Le BILLET de Jean-Pierre GOUZY

Les eurosceptiques passent à l’offensive

, par Jean-Pierre Gouzy

Un nouveau groupe vient de se constituer au sein du
Parlement européen élu en juin dernier, qui requiert notre
attention privilégiée.

A l’initiative du leader des Tories, David Cameron, et
sous l’étiquette banale de « Conservateurs et
réformateurs européens », il comprend vingt six élus
conservateurs britanniques, les Polonais ultra-droitiers
des frères jumeaux Kaczinski (dont l’un est le président
actuel de la République polonaise), neuf « libéraux » qui,
à Prague épousent la ligne souverainiste à tous crins du
président de la République tchèque, Vaclav Klaus,
auxquels s’ajoutent divers populistes, soit pour le
moment 54 europarlementaires de sept nationalités
auxquels Philippe de Villiers et quelques autres pourront
éventuellement encore se joindre par la suite. Pour le
moment, le Vendéen est le seul rescapé du mouvement
également eurosceptique fondé sous le nom de Libertas
par Duncan Ganley, champion du « non » irlandais au
Traité de Lisbonne. Passons…

Nous sommes avec Cameron et les conservateurs
d’outre-manche face à des personnages qui se déclarent
ouvertement « antifédéralistes » et prétendent incarner
au sein du Parlement européen une « Union d’Etats
nationaux » souverains et non d’éventuels « États-Unis
d’Europe ». Une majorité d’eurodéputés se contente
aujourd’hui de l’actuelle construction européenne telle
que la conçoivent les chefs d’Etats et de gouvernements,
au mieux telle que la propose le Traité de Lisbonne. Le
président sortant du Parlement européen, Hans-Gert
Pottering, une figure de proue de la Démocratiechrétienne
allemande, disait à une journaliste du Monde
venue l’interviewer en mai dernier, « je suis fédéraliste,
mais je préfère ne pas utiliser ce mot, qui a été interprété
comme synonyme de centralisation (…). Je préfère parler
de système communautaire en Europe (…) On ne parle
plus de fédéralisme en tant que tel, mais le système va
dans le sens où nous l’entendions ».

Nombre de libéraux ou de tenants de la famille socialiste
/ social-démocrate, tiennent des propos semblables.
Seules quelques personnalités politiques tranchent avec le
gros de la troupe et acceptent de se dire ouvertement
favorables à une Europe fédérale. Je pense, au leader
libéral belge flamand, Guy Verhofstadt, ancien Premier
ministre belge, et à Daniel Cohn-Bendit, leader
multiculturel des Verts, parmi les plus connus. Mais, il en
est d’autres encore… Par exemple, Andrew Duff, libéral
britannique en charge de la présidence de l’UEF, qui
saluait dans le nouveau groupe eurosceptique constitué à
l’initiative des Tories, un curieux mélange des
ultraconservateurs calvinistes et des ultra-catholiques
polonais adoubés par les souverainistes de tout poil qui
n’aspirent qu’à un seul objectif : pérenniser une Union
européenne sans frontières et sans gouvernement propre,
dans une zone de libre échange aussi flasque que
possible.

La Communauté européenne que Jean Monnet concevait
comme le banc d’essai vers de futurs États-Unis
d’Europe serait, pour les Caméronistes, réduite à l’état
de peau de chagrin sous l’effet conjugué d’un
élargissement évanescent de plus en plus ambitieux (de
l’Islande à l’Anatolie centrale) et d’un approfondissement
ramené, chaque fois que les circonstances s’y prêteront à
la portion congrue, l’Alliance atlantique étant seule
compétente en matière de sécurité et de défense, sous
l’aile protectrice du Pentagone.

Pour mener à bien cette entreprise de démantèlement,
David Cameron et les siens espèrent avoir l’occasion, en
2010 au plus tard, de faire approuver par les citoyens
britanniques une renégociation du Traité de Lisbonne, si
les Irlandais qui l’ont rejeté courant 2008, en ratifient la
version corrigée à leur intention au début du prochain
automne, comme les sondages le laissent espérer..
De plus, l’action caméroniste sera confortée par
l’extrême droite souverainiste qui, elle aussi, redresse la
tête et dont il conviendrait de dénoncer parallèlement la
malfaisance. Un rassemblement fédéraliste s’imposera,
tôt ou tard au sein du Parlement européen et devrait
pouvoir s’appuyer sur des forces progressistes
significatives dans les pays de l’Union.

Face au Front eurosceptique des conservatismes, nous
devons opposer un front identifiable des fédéralistes.
Pour le moment, nous sommes encore loin du compte et
toute la question est de savoir comment cette lacune
pourra être comblée.

L’Europe des caméléons, elle, continue à bien se porter.
Elle a même de beaux jours devant elle.