle (cantonale, législative) dont la finale a lieu tous les sept ans.

Jean-Luc PREVEL