Directive « retour » : les idées conservatrices triomphent en Europe

, par Diego Melchior

Grâce la procédure de co-décision, le Parlement s’est prononcé le 18 juin 2008 sur la directive « retour » en adoptant le texte à 369 voix pour, 197 contre et 106 abstentions. Le Parlement européen avait pourtant là une occasion unique de rejeter un directive préparée par les États membres qui instaurait certes le cadre d’une politique européenne d’immigration mais une politique préoccupante pour certains, liberticide pour d’autres, équilibrée et nécessaire pour ses défenseurs…

« Article premier - Objet

La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire, ainsi qu’au droit international, notamment les obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. »

Une directive qui naît dans un contexte politique particulier

Une politique commune d’immigration était devenue un impératif qui s’imposait. Le débat autour de la question était notamment revenu sur le devant de la scène après la victoire de Silvio Berlusconi en Italie, flanqué sur sa droite d’une Ligue du Nord renforcée par son excellent résultat aux élections législatives anticipées des 13 et 14 avril derniers. Ce dernier, en effet, sous les pressions répétées de la Ligue, avait souhaité porter au plan européen la question de l’immigration, laissant sous-entendre qu’il laisserait sinon son gouvernement agir nationalement.

A suivi ensuite le pacte européen pour l’immigration proposé par Brice Hortefeux, visiblement dans la même veine que les requêtes de la Ligue du Nord. Placées devant le fait accompli, les institutions européennes n’avaient finalement pas d’autre choix que de proposer au plus vite une directive cadre sur l’immigration afin d’éviter que les États membres fassent chacun de leur côté leur propre politique d’immigration, ce qui aurait alors pu mettre en danger l’équilibre européen.

Des arguments peu convaincants ont servi à défendre le texte.

La directive « retour », donc, grâce à la procédure de co-décision, a été soumise au Parlement européen qui l’a adoptée. Deux grands arguments ont été évoqués pour défendre le texte de la directive :
 cette directive est un compromis équilibré et nécessaire ;
 cette directive fixe le cadre d’une politique européenne d’immigration, c’est un pas indispensable vers plus d’Europe, donc peu importe le contenu du texte, c’est mieux que rien.

Cependant, ces deux arguments ne permettent en rien de justifier un tel texte. Cette directive n’est pas un compromis équilibré et nécessaire. Au contraire, c’est un pur produit des idées conservatrices véhiculées par les partis de droite membres du PPE et par des partis populistes et xénophobes comme le Front national, en France, la Ligue du Nord en Italie ou l’ancienne liste Pim Fortuyn aux Pays-Bas. De trop nombreux éléments, qui n’ont pu être amendés par le PSE notamment, sont présents dans ce texte.

De la lutte contre l’immigration clandestine à la criminalisation de l’immigration

Ce texte a pour vocation première de lutter contre l’immigration clandestine. Bien évidemment, dans la plus pure logique conservatrice, ce texte propose l’exact inverse d’une véritable politique d’immigration. C’est l’expulsion en effet, via des centres de rétention, qui est le cœur de cette directive. Or les expulsions ne limitent en rien la venue des migrants qui, s’ils sont déterminés à quitter leur pays – pour des raisons sûrement compréhensibles –, reviendront en Europe quoi qu’il en soit.

Et même, au contraire, une telle politique encourage plutôt la clandestinité puisque d’une part, les États membres, au lieu de régulariser, ne feront que pourchasser les immigrés illégaux et, d’autre part, cette réaction défensive va être perçue par les migrants comme une invitation à venir en Europe. En effet, puisque celle-ci fait tout pour protéger son territoire, c’est que celui-ci doit être clairement un endroit privilégié qui attire !

En outre, cette directive porte une atteinte préoccupante aux droits de l’homme. Il est explicitement indiqué que les immigrés illégaux – en fait la majorité des immigrés qui entrent dans les États membres étant donné la difficulté réelle qu’il existe pour avoir des papiers – seront placés dans des centres de rétentions, construits à cet effet, pour une durée maximum de six mois, avec une possibilité de prolonger de douze mois cette période …

Concrètement, c’est donc la criminalisation de l’immigration qui est acceptée à travers cette directive. Immigrer devient donc un délit qui en plus d’être puni par un « éloignement » est couplé à une peine de prison dans un camp de rétention dont on connaît les conditions de vie déplorables.

La directive « retour » : mieux que rien ?

Mais tout cela est-ce mieux que rien ? Au plan strictement juridique, évidemment, difficile de prétendre que ce n’est pas mieux que rien puisque, aujourd’hui, il existe en effet un cadre européen pour l’immigration… mais quel cadre ! L’argument juridique qui privilégie l’aspect technique (« plus d’Europe ») sur l’aspect politique (une directive conservatrice) est pourtant nul et non avenu au plan politique puisqu’en fait, cette directive ce n’est pas mieux que rien, c’est tout simplement rien…

Rien pourquoi ? Rien parce que cette directive ne fait que concrétiser au plan européen les volontés conservatrices de gouvernements nationaux de droite tels que ceux de la France ou de l’Italie. Nous n’avons pas avancé, nous n’avons pas fait plus d’Europe, nous avons tout simplement calqué au plan européen la politique en matière d’immigration souhaitée par une bonne partie des États membres.

Tout cela en somme va permettre aux États membres qui sont gouvernés par la droite d’appliquer une politique d’immigration des plus conservatrices sans être inquiété ni par l’Union européenne ni par d’autres États membres.

Le Parlement fait un pied de nez aux nonistes de gauche.

Après le rejet du Traité établissant une Constitution pour l’Europe par la France en particulier, nous étions nombreux à nous demander si ce non était un non de gauche. Les tenants du non gauche revendiquait un non de gauche populaire, un non du peuple. L’extrême droite, elle aussi, revendiquait le non du peuple. Difficile de trancher dès lors : non de gauche malgré tout européen ou non de droite foncièrement hostile à l’Europe, au progrès et aux idées sociales ?

À en croire les tenants français du non de gauche, les rejets français et hollandais du TCE, puis le rejet irlandais du Traité de Lisbonne, seraient l’expression des peuples pour une Europe plus sociale, pour une Europe débarrassée des politiques de la droite. Ironie du sort, au sujet de la directive « retour », l’Europe des peuples a parlé aujourd’hui et finalement nous sommes loin d’avoir assisté à une expression progressiste de ceux-là.

En effet, s’il y a bien une institution populaire, représentant directement les peuples d’Europe, c’est le Parlement européen. Or les représentants du peuple, bien loin de rejeter un texte profondément conservateur, n’ont fait que l’encenser. Ce n’est clairement pas la faute à l’Europe si une telle directive va s’appliquer, la responsabilité en incombe directement à la droite européenne : le PPE au Parlement européen ; les gouvernements de droite issus du suffrage universels dans les États membres.

N’en déplaise donc aux eurosceptiques de gauche, notamment français : aujourd’hui, quand l’Europe des peuples s’exprime, ce n’est sûrement pas pour refuser les politiques libérales et conservatrices, mais hélas, bien au contraire, pour les soutenir.