Le traité du Mécanisme européen de stabilité (MES) : quelques remarques critiques

, par Antonio Padoa-Schioppa

Tandis que le traité sur le Pacte budgétaire a suscité une
analyse et des évaluations précises, celui sur le
Mécanisme européen de stabilité, approuvé par les
gouvernements le 30 janvier 2012, a été l’objet de
beaucoup moins d’attention. Cependant le MES est d’une
grande importance pour l’avenir de l’euro, et par
conséquent pour toute l’Union européenne (UE). Mettre
en place une organisation permanente pour assurer la
stabilité de l’eurozone est, sans aucun doute, une décision
positive. Il est correct de donner à ce nouvel organisme
les atouts nécessaires, un pouvoir de décision
indépendant et une structure solide. Et il est raisonnable
que les ressources ne soient attribuées aux pays membres
en difficulté qu’en des termes très stricts (« sujets à une
conditionnalité très stricte ») comme cela est répété dans
le texte de façon quasi obsessive. La reprise et la stabilité
sont des valeurs de base pour toute une communauté,
dont il est correct de mettre en place des garanties, même
en limitant la souveraineté nationale, si nécessaire. Il faut
donc espérer que le nouveau traité sera rapidement
approuvé par chacun des pays de la zone euro.

Ceci dit, les remarques qui suivent ont pour but de noter
quelques défauts du traité ; en vue du futur, comme la
dynamique des pas en avant est une constante dans
l’histoire de l’UE. A mos avis, il y a deux problèmes
principaux avec le traité MSE. Le premier a trait à la
procédure de prise de décision, le second à la base
constitutionnelle du nouveau mécanisme. Pour les
décisions et les actions de ce nouvel organisme, le traité
applique la triple procédure des Traités européens :

accord, majorité qualifiée, majorité simple. Le quorum
requis pour prendre les décisions est, au moins, des deux
tiers des membres représentant au moins deux tiers des
quotas des Etats membres individuels.

Toutes les décisions importantes ne peuvent être prises
sans l’accord mutuel du Conseil des gouverneurs (art.
5.6), et donc à l’unanimité, cependant l’abstention ne
bloque pas l’accord des autres membres du Conseil, ainsi,
l’accord mutuel est requis pour instituer de nouvelles
parts, pour effectuer des appels de capitaux, fixer des
volumes de prêt maximum, établir la conditionnalité de la
politique économique, pour les prêts, pour le mandat de
la Commission, pour négocier toutes les questions cidessus,
pour les transferts de fonds du FESF (Fonds
européen de solidarité financière) au MES, pour donner
des pouvoirs au conseil des Directeurs, pour la décision
du mode de choix du Président (qui peut-être le Président
de l’eurogroupe ou l’un des membres du Conseil des
gouverneurs) et pour d’autres sujets de base (art. 5.6,
lettres a - m). Pour les décisions à prendre par un vote à
la majorité qualifiée, le pourcentage de voix pondérées
est différent suivant chaque Etat membre de l’eurozone,
qui va de 27,4 % pour l’Allemagne à 0,07 % pour Malte,
à 20,38 % pour la France et 17,91% pour l’Italie (Annexe
I). Comme la majorité qualifiée se monte à 80 % des
parts de vote (art. 4.5), l’Allemagne et la France sont les
seuls capables d’exercer un droit de veto.

Cette procédure a deux inconvénients. Le premier c’est
qu’un vote à l’unanimité est nécessaire dans les décisions
essentielles, le second c’est d’avoir un vote pondéré au
lieu d’un vote par tête. Quand le Traité de Maastricht,
établit pour la future Banque centrale européenne (BCE)
une procédure de décision vraiment efficace, il appliqua
le principe de la majorité sans exception. De plus il
adopta le vote par tête et non par quotas : ce qui est
essentiel c’est la qualité des arguments, pas le poids du
pays du gouverneur qui les promeut. Sur ce second aspect
on pourrait peut-être argumenter que le MES est d’une
nature un peu différente. Mais, sur le premier point,
comment soutenir que quand un Conseil veut décider il
n’y a pas d’autre façon que de compter des voix ? Le
pouvoir de veto -et nous avons vu qu’il ne peut être
exercé que par l’Allemagne et par la France même dans
toutes les matières qui demandent une majorité qualifiéesignifie
ni plus ni moins qu’un refus de facto d’une union
réelle, aussi bien qu’une procédure qui fonctionne très
mal. Bien sûr il serait nécessaire d’équilibrer
soigneusement (et de rééquilibrer) la dimension et les
quotas des majorités qualifiées pour les divers types de
décision.

Le double niveau du Conseil des gouverneurs (Ministres
des finances de l’eurozone ou leurs représentants
personnels) et le Conseil des directeurs, présidé par un
Directeur général, comme le stipule le traité, est
raisonnable. Mais il aurait été préférable que le nombre
des directeurs soit plus réduit, et non, comme
actuellement, composé de personnes nommées
individuellement par chaque gouvernement (art. 6.1) : les
gouvernements sont déjà représentés dans le Conseil des
gouverneurs, tandis qu’il serait préférable que les
directeurs soient nommés par le Conseil dans son
ensemble. Ici encore, le statut de la BCE dans laquelle il
y a six membres au Conseil avec les gouverneurs de
chaque banque centrale nationale, offre un modèle de
gouvernance plus efficace.

Le deuxième inconvénient de base du traité du MES est
d’un ordre différent. Le traité a établi tout à fait
correctement des rôles importants pour la Commission
européenne (qui mériteraient cependant une définition
plus précise) et pour la Cour de justice. Le système
intergouvernemental qui a prévalu et dominé (avec de
sérieux défauts) a donc été surmonté et corrigé. Mais le
traité oublie toute mention du Parlement européen (PE).
Cela semble peu raisonnable et injustifié. Les
récriminations des citoyens, qui ne se sentent pas
représentés par les institutions de l’Union sont de plus en
plus fréquentes et fortement soutenues et répercutées par
les médias. Par conséquent, négliger complètement le
seul organisme qui ait une légitimité directe et
démocratique au niveau européen est pire qu’une faute
par omission : c’est une erreur politique. Il ne faudrait
pas oublier non plus que certains jugements de la Cour
constitutionnelle allemande ont porté, très justement, sur
cet aspect, même si certains arguments avancés par la
Cour de Karlsruhe sont sujets à caution.

Il y a au moins deux domaines dans lesquels le PE
devrait avoir un rôle dans le MES. Le premier, c’est le
pouvoir de confirmer par un vote les nominations du
Directeur général et des autres membres du Conseil
d’administration ; encore une fois, comme pour la BCE.

Le second point concerne les futurs développements
potentiels de la gouvernance économique de l’Union qui
devrait inclure le nouveau système du MES. Il est
essentiel de ne pas oublier l’objectif stratégique de la
création d’un véritable système d’union fiscale
européenne (en plus du « paquet fiscal » maintenant en
place, qui est une étiquette tout à fait inadéquate), en tout
cas entre les pays de l’eurozone. De nouvelles réformes
sont nécessaires et de nouveaux traités : entre autres, la
mise en place de taxes sur les transactions financières et
sur le carbone, une réorganisation des ressources de
l’Europe, l’établissement de la BCE comme prêteur de
dernier recours, la création d’eurobonds, l’approbation
d’un vaste plan de développement pour les
infrastructures, l’augmentation du budget de l’UE par le
transfert de ressources nationales comme cela est
demandé par le principe de subsidiarité. Tous ces
objectifs devraient être atteints progressivement de façon
à assurer la stabilité et garantir les conditions de la
croissance, ce qui, en retour, a un effet direct sur la
stabilité, comme les économistes (pour une fois d’accord
les uns avec les autres) l’ont montré. Dans ce processus
le MES doit devenir un élément du gouvernement
économique et financier de l’Union.

L’augmentation et les garanties du Fonds de stabilité,
actuellement fixés à 700 milliards d’euros, devraient être
également établies à l’avenir à un niveau européen et pas
simplement au niveau intergouvernemental : et donc,
avec la contribution et la décision communes des
institutions de l’Union, y compris du PE. A ce point, l’UE en tant que telle, devrait, à travers la Commission,
être membre du Conseil des gouverneurs, avec sa part
proportionnelle dans les contributions fournies par le
Fonds. Deux remarques finales. En premier, le principe
de solidarité ne devrait pas être oublié, car il est un pilier
de l’intégration européenne, dont les avantages ont été et
sont encore considérables pour tous, même pour les plus
riches et les plus efficaces de l’Union. En second, la
seule coopération intergouvernementale ayant montré
clairement ses limites et ses inconvénients ces dernières
années pour un développement ultérieur de l’Union, et
en tout cas de l’eurozone, une approche supranationale
plus forte est de plus en plus urgente et nécessaire.

P.-S.

Antonio Padoa-Schioppa

Professeur d’histoire du droit italien - Università
degli Studi di Milano - Publié en commun avec The
Federalist Debate - Turin

Traduit de l’anglais par Joseph Montchamp - Lyon