Les caciques Raoni et Almir Surui dénoncent des crimes contre l’humanité du Président Bolsonaro à la Cour pénale internationale

, par Charly Salkazanov, William Bourdon

Depuis le début de la présidence de Jair Bolsonaro, la déforestation de l’Amazonie a atteint un triste record depuis 2008 : plus de 11 000 km² de forêt tropicale rasés en douze mois. Après deux ans de présidence, la déforestation s’est accrue de près de 50%. Les peuples autochtones ont payé d’un lourd bilan humain l’exploitation massive de l’Amazonie. Indiscutablement, la politique du président brésilien vise à éliminer les peuples autochtones pour piller les ressources naturelles de l’Amazonie et favoriser l’agrobusiness.
Le Président Bolsonaro fait tout pour favoriser l’exploitation industrielle et la prédation des terres où vivent les peuples indigènes. Les agences gouvernementales chargées de la protection de l’environnement, l’IBAMA et l’ICMBio ont été démantelées. Leur budget a été restreint et elles ont été placées sous tutelle du pouvoir militaire. Pourtant, la forêt amazonienne joue un rôle essentiel dans la régulation climatique à l’échelle planétaire. Il faut à tout prix éviter d’atteindre un point de non-retour.
Les caciques Raoni Metuktire et Almir Surui ont sollicité l’aide de William Bourdon, avocat inscrit à la Cour pénale internationale (ci-après « CPI »), pour agir en justice contre le président Jair Bolsonaro.

Le projet a germé lors des ateliers organisés par l’association Darwin Climax Coalitions à Bordeaux en 2019. Ce fut l’occasion de rencontrer les représentants des communautés indiennes dont le Chef Raoni. Ce dernier clairement a exprimé le sentiment des communautés indigènes d’une impasse judiciaire et leur volonté d’agir. Après cette rencontre, un long travail de recherches et d’échanges avec les peuples autochtones et un collectif de juristes et d’ONG du monde entier a été mené.

Ces travaux ont permis d’identifier et documenter plusieurs actes constitutifs de crimes contre l’humanité et d’aboutir au signalement déposé au Bureau du Procureur de la CPI le 22 janvier dernier afin qu’il ouvre une enquête sur les faits reprochés à Jair Bolsonaro.

Le premier crime contre l’humanité concerne l’assassinat ciblé de leaders autochtones, dont le nombre a atteint un triste record en 2019.

Ensuite, Jair Bolsonaro a contraint de nombreux peuples autochtones à quitter leurs terres en raison, soit de leur accaparement industriel, soit de leur destruction, en pratiquant la politique de la terre brûlée. De rares et précieux témoignages de membres de tribus autochtones évoquent le vol de leurs terres et leur déplacement en raison des exploitants agro-industriels qu’ils qualifient d’envahisseurs.

Enfin, Jair Bolsonaro a persécuté les peuples autochtones d’Amazonie. Un rapport du Conseil indigéniste missionnaire (CIMI) de 2019 fait état de 160 actes de violence contre les peuples autochtones mais également de l’invasion massive de leurs territoires et de l’exploitation illégale de leurs ressources. Le président a également supprimé les services publics de santé et d’aides alimentaires qui leur étaient destinés. Cette persécution des peuples autochtones s’est accompagnée de menaces et d’hostilité à l’encontre des fonctionnaires, scientifiques et des ONG environnementales.

Au Brésil, la démarcation des terres indigènes fait l’objet d’une législation particulière. La démarcation accorde une protection aux communautés indigènes puisqu’ils bénéficient de l’usufruit exclusif des sols. La présidence de Bolsonaro marque l’arrêt total de ces démarcations qui sont désormais placées sous tutelle du ministère de l’agriculture, acquis aux industriels.

Le Statut de Rome confère à la CPI une compétence subsidiaire à celle des juridictions nationales lorsque celles-ci refusent de poursuivre ou de juger ou lorsqu’elles en sont incapables. En l’espèce, les autorités judiciaires brésiliennes refusent ou sont incapables de poursuivre et de juger Jair Bolsonaro et ses complices. En effet, le président brésilien exerce un contrôle accru sur les institutions et le système judiciaire, de sorte que toute action au Brésil pour faire respecter les droits des peuples indigènes est vouée à l’échec.
Cette action peut également faire progresser la reconnaissance de l’écocide parmi les crimes internationaux reconnus par la CPI. L’écocide se définit comme un dommage grave et durable commis contre l’environnement en ce qu’il cause des dégâts significatifs à la vie humaine et aux ressources naturelles. Les crimes reprochés au Président Jair Bolsonaro sont susceptibles d’être des crimes contre l’humanité mais perpétrés dans un contexte plus large de crime contre l’environnement. Dans le contexte de surexploitation des ressources de la forêt amazonienne, les exemples d’écocides sont nombreux.

À la fin du mois de janvier, juste après le dépôt de la plainte, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’une reconnaissance du crime d’écocide par la CPI. En droit interne, la Convention citoyenne avait proposé l’introduction du crime d’écocide, que le projet de loi climat a substitué par un délit d’écocide. Ce contexte illustre la volonté de dissuader et de punir plus sévèrement les atteintes graves à l’environnement.

La CPI a clairement revendiqué sa compétence en matière de crimes écologiques. Le 15 septembre 2016, le Bureau du Procureur a officiellement annoncé que l’une de ses priorités dans la sélection des affaires était la lutte contre les crimes environnementaux et a affirmé sa volonté de s’intéresser aux crimes impliquant ou entraînant des ravages écologiques, l’exploitation illicite de ressources naturelles ou l’exploitation illicite de terrains [1] .

Cette action est une responsabilité énorme et un très grand honneur. Les chefs indigènes Raoni et Almir Surui sont conscients qu’ils agissent non seulement pour leurs peuples, l’Amazonie mais aussi pour l’humanité afin de préserver ce bien commun.

Notes

[1Bureau du Procureur, Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires, Cour pénale internationale, 15 sept. 2016, p. 3.