« Nous tirons notre force de la passion et de...

, par Silvia Romano

« Nous tirons notre force de la passion et de la résilience que nous avons vues chez les militants de toute la région, en particulier chez les femmes, les jeunes et les militants antiracistes. Leur courage face à l’adversité nous dit que nous pouvons construire un monde plus juste pour tous »  [1] , a déclaré Erika Guevara Rosas, Directrice d’Amnesty International pour les Amériques.
En parcourant le dernier rapport d’Amnesty International [2] la situation du respect des droits humains en Amérique latine est alarmante. Selon l’étude, en début 2020, l’Amérique latine est la région la plus inégale du monde et la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’exacerber cette inégalité. Les réponses des gouvernements de ces pays à la crise ont eu des impacts considérables sur les droits de l’homme, avec des conséquences souvent dévastatrices pour un grand nombre de personnes.

Les restrictions liées au COVID-19 ont également affecté la liberté d’expression, qui continuait d’être menacée en Bolivie, au Brésil, à Cuba, en Uruguay, au Venezuela et au Mexique, au demeurant le pays le plus meurtrier au monde pour les journalistes en 2020. La police et les forces armées ont également nié ou indûment restreint le droit d’association et de réunion pacifique, et un usage illégal de la force a été enregistré dans plus de 12 pays [3] .

L’injustice raciale et la discrimination ont persisté. La violence policière au Brésil s’est même intensifiée pendant la pandémie : la police a tué au moins 3 181 personnes - dont 79% de noirs - entre janvier et juin [4] . L’impunité et le manque d’accès à la justice ont continué d’être une grave préoccupation dans une grande partie de la région [5] .
La pandémie a aussi intensifié la crise de la violence contre les femmes et les filles dans les Amériques, car les mesures de confinement ont entraîné une augmentation considérable de la violence sexiste dans la famille, des viols et des féminicides. Les personnes LGBTI+ ont été victimes de violences et d’homicides dans des pays comme le Brésil, la Colombie, le Honduras, le Paraguay et Porto Rico [6] .
Les droits des peuples autochtones ont aussi continué d’être menacés, car de nombreux gouvernements n’ont pas garanti leur consentement libre, préalable et éclairé avant de donner leur feu vert à de grands projets d’extraction, d’agriculture et d’infrastructure [7] . À côté de cela, ces peuples ont été gravement touchés par la pandémie en raison d’un accès insuffisant à l’eau potable, à l’assainissement, aux services de santé et aux prestations sociales.
Finalement, le rapport d’Amnesty montre que l’Amérique latine et les Caraïbes sont parmi les régions au monde les plus dangereuses pour les défenseurs des droits humains, en particulier pour celles et ceux qui travaillent pour défendre leurs terres, leur territoire et leur environnement. La Colombie est restée le pays le plus meurtrier au monde pour les défenseurs des droits humains.

« Combien de personnes devront encore mourir avant la fin de cette guerre… » [8]

Face à ce portrait terrifiant sur les droits humains dans les Amériques, il y une phrase qui résonne dans la tête : « combien de personnes devront encore mourir avant la fin de cette guerre… ». Ce sont les mots écrits par l’activiste brésilienne défenseuse des droits humains, Marielle Franco dans un tweet publié environ 24 heures avant être tuée dans celle qui sera définie par le journal Folha de S. Paulo comme « une exécution sans précédent dans l’histoire du pays » [9] .
Élue au conseil municipal de Rio de Janeiro en 2016 dans les rangs du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), cinquième en nombre de suffrages recueillis, Marielle Franco, trente-huit ans, était connue de tous pour son engagement en faveur des droits humains [10] . Présidente de la Commission pour la défense des femmes au Conseil municipal, elle porte avec conviction un discours d’égalité et de dénonciation de la violence faite aux femmes, et s’engage pour les droits de la communauté LGBT+. La dénonciation des violences policières dans les favelas, la défense des droits humains et des minorités constituent le cœur de l’action politique de Marielle et lui coûteront la vie.
L’assassinat de Marielle Franco le 14 mars 2018 a fortement ému non seulement le Brésil, mais la Région tout entière ainsi que le reste du monde.

Malgré le contexte politique difficile et dangereux, comme Marielle, depuis plusieurs années de nombreuses femmes se battent courageusement pour défendre les droits humains, les droits des femmes et dénoncer les violences faites aux femmes.

Depuis désormais des décennies, les militantes des droits des femmes mènent partout en Amérique latine un âpre combat pour les droits des femmes ainsi que pour les droits sexuels et reproductifs (notamment l’accès à un avortement sécurisé pour toutes les femmes).

Johana Cepeda, infirmière et militante des droits humains colombienne souligne que la pandémie a accru les nombreuses difficultés auxquelles de nombreuses femmes étaient déjà confrontées quand elles essayaient d’obtenir un avortement sécurisé : « pour les femmes qui sont isolées ou qui vivent avec un partenaire violent qui les maltraite ou qui contrôle leurs décisions, le simple fait de demander des informations devient très difficile. Les mesures de confinement strict rendent les déplacements très difficiles pour les femmes. Pour beaucoup d’entre elles, si un policier les interpelle et leur demande où elles vont, il n’est pas facile de dire qu’elles vont demander un avortement » [11] . La situation est identique dans d’autres pays de la région, témoigne Gloria Maira, militante des droits humains et coordinatrice de la Plateforme d’action pour l’avortement au Chili, un réseau d’organisations et de militantes œuvrant en faveur du droit des femmes à l’accès à un avortement sécurisé [12] .

À côté de cela, dès le début de l’année dernière, les chiffres, qui était déjà très élevés, de la violence contre les femmes ont augmenté de façon exponentielle [13] .
Les violences faites aux femmes sont un fléau national tristement connu au Mexique où, en moyenne, 10 femmes sont assassinées par jour [14] . Entre 2019 et 2020, leur nombre a été multiplié par 11. Une situation des plus dramatiques : la capitale, l’État de Mexico et l’État voisin de Puebla observent même une hausse de 300% de femmes et d’enfants secourus [15] .

Malgré le contexte politique difficile et dangereux, comme Marielle, depuis plusieurs années de nombreuses femmes se battent courageusement pour défendre les droits humains, les droits des femmes et dénoncer les violences faites aux femmes.
Ces mobilisations se sont multipliées ensuite à l’occasion de la Journée internationale des Nations unies (ONU) pour l’élimination de la violence contre les femmes, le 25 novembre dernier. Environ 228 féminicides sont survenus en 2020 au Venezuela, soit 36,52% de plus que l’année précédente, selon une association spécialisée [16] . Toujours, et seulement, au cours de l’année 2020, le Mexique a enregistré 3 758 homicides de femmes, dont 967 ont fait l’objet d’une enquête pour féminicide.

Un autre phénomène qui continue à grandir depuis les dernières décennies en Amérique Latine, est la mobilisation d’activistes, souvent femmes, qui se battent pour la protection de leur environnement dans des rapports de force de « David contre Goliath » face aux grandes multinationales et aux groupes armés avec la connivence de l’État.

C’est le cas de Jani Silva, une paysanne colombienne de 57 ans qui travaille dans la Zone de réserve paysanne Perla Amazónica (dans le département de Putumayo, dans le sud du pays). Elle fait l’objet de menaces de mort parce qu’elle défend son territoire : « le territoire, c’est notre unique possession et c’est tout ce que nous sommes, c’est là que nous menons notre projet de vie, que nous élevons nos enfants et que nous voyons grandir nos petits-enfants. Nous luttons pour rester là. Nous défendons la vie, nous défendons un écosystème, nous défendons toute l’histoire et toute la culture des petits paysans » [17] .

Les groupes armés présents dans la région veulent contrôler les cultures vivrières, les terres et la communauté, raconte Jani [18] . Elle et sa communauté ont dû faire face à l’exploitation du pétrole, qui détruit des couloirs biologiques nécessaires pour la protection des espèces amazoniennes, et qui a modifié drastiquement le mode de vie de ces communautés paysannes. Jani raconte vivre chaque jour « dans la peur et dans l’angoisse permanente », mais malgré cela elle continue en première ligne à mener ce combat. « Il ne doit pas y avoir un seul groupe de défenseurs, mais un monde entier de défenseurs, parce que nous devons ensemble défendre la vie de toutes les personnes » [19] affirme-t-elle.
Parmi les nombreuses activistes qui se sont battues pour leur territoire, Berta Cáceres mérite d’être mentionnée. Indigène de la population autochtone Lenca et féministe de renom, âgée de 20 ans à peine, Berta Cáceres avait cofondé le Conseil civique des organisations populaires autochtones du Honduras (COPINH), une organisation qui défend les droits territoriaux des peuples autochtones dans ce pays d’Amérique centrale. Son combat décisif visait le barrage hydroélectrique Agua Zarca, s’élevant à 50 millions de dollars, construit sans consultation appropriée avec sa communauté autochtone de Lenca. Les manifestations ont mené un blocus en 2013 qui a interrompu les travaux de construction. Les investisseurs internationaux se sont depuis retirés du projet [20] . Berta Cáceres, qui a remporté le Goldman Environmental Prize en 2015, avait fait état d’un nombre croissant de menaces de mort avant d’être tuée par balle à son domicile de la ville de La Esperanza (à environ 200 kilomètres à l’ouest de Tegucigalpa, Honduras) le 2 mars 2016 [21] .

Plus au Sud, le Pérou est aussi la cible de grands groupes d’intérêts privés qui, parfois avec l’aide des autorités, tentent de s’approprier les terres, notamment à la recherche de minerais précieux. Máxima Acuña, une paysanne péruvienne, propriétaire d’une parcelle de terre, contrecarre les projets d’une multinationale, devenant un véritable symbole de la résistance dans son pays et dans le monde. En 2011, une multinationale se présente à elle pour racheter ses terres et, malgré des offres généreuses, Máxima refuse de vendre sa propriété aux promoteurs du projet minier.
Depuis, la multinationale tente d’expulser Máxima et les siens en faisant usage des forces de police péruviennes [22] . Entre 2011 et 2014, Máxima Acuña a signalé plusieurs actes de harcèlement, attaques et tentatives d’expulsion imputables à la police nationale péruviennes [23] . Après cinq ans de procédures liées aux accusations pénales infondées d’occupation illégale de terre, la Cour suprême péruvienne a statué en mai 2017 qu’aucune raison ne justifiait de poursuivre le procès sans fondement de Máxima Acuña pour ce motif [24] . Máxima a également reçu le Goldman Environmental Prize en 2016.
La liste des courageuses militantes et défenseures des droits humains en Amérique latine, qui ont payé cher, jusqu’à parfois y perdre la vie, leur engagement, est encore longue et ne pourrait pas tenir en un seul article.

Finalement, pour que le courage et la force de ces femmes puissent nous inspirer toutes et tous à regarder devant avec l’optimisme nécessaire pour gagner les combats les plus difficiles, nous souhaitons conclure cet article avec des éléments positifs [25] .
Les manifestations féministes de 2020 ont permis à l’Argentine de rentrer dans l’histoire en décembre 2020 comme le plus grand pays d’Amérique latine à légaliser l’avortement. En novembre, le Mexique est devenu le 11ème pays d’Amérique latine et des Caraïbes à ratifier l’Accord d’Escazú, un traité régional sans précédent pour la protection de l’environnement. Les défenseurs des droits environnementaux se réjouissent qu’il soit entré en vigueur le 22 avril 2021. Et bien que les actions sur le changement climatique soient restées limitées sur le continent, le Chili a été le premier pays de la région, et l’un des premiers au monde, à présenter un objectif ambitieux de réduction des émissions en 2030.