Alexandre Marc, Mai 68 et la révolution

, par David Soldini

En mai 68, Alexandre Marc saluait « l’explosion printanière ». C’est ainsi qu’il qualifiait ces moments intenses pour une partie de la jeunesse et du monde ouvrier. Mais, fidèle à lui-même, le penseur fédéraliste ajoutait : il n’y aura pas de « révolution étudiante, sinon mystificatrice, sans révolution de l’entreprise, de l’agriculture, des communes, des régions, des ethnies, sans une transformation libertaire ».

En effet, les évènements de mai devaient plaire à Marc : voir ensemble et spontanément se lever des jeunes de toute l’Europe, assister aux premières manifestations transnationales et européennes, voir se concrétiser l’idée d’une communauté de destin, d’avenir, entre la jeunesse, le monde ouvrier, les Français, les Italiens, les Allemands… Et puis, la composante libertaire, au cœur de l’évènement. Tout cela devait sans doute fasciner le militant fédéraliste.

Pour autant, si la spontanéité des évènements, « l’explosion », stimulait probablement Marc, sa conception de la révolution était assez éloignée de ce qui se passait en Europe, à ce moment là. Pas de révolution étudiante sans révolution intégrale. Pas de transformation de la société sans participation révolutionnaire et consciente de l’ensemble de ses composantes. Voila le credo de Marc. La révolution sera intégrale ou ne sera pas. Que signifie cette affirmation ?

Il y a deux façons de voir la révolution : celle autocratique et celle libertaire.

 La première, communiste, fasciste, ou nationaliste, consiste à croire qu’une transformation radicale de la société est possible en agissant de façon autoritaire, c’est-à-dire en permettant à certains éléments de la société (classe, ethnie, nationalité…) de mettre en œuvre, pour tous, la révolution. D’imposer donc un ordre nouveau à l’ensemble de la société, sans nécessairement que ses composantes acceptent et intègrent réellement les principes nouveaux issus de la révolution. Cette conception de la révolution a prévalu au XIXème et au début du XXème siècle et a été le prélude aux catastrophes du siècle dernier.
 La révolution libertaire au contraire est une révolution qui ne peut se faire qu’avec l’appui conscient de l’ensemble de la société. La révolution fédéraliste voulue par Marc est en ce sens une révolution de type libertaire. Si mai 68 tranche nettement avec les tentatives révolutionnaires qui se sont succédées au cours de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, replaçant la personne ou l’individu au cœur de la problématique révolutionnaire, l’esprit de mai n’a pas réussi à pénétrer l’ensemble de la société. Du moins pas sur l’instant.

Quarante ans après les événements pourtant, il serait stérile de refuser le fait que l’esprit de mai a effectivement imprégné l’ensemble de la société. Il a fallu des années, mais il est certain que du point de vue des mœurs, du respect de l’individu et de la liberté, mai 68 a marqué un tournant et ouvert une nouvelle phase d’évolution de notre société.

Il s’agit sans doute d’un élément fondamental qui oppose les révolutions autocratiques à celles libertaires. Les premières triomphent à un instant précis : les forces révolutionnaires s’emparent du pouvoir et imposent le nouvel ordre. Les secondes ne se concrétisent pas immédiatement, la prise de conscience générale nécessaire à l’établissement d’un nouvel ordre ne pouvant être immédiate et ne pouvant se faire dans la violence.

En ce sens, mai 68 apparait comme un événement dans l’histoire révolutionnaire libertaire. Un évènement qui a permis une évolution de la société vers plus de liberté et plus d’autonomie personnelle. Mai 68 fait en ce sens partie de l’héritage culturel des fédéralistes.