Quelle solution pour Israël ?

, par Seyla Benhabib

Traduit de l’anglais par Joseph MONTCHAMP - Lyon

L’attaque d’Israël dans la bande de Gaza où vivent un million et demi de Palestiniens, a été lancée le 28 décembre 2008, le dernier jour de Hanouka, la « fête des lumières ». Hanouka raconte l’histoire des anciens Hébreux, conduits par Judah Maccabée, au second siècle avant Jésus Christ contre Antiochus IV Epiphane. La légende dit qu’une fois que les Maccabées eurent réussi à libérer le temple des mains d’Antiochus, ils trouvèrent à peine assez d’huile pour éclairer la menorah pendant une seule nuit. Cependant cette huile brûla malgré tout pendant huit nuits.

Tandis que l’échelon politique et le commandement militaire avaient de mauvaises raisons pour fixer la date de leur attaque sur Gaza comme ils l’ont fait, ils n’ignoraient certainement pas l’écho que la « fête des lumières » aurait sur le public israélien. Une fois de plus, les Juifs étaient en train d’écrire une histoire de résistance contre leurs oppresseurs : la menace contre la survie collective était héroïquement vaincue par le Ministre de la défense Ehoud Barak, le nouveau Judah Maccabée.

Ces puissants souvenirs de la résistance et de la survie des Juifs, avec la détermination d’après l’Holocauste que « jamais plus » le peuple juif ne subirait la destruction, sont les sources irrationnelles que les responsables d’Israël exploitent chaque fois que le pays s’engage dans la guerre. Cependant, les considérations stratégiques et de realpolitique de l’action militaire actuelle à Gaza sont assez claires : aucune nation, dit-on, ne peut accepter des attaques de roquettes, continues et imprévisibles ; elle est contrainte de défendre ses frontières et ses habitants. Ceux qui regardent un peu plus loin, cependant, font remarquer que l’opération de Gaza est une tentative pour restaurer une apparence d’invulnérabilité militaire d’Israël, perdue dans le sillage de la guerre du Liban en 2006. De plus, des élections générales auront lieu en Israël et dans les territoires palestiniens dans les mois qui viennent et la Ministre des Affaires étrangères actuelle, Tzipi Livni, du parti Kadima, ainsi que l’actuel Ministre de la défense, Ehoud Barak, du parti travailliste, sont candidats au poste de Premier Ministre.

Aucun de ces éléments, cependant, ne rend compte de la férocité de l’action d’Israël, disproportionnée par rapport aux attaques de l’autre côté, mais même de tout but imaginable d’Israël et de la violation de la loi humanitaire internationale et d’un engagement dans des crimes de guerre. Pourquoi ?

La véritable réponse, c’est qu’Israël a perdu sa vision politique et sa puissance militaire et qu’aucun sens politique clair ne guide ses actions. La force militaire, libre de sa subordination à des buts politiques, est brutale et aveugle. Personne, parmi les responsables d’Israël, n’a une vision politique et je ne veux pas dire une stratégie de buts à long terme, serrés entre deux cycles d’élections et révisables selon les circonstances, mais une vision politique, celle que les fondateurs de républiques sont supposés posséder. Comment cette république survivra-t-elle ? Quelles institutions durables peut-elle léguer à ses enfants et à ses petits-enfants, grâce auxquelles ils seront libres de prospérer comme individus et comme citoyens ? Qui, aujourd’hui, a cette sorte de vision du politique à offrir concernant le conflit Israël Palestine ? Les Israéliens certainement ne l’ont plus. Et les Palestiniens, bien qu’ils aient la force de la moralité et le vent de l’histoire derrière eux, ont été vaincus et humiliés par Israël à diverses reprises et ils ont été trahis par les nations arabes qui sont fortes en paroles mais avares en actions.

Depuis les années soixante, la vision politique des Palestiniens a été inspirée par le « tiers mondisme » des « damnés de la terre », un discours de modernisation étatique et nationaliste qui montra clairement ses limites quand les leaders palestiniens apportèrent leur soutien à Sadam Hussein, lors de l’invasion du Koweit. Je me souviens encore de l’article extrêmement émouvant du regretté Edouard Saïd dans le New York Times de l’automne 1992, qui admettait la sottise palestinienne et décrivait clairement la fin de l’idéologie du Fatah. Dans le vide laissé par la chute des idéologies bureaucratiques, militaires, modernisantes et occidentalisées, partout dans le monde arabe se précipitèrent des idéologies islamistes représentées par le Hamas et le Hezbollah : le nouvel islamisme est une vision moralisatrice, puriste, disciplinaire, inspirée par la révolte de l’Ayatollah Khomeini contre l’Occident et qui a gagné du terrain dans la population palestinienne, autant par sa féroce rhétorique sur la destruction de l’Etat juif que par ses programmes d’aide de voisinage redistributeur et de charité islamique solidaire.

Le Hamas, comme d’autres mouvements en Turquie et ailleurs au Moyen Orient, représente une vision égalitaire et « redistributioniste » de la solidarité islamique qui est aussi profondément autoritaire et anti-libérale. Dans les années 1980, le Hamas était soutenu par Israël comme une alternative au Fatah, plus militant et laïque, tout comme les USA soutenaient Oussama Ben Laden et les Moudjahidines contre les fedayins en Afghanistan qui étaient plus laïques et socialistes. Dans les deux cas, le diable sortit de sa boîte et maintenant Israël aussi bien que les Etats Unis sont piégés avec les allégeances variables du Hamas et du bien plus redoutable Hezbollah, du travail social islamique au militarisme islamiste, des protecteurs sunnites comme l’Arabie saoudite aux idéologues chiites de l’Iran. Il n’y a rien dans cette constellation qui pourrait donner de l’espoir et du réconfort aux progressistes et aux gauchistes. Notre engagement pour l’égalité, l’auto-détermination et la solidarité des peuples doit donc rester un principe critique et ne doit pas être sacrifié à une adhésion aveugle à un groupe ou à un autre.

La sécurité d’Israël dans un monde post-westphalien

Alors, quelle est la finalité politique du jeu d’Israël ? Israël se trouve pris dans un combat pour une sécurité westphalienne dans un monde post-westphalien, dans lequel les frontières sont devenues poreuses, où les microbes, les nouvelles, les marchandises, l’argent, tout, semble-t-il, sauf le corps humain, voyage de plus en plus vite et en nombres toujours plus grands. Des tunnels ont été creusés entre l’Egypte et Gaza pour faire passer en contrebande des armes achetées avec de l’argent iranien. L’argent du pétrole dérive dans les mains de prédicateurs itinérants et de pseudo-saints fourni par des cheikhs et des royaumes corrompus du Golfe qui protègent leurs dynasties vulnérables, ainsi que par un irrédentiste et irresponsable en Iran. Des systèmes d’armes défunts qui viennent de Russie et d’anciennes républiques soviétiques telles que le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Azerbaïdjan, vont finir entre les mains de leurs frères musulmans. Et des marchands d’armes chinois cyniques et des hommes d’affaires russes véreux ne sont que trop heureux d’offrir leurs marchandises dans la région.

Et Israël fait semblant d’être scandalisé ! Choqué que des missiles qui ont la capacité d’atteindre Tel Aviv soient maintenant stockés dans la bande de Gaza et au sud du Liban. Choqué que des petits groupes de militants du Hamas lancent des roquettes montées sur des engins mobiles, tout en se dissimulant parmi la malheureuse population civile. Mais ceci est hypocrite : que ce soit stratégiquement ou moralement, cela n’explique pas, ni ne justifie les représailles massives. Même Sadam Hussein, pendant la première guerre du Golfe, envoya quelques minables Scud sur Tel Aviv, les enfants comme les adultes allèrent chercher leurs masques à gaz et se tinrent cois dans leurs appartements en attendant que les missiles tombent. Israël sait, et cela depuis un certain temps, que son supposé bouclier de puissance militaire a été percé par de nouvelles générations d’armes.

Il n’y a pas de sécurité parfaite, ni d’invulnérabilité totale dans ce monde nouveau, du moins depuis le 11 septembre 2001 –s’il y eut jamais d’invulnérabilité totale dans le domaine politique. Cependant c’est le choc d’Israël face à sa propre vulnérabilité qui le fait agir de façon de plus en plus belligérante à l’égard de ses voisins. Même la possession de la bombe nucléaire n’assure pas la sécurité, non pas parce que l’Iran peut en avoir une aussi, mais parce que l’utilisation de la bombe sur des objectifs au Liban, en Syrie, sur la bande de Gaza, sur la rive ouest et la Jordanie, en déployant des nuages radio-actifs sur toute la région et en contaminant l’eau et la végétation, rendrait Israël même inhabitable.

Quatre visions politiques

Plusieurs discours politiques dans l’Israël d’aujourd’hui tentent de faire face à la situation, sans offrir une nouvelle vision de la politique :

 La perspective de la guerre perpétuelle. Bien qu’elle ne soit défendable par aucun politicien qui se respecte, c’est une psychologie qui pénètre dans l’âme de nombreux Israéliens ordinaires. Beaucoup croient que la guerre sera un mode de vie et qu’il n’y aura jamais de paix en Israël et Palestine.
 Les libéraux et progressistes de toute sorte se font les avocats de la solution des deux Etats, parce qu’ils croient au principe d’égale auto-détermination pour les peuples. Cependant, d’autres acceptent cette solution parce qu’ils sont inquiets concernant ce qu’on appelle « la bombe démographique déjà amorcée », le taux des naissances galopant des Palestiniens et parce qu’ils ne veulent pas devenir une minorité dans un Etat palestinien majoritaire, qu’il soit démocratique ou pas.
 Il y a ensuite la vision d’un grand Israël basé sur la croyance religieuse, de fait, l’opinion que les anciennes terres de Judée et Samarie appartiennent irrévocablement au peuple juif.
 Ce point doit être distingué de la vision laïque d’un grand Israël qui comprendrait les territoires palestiniens et qui serait gouverné par des accords économiques mutuellement acceptables et qui combinerait le libre échange et des zones de croissance économique.Du moins, depuis l’initiative de paix d’Isaac Rabin et les accords de Camp David, l’idée de la solution « des deux Etats » est la politique officielle des gouvernements américain et israélien. Mais la solution « des deux Etats » a un noyau ambivalent et, très souvent, ses significations cachées éclatent dans la conscience publique. La solution des deux Etats fut largement acceptée, pas seulement parce qu’elle garantissait le droit du peuple palestinien à l’auto-détermination mais parce qu’elle promettait le « désengagement démographique ». Soudain les démographes, ces pseudo-politiciens qui dissimulent leur pensée raciste, argumentèrent que, si Israël continuait d’occuper Gaza, la rive ouest et l’est de Jérusalem, il cesserait d’exercer un contrôle militaire sur 5 millions d’Arabes palestiniens, y compris ceux qui sont citoyens d’Israël et qui vivent depuis 1967 dans les frontières d’Israël. Etant donné le taux élevé des naissances palestinien, on pressentait que la nature juive d’Israël serait en péril à moins qu’il ne se désengage de Gaza et ne rende une certaine partie des territoires. Les cauchemars de devenir une minorité dans un Etat qu’on a soi-même fondé pour ne pas être des citoyens de seconde zone, méprisés, exploités, calomniés et tués en masse revinrent ; soudain les fantômes de l’inconscient juif, des pogromes des Cosaques aux camps d’extermination nazis resurgirent et une majorité importante de la population israélienne signa Camp David et dit « deux Etats, côte à côte » pour échapper au cauchemar.

Cependant de nombreux stratèges de la réal-politique israélienne et beaucoup de colons israéliens n’ont jamais accepté cette vision. Depuis 1967, le mouvement de colonisation ou d’implantation s’est accru depuis un groupe de fanatiques rêveurs qui croyait dans la « terre sacrée d’Israël » (Eretz Israël) et opposés à « l’Etat d’Israël » (Medinat Israël) pour devenir une masse mélangée de groupes militants et religieux bien armés et bien financés. Ce sont ceux-là qui tirèrent sur des Palestiniens pendant les prières du vendredi dans une mosquée d’Hebron, et le meurtrier d’Isaac Rabin, Yigal Amir, provenait de leurs rangs. Comme les assassins d’Anouar El Sadate en Egypte qui appartenaient à la Fraternité musulmane, ce sont des groupes qui vivent dans un autre âge, qui entendent les voix d’anciens dieux, qui ressentent les affres d’anciennes guerres et obéissent à d’anciens mythes. Ils restent une force irrédentiste et dangereuse pour les Israéliens et les Palestiniens et ils tenteront de ruiner toute paix durable dans la région parce que leur raison d’être est une vision messianique d’une lutte ancienne et sans fin. Pour eux, la révolte des Maccabées a une résonance particulière. Leur potentiel violent est aussi manipulé par des politiciens des deux bords pour atteindre leurs buts à courte vue.

Mais, tout comme le malheur des Palestiniens a été utilisé par des régimes arabes corrompus, pour consolider leur propre légitimité vacillante, de même le mouvement des « colons » a été utilisé par des élites israéliennes cyniques pour faire avancer leur vision d’un grand Israël laïque. Décrits en des termes inoubliables par Amoz Oz dans son livre Sur la terre d’Israël, il y a les juifs coriaces, attachés à la terre qui sont curieusement progressistes en ce qui concerne les questions de coopération économique et de développement avec les Palestiniens. Ils rappellent les fermiers blancs de Rhodésie et les éleveurs de bétail entreprenants d’Australie et les « ranchers » d’Afrique du Sud ; ce sont des hommes qui veulent contrôler et développer les terres d’Israël et de Palestine. Par contraste avec les libéraux qui se préoccupent de « l’âme démocratique d’Israël », ils sont plus soucieux du « muscle » et de la portée économique et agricole d’Israël. Le héros de la guerre de 1967, Moshe Dayan, appartenait à ce groupe, tout comme aujourd’hui Ariel Sharon qui est toujours entre la vie et la mort. Pour eux, tant que les Palestiniens sont des entrepreneurs laborieux, économes et paisibles, tant qu’ils développent la terre au lieu de la ruiner, la coexistence est possible. Les rêves de ce groupe furent détruits en 2005, quand des foules furieuses de Palestiniens ravagèrent les belles serres construites par des Israéliens à Gaza pour exporter des roses, des tomates et des avocats dans le monde. La rage des Palestiniens qui se manifesta dans cette destruction de propriété fut interprétée par ce groupe, comme par de nombreux maîtres coloniaux avant eux, comme une preuve de l’incompétence des indigènes à travailler dur, ménager la propriété et ajouter de la valeur au capital.

L’opération militaire actuelle à Gaza comporte des éléments des quatre discours politiques –la guerre perpétuelle ; une solution de deux Etats ; un grand Israël religieux et un grand Israël laïque- et c’est pourquoi elle est incohérente dans sa finalité : est-ce qu’Israël veut à nouveau occuper Gaza et construire des serres qui seront à nouveau démolies ? Israël veut-il détruire le Hamas et ses institutions civiles et militaires une fois pour toutes et ensuite quitter Gaza en espérant une solution à deux Etats qui ne sera probablement pas possible ? Israël veut-il occuper Gaza et exposer ses troupes à de grands dangers et commettre des crimes de guerre potentiels contre la population palestinienne ? Personne n’est sûr de rien.

Comme la Chine et le Tibet ?

Y a-t-il des alternatives politiques réelles dans la situation actuelle et pas seulement des stratégies militaires qui paradent comme des visions politiques ? A l’intérieur d’Israël, il y a un mouvement pour dissocier la citoyenneté israélienne d’une identité juive ethno-religieuse, pour permettre à Israël de devenir la terre de tous ses citoyens. Ceci impliquerait une répudiation partielle ou totale de la loi du Retour, qui donne droit à la citoyenneté israélienne à tout juif qui a été reconnu par une autorité rabbinique quelconque. Jusqu’à une date récente, la loi sur la citoyenneté d’Israël n’avait pas été réformée et beaucoup de travailleurs immigrants et leurs enfants ainsi que des partenaires non-juifs et leurs épouses ne pouvaient pas obtenir la citoyenneté en Israël. Par une ironie du sort, dans la dernière décennie, il est devenu plus facile pour des Russes qui se disent juifs, d’obtenir la citoyenneté, que pour un Arabe –palestinien, né et élevé à Jérusalem-est, parce qu’il (ou elle) sera considéré comme un risque pour la sécurité et parce que le statut de Jérusalem-est est une énigme en termes d’accords internationaux. Aussi significative que puisse être cette vision, elle court le risque de devenir une sorte d’impérialisme bienveillant, surtout quand la demande de citoyenneté s’étend pour inclure les Palestiniens des territoires occupés dont le statut est confus et instable en l’absence d’un traité de paix global.

Toute réflexion politique sérieuse concernant Israël et la Palestine doit être basée sur le principe que la force militaire n’est qu’une dissuasion, et une dissuasion de plus en plus douteuse, à coup sûr, et ce ne sont pas les armes mais les hommes qui concluent une paix. La paix est un bien collectif. Israël est pris dans un modèle westphalien défunt de la souveraineté qui suppose que l’Etat contrôle tout ce qui est vivant ou mort à l’intérieur de ses frontières. La plupart des démocraties avancées savent que moralement ou empiriquement ce n’est plus le cas. La souveraineté est un lot, un ensemble de privilèges et de prérogatives d’Etat qui peuvent être partagés, délégués, co-exercés avec d’autres groupes et d’autres pouvoirs. Beaucoup de responsables israéliens savent qu’ils ne permettront jamais une totale souveraineté palestinienne sur l’espace aérien, que ce soit à Gaza ou sur la rive ouest, ni sur la libre circulation des marchandises dans et hors des ports, ni sur les réserves d’eau souterraines qui s’étendent des deux côtés des territoires. Alors, pourquoi prétendre qu’un Etat palestinien souverain sera souverain au sens où Israël aimerait à se considérer également souverain ? La simple et triste vérité, c’est qu’un Etat palestinien de cette sorte sera perpétuellement malmené, contrôlé, surveillé et de temps à autre frappé par Israël. C’est précisément parce que beaucoup de partisans de la solution de deux Etats savent aussi que les relations futures avec l’Etat palestinien seront moins semblables que celles de l’Italie avec l’Autriche1 mais qu’elles seront plus semblables à celles de la Chine avec le Tibet et de l’Inde avec le Cachemire, que beaucoup de politiciens israéliens font semblant de croire à cet idéal en s’assurant, sur le terrain, que cela est de moins en moins susceptible de se réaliser.

Imaginons une confédération

Rêvons ensemble un moment. Supposons qu’il y ait une confédération en Israël et Palestine. Supposons que la neutralisation des groupes comme le Hamas et le Hezbollah, qui ne reconnaissent pas l’existence d’Israël, soit un but commun pour les Palestiniens et les autres nations arabes, mais que si le Hamas reconnaissait à Israël le droit d’exister, il aurait un siège à la table ; supposons qu’il y ait des contrôles communs sur les airs, les voies maritimes et l’eau qui s’exercent conjointement par une autorité israélo-palestinienne, supposons qu’il y ait une monnaie commune et des droits d’installation réglementés pour chaque groupe ethnique dans certaines parties du territoire commun. Israël n’aurait pas à faire face à une guerre civile contre des colons fanatiques à Hebron et sur la rive ouest qui seraient obligés de vivre sous une autorité municipale régionale palestinienne ou bien devraient rentrer en Israël. Mais Israël n’aurait pas à défendre leurs enclaves par des incursions sur le territoire palestinien. Les Palestiniens n’auraient pas à prétendre que le Bantoustan de Gaza pourrait, en un certain sens, faire partie d’un Etat palestinien ; en effet, Gaza serait une région autonome dans une confédération israélo-palestinienne. Gaza et la rive ouest auraient des élections pour les administrations régionales et municipales et des gouvernements, sous des accords bien définis de partage des pouvoirs les uns avec les autres et avec Israël.

Une confédération ne signifierait pas la disparition de la politique nationale collective et de l’identité de chaque peuple. Dans une certaine version des territoires d’avant 1967, c’est à dire la Ligne Verte, Israël resterait un Etat juif, avec sa langue, ses vacances, ses élections ; mais il partagerait le pouvoir dans les domaines militaire, de la sécurité, du renseignement, de la monnaie et des échanges avec l’Etat palestinien. De la même façon, les Palestiniens auraient leur propre langue, leurs vacances et leurs élections, mais les deux peuples mettraient au point une sorte de programme scolaire commun, particulièrement sur l’enseignement de l’histoire qui fasse justice aux vérités historiques et aux souffrances des deux peuples. Les enfants d’une nouvelle génération apprendraient à avoir de la compréhension et de la sympathie plutôt que de la haine les uns pour les autres. Il y aurait une certaine égalisation des droits sociaux et socio-économiques dans cette confédération, si bien que chacun ne souhaiterait pas s’installer dans les provinces israéliennes plus riches ; le pluralisme religieux et des droits civiques libéraux seraient également respectés pour tous : Juifs, Musulmans, Chrétiens et tous les citoyens d’autres croyances. Pour les religieux pratiquants qui voudraient avoir leurs affaires particulières administrées par des autorités religieuses, il y aurait des cours de justice optionnelles, mais il y aurait une Déclaration des droits pour tous les habitants qui garantirait l’égalité des droits civils et politiques.

S’il m’est permis de poursuivre mon rêve, j’imagine que cette confédération pourrait devenir le noyau et le centre d’une Union du Moyen Orient et de ses peuples, dans laquelle la Turquie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et de nombreux autres Etats pourraient se rejoindre, sur le modèle de l’Union européenne.

A ceux qui m’accuseraient de vouloir me débarrasser de l’Etat d’Israël, comme ce fut le cas contre Tony Judt, quand il osa soulever certaines de ces propositions dans le New York Review of Books, il y a quelques années, je demande : quelles alternatives avez-vous à offrir aux peuples d’Israël et de Palestine, si ce n’est la guerre perpétuelle ou le projet impérial d’un grand Israël laïque ou religieux ? Si l’on veut qu’Israël préserve son âme d’Etat libéral-démocratique et préserve son identité sans racisme, sans discrimination ni guerre contre un autre peuple, qu’il ose regarder au-delà des visions défuntes de l’Etat westphalien. La France, l’Italie, l’Allemagne, etc. n’ont pas disparu dans l’Union européenne ; bien au contraire, leur capacité de gouvernance et leur capacité à fournir à leurs propres peuples, la paix et la prospérité ont été augmentées. Une confédération républicaine des administrations israélienne et palestinienne correspond à la fois aux réalités d’une interdépendance accrue, développée sur le terrain entre Israël et les Palestiniens, aussi bien qu’une opportunité de stabilité et de prospérité dans l’avenir. La tragédie de Gaza devrait apporter de nouvelles visions dans le champ politique.