Génocide et ethnocide à l’ordre du jour du gouvernement Bolsonaro dans le contexte de la pandémie de Covid19

, par Carlos Kleber Saraiva de Sousa

Après le retour du Brésil à la démocratie avec la promulgation de la Constitution de 1988 et la première élection directe du président en 1989, suite à 21 ans de dictature militaire (1964-85) et 5 ans de transition politique (1985-89), le pays a établi des avancées pour les populations indigènes, que ce soit la démarcation et la protection de leurs territoires traditionnels et de leurs organisations culturelles, la mise en place de soins de santé différenciés ou encore l’établissement d’un enseignement supérieur spécifique et interculturel, entre autres réalisations.
Avec l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil en octobre 2018 et le début de son mandat le 1er janvier 2019, les politiques publiques en faveur des populations originelles brésiliennes ont changé de cap, au détriment des peuples autochtones. Cette évolution n’a toutefois surpris que les électeurs peu méfiants ou naïfs étant donné que bien avant que Bolsonaro ne songe à être élu président du Brésil, il affichait déjà son mépris pour les peuples indigènes du pays, qu’il s’agisse de leur organisation socioculturelle, de leurs territoires traditionnels ou même de leur existence en tant qu’êtres humains.
Pour s’en faire une idée, le 12 avril 1998, il était allé jusqu’à déclarer qu’il était « dommage que la cavalerie brésilienne ne soit pas aussi efficace que l’américaine qui a exterminé les Indiens ». À une autre occasion, le 3 avril 2017, il déclarait : « Vous pouvez être sûr que si j’y arrive (à la présidence de la République), il n’y aura pas un centimètre délimité pour une réserve indigène ou pour une quilombola [1] ». Le 21 janvier 2016, il avait encore déclaré : « En 2019, nous allons radier [la réserve indigène] Raposa Serra do Sol [2] . Nous donnerons des fusils et des armes à tous les fazendeiros [3] ».
Dès son accession au poste le plus important du pouvoir exécutif brésilien, Bolsonaro a commencé à mettre en œuvre de nombreux projets et actions politiques visant à limiter les territoires et à détruire les cultures indigènes, que ce soit par des actes empêchant la délimitation des zones traditionnelles d’habitat de ces populations, par le démantèlement de la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) ou encore par des tentatives d’accords au sein du pouvoir législatif fédéral permettant l’exploitation minière sur les terres des peuples autochtones brésiliens.
À la lumière de ces éléments, et dans le sombre contexte de la pandémie de Covid19 qui atteint des millions d’êtres humains dans le monde et au Brésil (on estime que 501 918 personnes ont perdu la vie dans ce pays au 20 juillet 2021), le président de la République fédérative du Brésil, Jair Messias Bolsonaro, est poursuivi devant le Tribunal suprême fédéral (STF), par la plainte pénale numéro 9020, pour avoir commis le crime de génocide et d’ethnocide contre les peuples indigènes.
Cela a pu se produire car le Congrès national brésilien a approuvé la loi 14021/2020, garantissant aux peuples indigènes le droit à des conditions sanitaires, alimentaires, technologiques et hospitalières adéquates pour faire face à la pandémie de Covid19. Néanmoins, le crime conscient aurait été réalisé par Jair Bolsonaro le 7 juillet 2020 lorsqu’il a envoyé au Sénat fédéral le message 3784, interdisant aux indigènes l’accès à une série d’apports sanitaires, alimentaires, hospitaliers et technologiques comme mesures pour contrer le Covid19. Parmi ces apports, je retiens les suivants :

  • accès universel à l’eau potable,
  • distribution gratuite de matériel d’hygiène, de nettoyage et de désinfection des surfaces,
  • approvisionnement d’urgence en lits d’hôpitaux et en lits d’unités de soins intensifs,
  • acquisition ou disponibilité de ventilateurs et de machines à oxygéner le sang,
  • inclusion de la prise en charge des patients gravement malades dans les plans d’urgence des secrétariats municipaux et étatiques à la santé,
  • fourniture de points Internet pour éviter les déplacements vers les centres urbains,
  • distribution de paniers alimentaires de base, de semences et d’outils agricoles.

Il est important de noter que le 11 décembre 1948, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies avait reconnu le génocide comme crime contre le droit international et contre l’humanité tout entière. Pour sa part, le Brésil est devenu signataire de cette convention de l’ONU, proclamée par le décret n° 30822 du 6 mai 1952, et a qualifié le génocide de crime au Brésil par la loi 2889 du 1er octobre 1956. Comme indiqué dans cette norme juridique brésilienne, un génocide est identifié lorsque :
« Art. 1 - Quiconque, dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel :

  • tuer les membres du groupe,
  • porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe,
  • infliger intentionnellement au groupe des conditions d’existence calculées pour entraîner sa destruction physique totale ou partielle,
  • faire adopter des mesures destinées à empêcher les naissances au sein du groupe,
  • effectuer le transfert forcé d’enfants du groupe vers un autre groupe. »

En ces termes, Jair Bolsonaro est dénoncé devant la plus haute instance judiciaire brésilienne pour avoir encouragé l’extermination des populations indigènes et, de fait, de leurs cultures (ethnocide), pour avoir opposé son veto aux conditions minimales nécessaires pour que ces populations soient mieux protégées de la contamination, de la maladie et de la mort résultant de la pandémie du nouveau coronavirus et de ses souches. Cependant, cette plainte n’a pas encore été jugée par la Cour suprême et son président, le juge Luiz Fux, doit faire face à des accusations de la part d’organisations académiques, de secteurs sociaux, de fractions des pouvoirs législatif et judiciaire, afin de mettre d’urgence la question à l’ordre du jour et procéder au procès de la plainte 9020 sus-mentionnée dénonçant le président Jair Messias Bolsonaro, pour génocide.
Selon les données du Comité national de la vie et de la mémoire indigènes, créé par l’Articulation des peuples indigènes du Brésil (APIB), le pays compte actuellement 163 groupes ethniques touchés par le virus, par lequel plus de 50 468 indigènes ont été contaminés et plus de 1 000 représentants de ces peuples autochtones ont perdu la vie. Des cinq régions brésiliennes, l’Amazonie est la plus contaminée et les populations indigènes Xavante, Kokama et Terena sont les plus touchées par le Covid19. La mort de ces personnes provoque une grande douleur chez leurs proches, mais emporte aussi, à jamais, une partie accrue de la mémoire collective de la population, surtout lorsque l’indigène décédé est un ancien, un « vieux tronc », quelqu’un ayant gardé beaucoup de connaissances sur l’histoire de son peuple, sa langue, ses coutumes, sa spiritualité, ses pratiques médicinales, sa relation avec la forêt et sa culture au sens large du terme.
Un petit encouragement dans la relation entre les populations indigènes et la confrontation du Covid19 pourrait être ressenti avec la décision de la Cour Suprême du Brésil (Action directe d’inconstitutionnalité 6341 du 15 avril 2020), qui a reconnu à l’unanimité la compétence partagée entre la Fédération, les États, les Municipalités et le District fédéral, pour prendre des décisions normatives et administratives sur les mesures sanitaires et hospitalières importantes pour faire face à la pandémie. Toutefois, l’absence de coordination nationale, en particulier du ministère de la santé, a limité et entravé l’adoption de mesures importantes en ce domaine, étant donné que le pays compte, selon l’Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE), 26 États, 5 570 municipalités et un district fédéral. En fait les mesures peuvent être très différentes en fonction du modèle local de gouvernance.
Malheureusement, le Brésil a élu comme président un individu dépourvu d’esprit public, ignorant les notions élémentaires de gestion organisationnelle, les différentes questions et les problèmes nationaux et, surtout, manquant totalement d’empathie pour la vie humaine dans tous les sens du terme, en particulier en ce qui concerne les populations indigènes du Brésil. Jair Messias Bolsonaro s’est révélé être un négationniste, opposé à la science, défenseur et promoteur des attroupements, de la non-utilisation des masques, de la non-vaccination et, étonnamment, de la soi-disant « immunité de troupeau ».
J’espère que toutes les personnes aspirant à un monde socialement juste, avec un développement économique respectant l’environnement et la vie humaine, comprennent que Bolsonaro est un exemple à ne pas suivre, pour le bien du Brésil et de l’humanité.

Notes

[1Une quilombola ou un quilombo est, aujourd’hui, un territoire peuplé de descendants d’esclaves afro-brésiliens marrons (s’étant échappé des plantations).

[2Réserve indigène située dans le nord-est de l’État brésilien de Roraima à la frontière avec le Venezuela.

[3Veut dire « fermier » ou « agriculteur ». Il s’agit de grands propriétaires de domaines agricoles au Brésil.