Une initiative européenne pour la crise financière internationale

, par Alfonso Iozzo

La mondialisation a apporté un changement radical dans la
balance du pouvoir dans le monde et, en particulier, elle a brisé
la « loi d’airain » qui donnait à 20 % de la population mondiale
80 % des ressources du monde. De tels changements sont
comparables aux événements de la révolution industrielle qui,
après de nombreuses batailles et des phases de convulsions,
aboutirent à l’effondrement de la « loi d’airain » qui maintenait
les salaires au niveau minimum pour survivre.

De la même manière, la redistribution du pouvoir international
due à la globalisation déclenchera des phases de convulsions
et des confrontations qui, si des solutions transitionnelles ne
sont pas trouvées, conduiront aussi à des conflits et même à de
la violence, stoppant ainsi le processus et renvoyant le monde
aux heures sombres de l’autarcie et du nationalisme outrancier,
comme cela s’est produit dans les années suivant 1914.
L’Europe a la capacité mais aussi le devoir de lancer un
processus visant à maîtriser la mondialisation en créant des
institutions internationales fédérales susceptibles de négocier
et d’approuver les règles nécessaires pour assurer une
transition harmonieuse vers un nouvel ordre mondial et aussi
pour garantir que ces accords seront respectés. L’Union
européenne (UE) doit proposer un plan international pour
établir de telles règles et pratiques communes à travers des
institutions internationales s’occupant des domaines monétaire,
environnemental, de l’énergie et de l’agriculture ; mais aussi
pour fournir les outils nécessaires à une solidarité économique
et sociale qui accompagne la création d’un marché
international. Cela rapprochera davantage les politiques de
l’OMC de celles de la Communauté européenne qui -avec la
création du Marché commun- a créé des fonds régionaux et
sociaux ainsi qu’une politique de cohésion.

Dans deux des domaines mentionnés ci-dessus, l’Europe a
atteint les objectifs qu’elle s’était fixés : l’auto-suffisance
alimentaire avec la politique agricole commune et l’unification
monétaire avec la monnaie unique qui garantit un marché
unique. Cependant, dans les secteurs de l’énergie et de
l’environnement, l’UE n’a réalisé que des résultats partiels et
limités. C’est seulement maintenant qu’elle commence à
construire les institutions nécessaires pour les objectifs qu’elle
s’était fixés à plusieurs reprises. Si le Plan Delors avait été
activé comme cela avait été initialement prévu, avec en
particulier l’introduction d’une taxe sur le carbone -proposition
qui avait été approuvée par tous les Etats membres à
l’exception de la Grande-Bretagne qui la bloqua en utilisant son
droit de veto- l’UE serait aujourd’hui bien mieux préparée au
lancement d’une véritable politique internationale de
l’environnement.

L’UE devrait demander la fondation d’une « Communauté »
pour l’environnement et l’énergie capable de concentrer la
recherche pour de nouvelles sources d’énergie au niveau
international et dotée de certaines des compétences attribuées
à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA)
qui pourrait être considérée comme une agence supranationale
prototype dans les secteurs de l’environnement et de l’énergie.
Par exemple la CECA pouvait imposer des taxes sur l’utilisation
du charbon et lever des emprunts pour financer la reconversion
de l’industrie de l’acier, principale consommatrice de cette
source d’énergie.

La crise des produits alimentaires requiert l’établissement d’une
politique mondiale de l’agriculture capable de développer et de
stabiliser la production. Un renouvellement des initiatives
lancées par les premiers accords d’association avec les Etats
africains (en utilisant les fonds de stabilisation établis à
l’époque) constitue un exemple montrant comment créer un
véritable marché des produits agricoles en exploitant les
capacités productives des différents continents pour rendre les
mêmes produits accessibles à l’échelle mondiale en comblant
ainsi les lacunes de l’OMC et en donnant à la FAO un rôle
authentique.

C’est dans le secteur monétaire que la redistribution du pouvoir
international peut faire apparaître les crises les plus aiguës. Les
manipulations de la monnaie sont l’outil le plus facile pour le
gouvernement d’un Etat. Cela lui permet d’utiliser la
mondialisation à son propre avantage en lui évitant d’avoir à
payer le prix de la redistribution du pouvoir économique qui
progresse au plan international.

Premièrement, alors qu’il serait difficile de mettre en avant une
politique protectionniste explicite, des gouvernements peuvent
recourir à des dévaluations compétitives susceptibles de
déclencher une véritable « guerre monétaire ». Une telle
approche pourrait au bout du compte mener à un
démantèlement du marché et à un retour à des politiques
ouvertement autarciques.

Cependant, une telle stratégie n’est possible que pour des
économies de dimensions notables, comme celle des Etats-
Unis. Elle ne serait pas faisable dans l’UE dont la raison
d’existence est fondée sur l’ouverture internationale et sa
promotion au niveau mondial.

Deuxièmement, un pays dont la monnaie circule largement au
plan international et dont la dette nette est exprimée dans cette
monnaie, peut manoeuvrer pour exporter le coût de l’inflation
créée ; car dans la mesure où un Etat peut imposer une taxe
cachée aux propriétaires de sa dette publique, un tel pays dont
la monnaie est utilisée comme monnaie internationale peut
imposer une telle taxe à d’autres pays, tout en réduisant par là
même la valeur de leurs avoirs financiers.

Cette politique trouve sa limite avec le montant d’activité
financière à productivité négative « réelle » que le débiteur est
disposé à accepter. Les Etats européens ont dû arrêter
d’imposer une taxe d’ « inflation » quand l’ouverture des
marchés permit aux investisseurs d’investir dans les monnaies stables d’autres pays.

Avec la création et le succès de la politique monétaire
européenne, le monopole du dollar américain entra en crise
lorsqu’on ne put plus arrêter la tendance des Etats investissant
dans cette monnaie à se tourner vers une diversification en
direction de monnaies plus stables telles que l’euro.
Le commencement d’une guerre monétaire de la part de la
Réserve fédérale américaine est une voie à sens unique et
sans issue. Une guerre monétaire ne peut que temporairement
enrayer la crise et, ce faisant, on aggraverait seulement le
problème. Mais l’Europe ayant maintenant réalisé une pleine
unité « fédérale » sur une base monétaire, a la responsabilité et
le devoir -elle est en fait poussée par son propre intérêt- de
proposer aux Etats-Unis une solution qui rendrait possible la
gestion de la transition vers une nouvelle distribution du pouvoir
dans le monde.

Des secteurs importants de l’opinion publique, dont la voix
principale vient de France et de son Président, demandent
l’adoption d’une réduction analogue des taux d’intérêts en
réponse à la politique de la FED. Mais c’est une erreur. Cela ne
résoudrait pas le problème et ne ferait que causer l’importation
en Europe de l’inflation créée en Amérique.

Il suffit de considérer que, compte tenu que l’objectif de
l’exercice consiste à maintenir le coût du dollar à un bas niveau
pour exporter l’inflation, si la Banque centrale européenne
(BCE) suivait la FED en réduisant les taux d’intérêts, alors la
FED baisserait ses taux à nouveau. L’Amérique n’aurait ainsi
plus besoin de craindre que les investisseurs en dollars se
tournent vers l’euro, car en rétablissant la suprématie de leur
propre monnaie au plan international, les Etats-Unis pourraient
continuer de financer leur déficit « sans douleur ».

Par conséquent, si la BCE est correcte en ne participant pas à
cette guerre monétaire (dans laquelle elle serait inévitablement
perdante), alors l’Europe peut au moins aborder le problème
des taux de change. Il est dans l’intérêt général que l’Europe et
les pays d’Asie continuent à développer des échanges
commerciaux, mais ce « marché commun » ne peut pas être
sapé par des politiques monétaires. L’Europe peut accepter
des ouvertures de la part de l’Asie mais, en échange, les pays
asiatiques doivent stabiliser leurs propres monnaies en relation
avec l’euro.

Les pays qui sont détenteurs nets d’actifs financiers
internationaux (comme certains en Asie ou les pays arabes
producteurs de pétrole) auraient intérêt à disposer d’une
monnaie stable comme point de référence pour garantir la
valeur de leurs investissements.
Les conditions pour procéder à une réorganisation profonde du
système monétaire international, pour garantir un
développement équilibré de la mondialisation, existent déjà. La
liste des pays intéressés pour créer un nouveau système
international est longue mais seule l’Europe -avec l’euro- est en
situation de prendre l’initiative. Cependant, l’objectif de l’Europe
n’est pas de substituer l’euro au dollar mais de mettre la
stabilité de l’euro à la disposition de la communauté
internationale et de construire des institutions monétaires
démocratiques. Le moment est venu de revenir sur le choix fait
à Bretton Woods d’une monnaie hégémonique et de
redécouvrir le projet keynésien du « bancor ». C’est la voie qui
a été suivie en Europe durant le processus de l’unification
monétaire. Des leaders politiques allemands tels que Schmidt
et Kohl ne choisirent pas l’hégémonie du mark allemand mais
ils décidèrent de mettre plutôt la stabilité du mark allemand au
service de tous les Européens.

Pour ce qui concerne les taux de change, les traités européens
de Maastricht et de Lisbonne montrent que la position
européenne avancée dans les institutions compétentes et les
conférences internationales est décidée par le Conseil
européen, qu’elle est basée sur des propositions faites par la
Commission européenne en accord avec la BCE. A cet égard,
seuls les Etats qui ont adopté l’euro peuvent voter. Cependant
les membres du Conseil -c’est à dire les gouvernements des
Etats membres participant à l’UE- n’ont pas besoin de
demander à la BCE de renoncer à leur monnaie forte mais, au
contraire, de prendre l’initiative -en accord avec les dispositions
du Traité- de fournir une monnaie forte pour le monde.
Les citoyens européens doivent demander aux leaders
politiques de l’UE et en particulier au Président de la
Commission européenne de prendre une initiative politique.
L’Union devrait, dans ce but, promouvoir une conférence
monétaire visant à poser les bases d’un nouveau système
monétaire international, profondément rénové.
Cette fois, la conférence ne devrait pas se tenir à Bretton
Woods mais en Europe, en faisant ainsi un premier pas pour
mettre en oeuvre la disposition statutaire du Fonds monétaire
international qui établit que le lieu devrait être fixé là où le quota
de participation est le plus important.

Si l’UE était capable à la fois de promouvoir et de faire ellemême
les premiers pas sur la voie d’une monnaie
internationale forte, alors ce serait la démonstration la plus
claire que, si les Européens s’unissent, ils peuvent apporter
une énorme contribution à la création d’un monde plus
pacifique. Une fois cet objectif atteint, il ne serait alors pas
difficile de proposer d’unifier aussi les forces dans le domaine
de la politique extérieure et de sécurité.

Des propositions telles que la réforme du Conseil de sécurité et
l’attribution d’un siège à l’UE, la création d’une Assemblée
parlementaire pour démocratiser l’ONU ainsi que des projets
pour initier un désarmement nucléaire organisé et mené sous le
contrôle de l’ONU et la création de forces civiles et militaires
pour le « maintien de la paix » et la « construction d’Etats »
seraient alors bien plus crédibles.

Les Européens n’ont pas uni leurs forces pour créer une
nouvelle armée pour mener d’autres guerres sanglantes
épouvantables mais, comme dans le cas de la monnaie unique,
pour créer des institutions internationales communes capables
d’atteindre l’état de « paix perpétuelle » prédit dans le passé
par Kant.

P.-S.

Alfonso IOZZO
Membre du Bureau de l’UEF Europe – Président de la
Cassa Depositi e Prestiti italienne - Turin

Article publié comme éditorial du N° 2, juillet2008,
de The Federalist Debate, Turin

Traduit de l’anglais pas Jean-Luc PREVEL - Lyon