Il y a 30 ans nous avons publié : La Gauche, « tous les autres » et nous

, par Bernard Barthalay

Bernard Barthalay, économiste et actuel titulaire de la Chaire Jean Monnet de l’Université Lyon II, est resté fidèle à ses convictions fédéralistes même si son activité militante dans nos rangs n’est plus aussi quotidienne qu’à l’époque de la création de notre revue dont il signait, en plus de cet article publié dans notre 1er numéro, en mai 1973, le 1er éditorial.

« Tous les autres » ont gagné.
Pompidou garde la majorité. Mais
l’équation de son pouvoir a varié. Le
Gaullisme a perdu les voix de gauche
qui se portaient sur De Gaulle. La
façade d’indépendance nationale se
lézarde. Mais l’Etat autoritaire est sauf.
Au fond, la France électorale est stable
et l’UDR n’est qu’un RPF rénové où
l’européisme affiché et les concessions
à peine voilées à l’Amérique s’ajoutent
aux institutions d’un Etat techno-
bureaucratique centralisé et à
l’anticommunisme le plus violent pour
ramener tous les modérés au bercail de
la droite coalisée.

L’Union de la gauche a perdu. une
bataille seulement si elle sait tirer la
leçon de cet échec. Pour gagner, elle
doit capter à son profit les voix
réformistes et européennes gagnées à
l’après-gaullisme sans pour autant
s‘aliéner le courant socialiste
autogestionnaire. Elle doit vouloir l’autre
Europe, le socialisme dans l’Europe.
C’est un choix difficile, qui incombe
d’abord aux communistes : le choix
d’une Europe occidentale, unie,
démocratique, ouverte, indépendante,
qui ait « des rapports d’amitié avec
l’URSS et les pays socialistes comme
avec les Etats-Unis, et établisse des
rapports nouveaux avec les pays en
voie de développement » (Comité
central du PC italien du 9 février 1973) ;
le choix de la « démocratie avancée »,
d’un supplément de démocratie, du
passage de la démocratie
représentative à la démocratie fédérale,
dans, par et pour cette Europe-là. C’est
à ce prix seulement que les
communistes, et par voie de
conséquence la gauche unie, seront
reconnus comme parti de
gouvernement.

Maintenant que les gaullistes
orthodoxes ne peuvent plus à eux seuls
mettre le parlement en coupe réglée et
que l’homme de droite le mieux placé
pour les présidentielles est un
européiste (Giscard), le refus imbécile
des élections directes (du Parlement
européen, ndlr) a dans la classe
politique des assises moins solides.
Cependant la mobilisation contre le
dessein confédéral de la triarchie
franco-germano-britannique, contre
l’Europe technocratique et réactionnaire
du capital mondial, passe plus que
jamais par l’union populaire, par l’unité
de tous les antifascistes pour l’Europe
des citoyens et des travailleurs.
La rupture avec l’Etat techno-
bureaucratique et le contrôle de la
production par les travailleurs ne sont
plus possibles dans le cadre national.
L’autogestion n’est qu’un vain mot
d’ordre à moins de signifier socialisme
et liberté réconciliés dans le
fédéralisme. Le choix est simplissime :
une Europe confédérale, dominée et
exploitée, dominante et exploiteuse,
sous la double hégémonie américano-
soviétique ; l’Etat-nation exécuteur des
basses œuvres des multinationales :
répression policière et déménagement
du territoire ; une collection de pions
nationaux sur l’échiquier des
impérialismes complices ; un continent
menacé de finlandisation, de
balkanisation, de paupérisation relative,
voire absolue : c’est la mort ; une
Europe démocratique, où l’articulation
fédérale du pouvoir reconnaitrait aux
citoyens et aux travailleurs le droit de
contrôler la production et, dans l’Etat,
de décider démocratiquement à tous les
niveaux : c’est la vie, la vie changée.
Choisir l’Europe aujourd’hui ne signifie
plus se mettre à l’abri du parapluie
américain pour protéger les libertés
formelles de l’avance des chars
soviétiques. C’est un choix de société :
d’un côté, les technocraties nationales,
les libertés menacées et d’intolérables
privilèges ; de l’autre, la démocratie
européenne, un socialisme à visage
humain, espérance des nouvelles
couches moyennes salariées et de la
jeunesse généreuse.

Les élections françaises ont révélé les
éléments de mobilité de la politique
française (aile gauche du PS, PSU,
CFDT, un communiste comme Juquin
etc.). Le courant socialiste
autogestionnaire est le noyau vif de
l’union populaire. C’est avec lui que les
fédéralistes doivent prendre langue
sans attendre. Mobiliser ces éléments
en un contre-sommet n’est pas une
mince affaire. La stratégie fédéraliste de
lutte pour la Fédération européenne et
une stratégie européenne de lutte pour
ce socialisme-là ne pourraient-elles pas
aller du même pas ? Et si, de ce pas, la
gauche française gagnait les
présidentielles et le peuple européen sa
bataille constitutionnelle ?

En France, les fédéralistes se sont
donnés le premier moyen de cette
bataille : une pétition pour l’élection
directe du Parlement européen et la
constitution de la Fédération
européenne. Mais le succès de cette
pétition dépend aussi de la contribution
qu’y apporteront les syndicats, les
pouvoirs locaux et toutes les forces
populaires et démocratiques.

C’est sans tarder qu’il faut les mobiliser
tout à la fois contre le service militaire
obligatoire, pour la reconnaissance des
droits civiques et syndicaux des
travailleurs immigrés, pour le contrôle
de la production par les communautés,
pour la décolonisation de la province,
bref pour l’autre Europe.