Le Mexique corrompu par les narcotrafiquants face à la « quatrième transformation » promue par le Président AMLO

, par Jean-François Richard

Le fédéralisme mexicain mis en place en 1824 apparaît comme un fédéralisme d’inspiration classique. Cependant dès le début il organise un pouvoir exécutif fort tout en prévoyant une certaine forme d’autonomie pour les États. Au fil des ans, des guerres civiles, le Mexique a abouti à un compromis institutionnel avec l’adoption la Constitution mexicaine de 1917 toujours en vigueur qui renforce alors l’autorité du gouvernement fédéral.
Le Mexique est une république fédérale composée de 31 « États » et d’un District fédéral comprenant la région de la capitale fédérale, Mexico.
Dans la pratique, le fédéralisme s’est donc révélé être plutôt centralisé et asymétrique, dans un contexte d’hyperprésidentialisme et de domination d’un parti unique. Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a régné sans partage de 1929 à 2000. Néanmoins, depuis la fin des années 1980, un processus de revitalisation du fédéralisme a été observé grâce au développement du pluralisme politique et à la montée en puissance du rôle des communes.
La collusion entre l’État et les groupes criminels de narcotrafiquants est, toutefois, une réalité systémique que ni l’alternance politique, ni la condamnation retentissante du parrain Joaquin « El Chapo » Guzman, en 2019, n’ont suffi à remettre en cause.
Car chacun des États est habilité à adapter individuellement son cadre juridique à ses nécessités et réalités. Cette large marge de manœuvre laissée aux États fédérés a provoqué des dysfonctionnements dans les lois de sécurité ainsi que des variations des dispositions administratives et des inégalités des sanctions prévues dans le Codes pénaux et Codes de procédure pénale locaux.
Dès les années 70, les trafiquants de drogue ont défié les forces locales de répression. La domination du PRI a facilité la corruption généralisée. Dans les années 80, Félix Gallardo prend la tête du cartel de Guadalajara et ouvre la voie à la corruption généralisée jusqu’au sein du pouvoir fédéral. Il pratique l’ouverture internationale du trafic vers la cocaïne colombienne.
Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 2006, Felipe Calderon démocrate-chrétien très conservateur a choisi la manière forte, sinon, expliquait-il, le prochain président du Mexique pourrait bien être un narcotrafiquant [1] .
Sa guerre contre le narcotrafic et le crime organisé a coûté au pays des dizaines de milliers de morts, de déplacés et de disparus, ainsi qu’une insécurité croissante sur tout le territoire national. Cette guerre a été poursuivi à moins grande échelle mais aussi sans succès jusqu’à l’élection d’Andres Manuel López Obrador fin 2018.
Désigné sous l’acronyme d’AMLO, cette figure de la gauche mexicaine a construit sa victoire autour de la lutte contre la corruption, de l’écologie et d’un discours antisystème.
L’arrestation, mi-octobre 2020, d’un ancien ministre mexicain de la Défense (Salvador Cienfuegos, secrétaire à la défense pendant toute la durée de la présidence d’Enrique Peña Nieto entre 2012 et 2018), accusé de trafic de drogue aux États-Unis, a braqué les projecteurs sur les liens de la classe politique avec les narcotrafiquants.
Une arrestation sans précédent qui arrive quelques mois après celle – toujours aux États-Unis – de l’ancien responsable mexicain de la lutte contre les cartels : Genaro Garcia Luna, pour sa part soupçonnée d’avoir protégé le cartel de Sinaloa.
De fait, deux ans après l’accession au pouvoir de AMLO, pourtant élu sur une rhétorique anti-corruption, la justice américaine semble plus active sur ces dossiers que celle du Mexique.
Ce fléau, c’est la violence des cartels mexicains qui continuent de prospérer sur le trafic de stupéfiants d’Amérique du Sud vers les États-Unis. Les cartels ont su s’adapter et ont diversifié leurs productions pour répondre au marché nord-américain mais aussi au marché mexicain en développant les drogues de synthèse : méthamphétamines et le fentanyl.
En avril 2020 les cartels se sont adaptés à l’épidémie due au coronavirus en distribuant des produits de première nécessité, se substituant ainsi aux autorités.
On a vu ainsi sur le net des vidéos d’Alejandrina Guzman, fille d’El Chapo en train de délivrer des cartons de vivres dans la banlieue de Guadalajara. Elle porte un masque en tissu à l’effigie de son père ancien chef du puissant cartel de Sinaloa, incarcéré aux États-Unis et répertorié dans le classement Forbes comme le 701ème fortune du monde.
Les mafieux mexicains font savoir qu’en pleine crise économique provoquée par la pandémie due au coronavirus et bien que touché par la paralysie des transports, savent rebondir vite face à un État dépassé par l’urgence sanitaire.
Seul le combat de la presse mexicaine contre le narcotrafic a eu enfin une reconnaissance internationale avec le collectif Forbidden Stories qui a initié en 2020 le « Projet Cartel ».
En 2020, on dénombrait 120 journalistes assassinés durant les vingt dernières. Un chiffre record qui fait du Mexique l’endroit le plus dangereux pour la presse dans le monde.
Pour poursuivre le travail de leurs confrères mexicains menacés, censurés et assassinés, 60 journalistes de 25 médias internationaux ont décidé de s’unir. Pendant 10 mois et dans 18 pays, les journalistes du « Projet Cartel » [2] ont travaillé main dans la main pour enquêter sur les cartels de la drogue mexicains, leurs liens avec les pouvoirs politiques et leurs connexions dans le monde pour s’approvisionner en armes et en produits afin de fabriquer localement des drogues de synthèse.
Publiée en une du Washington Post, du Guardian ou du Monde fin 2020, cette enquête a mis au jour des histoires censurées et étouffées. Un documentaire a été réalisé par Jules Giraudat « Projet Cartel : Mexique, le silence ou la mort ». Il a été diffusé en France sur France 5, mais aussi en Belgique sur la RTBF et en Suisse sur la RTS.
Dans la presse francophone, le site d’info alternatif qui veut « réinventer la gauche » et combattre l’extrême droite par les idées, Le vent se lève (LVSL) [3] a publié en avril un article de Julien Trevisan sur les actions du Président mexicain AMLO dans la lutte contre la corruption.

Ses efforts touchent non seulement les institutions avec des projets d’une réforme globale du système juridique. La réforme de la justice passe par la modification de sept articles de la Constitution et l’introduction de deux lois fédérales.
AMLO s’attaque aussi clairement au néolibéralisme et tente d’exclure le secteur privé du domaine de l’énergie notamment de la Pemex (entreprise semi-publique mexicaine chargée de l’exploitation du pétrole).
En fait son projet depuis son élection en 2018 est de réaliser la « quatrième transformation » (4T) du Mexique. Vaste programme puisque la première transformation correspond à la guerre d’indépendance du Mexique (1810-1821), la deuxième à la réforme laïque (1857-1860) et la troisième à la Révolution mexicaine (1910-1920) ...
Ce programme renforce cependant le pourvoir fédéral et ne va pas forcément dans le sens du principe de subsidiarité selon lequel une autorité centrale ne peut effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur.