L’euro, une symphonie inachevée…

, par Alain Malegarie

Né en 1999 dans la joie et l’allégresse, l’euro vient de fêter
ses 8 ans. Déjà 8 ans ! Et déjà seconde monnaie mondiale.
Globalement, l’euro est une réussite exemplaire, mais assez
méconnue, faute de communication politique et médiatique
surprenante pour une des créations majeures de toute
l’histoire cinquantenaire de la construction européenne. Car
si toutes les étapes de cette construction ont été importantes,
et décisives pour la suite, l’avènement d’une monnaie
unique, et la gestion de la politique monétaire par une
institution souveraine et indépendante (la Banque centrale
européenne - BCE) est la seule d’inspiration clairement
fédérale et supranationale. La seule depuis la création de la
CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier)
en 1951 !

Alors, tout va bien, avec l’euro ? Eh bien, non ! C’est même
tout le contraire, sur le plan des opinions publiques
européennes, et surtout françaises. On pourrait même parler,
sans jeu de mots, de « Haro sur l’euro ». Les Français sont convaincus en majorité, sondage après sondage, que l’euro
serait responsable d’une hausse significative des prix. En
décembre 2006, 52 % d’entre eux jugent que l’euro est « une
mauvaise chose pour la France ». Le degré actuel
d’impopularité de l’euro, aussi important qu’injuste, est
ignoré, dédaigné par les politiques, les institutions
européennes, la BCE. Cela est une grave erreur. Car le bilan
de l’euro est bon, et il conviendrait que les responsables, et
les médias, le défendent un peu, tout de même.

Mais non, on laisse dire, on laisse faire, et désormais les
Français sont convaincus que l’euro est la cause de
(presque) tous les maux : l’inflation, les délocalisations, le
chômage, les taux d’intérêt… Et pourquoi pas du temps qu’il
fait, ou de la fonte du Groënland, aussi ?

Ce malentendu profond dans l’opinion est extrêmement
dangereux pour l’avenir même de l’euro (comment une
monnaie pourrait-elle perdurer sans l’assentiment de ses
utilisateurs ?), et partant, de tout l’édifice européen présent et
futur. D’ailleurs, l’euro a été, en mai et juin 2005, une des
causes du non aux référendums français et néerlandais sur le
Traité constitutionnel.

Au-delà de cette impopularité que l’on voudrait bien
passagère, l’euro souffre d’un autre mal encore plus profond,
car structurel et institutionnel : l’euro était un point de départ
de l’UEM (l’Union économique et monétaire). Or, on a bien
l’Union monétaire (13 pays sur 27 pour l’instant, avec
plusieurs autres pays qui calquent déjà leur politique
monétaire sur celle de la BCE, et qui acceptent l’euro dans le
commerce). Mais où est le « E » de l’UEM ? C’est à dire,
l’Union économique. Une fois l’euro né, la belle mécanique,
malheureusement, s’est enrayée. On a certes procédé aux
élargissements nécessaires de l’Europe, mais on n’a pas
voulu ou pu approfondir les institutions et les mécanismes.
Cela est tout à fait problématique, car la monnaie unique
exige, à plus ou moins brève échéance, une gouvernance
économique, concertée et harmonieuse. L’euro est bien,
hélas, une symphonie inachevée.

Et je crois qu’il appartient à tous les militants européens de
défendre cette fantastique avancée de l’Union en finissant de
réaliser une véritable Union économique et monétaire, seul
antidote du « chacun pour soi ».

Nous sommes bien peu à le dire mais franchement, cette
hostilité est bien injuste. Car sur le plan technique et
opérationnel (dès le 1er janvier 1999), la réussite de l’euro est
remarquable : onze Etats ont changé de monnaie (la Grèce ne
rejoindra l’euro qu’en 2001). 300 millions d’Européens ont
changé, en même temps, de monnaie. L’euro s’est imposé
très rapidement dans le concert mondial des monnaies,
comme la deuxième monnaie du monde, stable et crédible.
Rappelons simplement qu’en France, de 1949 à 1999, il y eut
dix-sept dévaluations du franc…

L’euro aujourd’hui représente 30 % des transactions de
change mondiales, et même 50 % des émissions
d’obligations internationales. 25 % des réserves de change
des Banques centrales sont en euro (contre 66 % pour le
dollar, la monnaie de réserve mondiale). Et chaque année
depuis 1999, l’euro progresse en parts de marché au
détriment du dollar et du yen.

Sur le plan économique, l’euro apporte une stabilité
monétaire et de bas taux d’intérêt (4 %). L’inflation est un
malentendu, dû à une différence d’appropriation de l’euro
selon les pays. En effet, plus on a gardé à l’esprit la monnaie
nationale dans une conversion mal assurée, plus certains en
ont profité pour pratiquer des arrondis un peu lourd,
trompant la vigilance des citoyens. Pour d’autres produits, il
y a eu également des hausses de prix (pain, café), mais ces
hausses ont d’autres causes : le problème des marges arrières
dans la grande distribution ; les envolées du foncier (que ce
soit pour les achats immobiliers ou pour les locations) ; ou
encore les hausses de matières premières (+ 35 % depuis
2000). De plus, la consommation mute. Par exemple, le
téléphone portable et internet pèsent davantage sur le budget
global de la consommation des ménages. Tout cela pour dire
qu’il y a plus un problème de niveau de vie / pouvoir d’achat
que de hausse de prix. Car si les salaires augmentaient
parallèlement, il n’y aurait pas de problème. En outre, on a
oublié qu’il y a vingt ans, l’inflation était à deux chiffres. Et
les taux d’intérêt du crédit également. Aujourd’hui, en
moyenne globale tous les pays de la zone euro ont une
inflation comprise entre 2 et 4 %, car la hausse de certains
secteurs est heureusement pondérée par la baisse des
produits manufacturés (électronique, automobile, etc).
Jusqu’au milieu des années 1980, l’inflation était pourtant à
deux chiffres ! Mais le décalage entre des indices réels,
s’appuyant sur un panier représentatif de produits et « la
perception » des prix par chaque citoyen, à l’aune de sa
propre consommation, n’est hélas pas nouveau. On ne retient
que les hausses de prix, jamais les baisses !

Sur le plan politique, le rééquilibrage euro-dollar donne un
poids diplomatique et géopolitique à l’Europe. C’est
vraiment malhonnête ou injuste de ne plus juger l’euro qu’à
travers les prix, alors que l’euro, outre ses avantages macro
et micro-économiques (stabilité, coût du crédit bas, etc…) a
des enjeux géopolitiques !

L’euro devait être un point de départ qui, bien au-delà des
aspects strictement économiques et monétaires s’est mué,
subrepticement et insidieusement, en point d’arrivée. Et c’est
bien là LE problème, et le risque majeur pour l’avenir.
L’UEM a été à la fois la cause et la conséquence d’un
tournant historique de la construction européenne, sur le plan
de son approfondissement.

La construction européenne depuis 50 ans, même à coup
d’intergouvernemental, c’est comme un mille-feuilles : on
ajoute des couches, les unes après les autres censées créer
deux phénomènes :

 tout d’abord, un meilleur fonctionnement ouvrant
des passerelles vers le communautaire, c’est-à-dire
qu’une action oblige tôt ou tard à aller plus loin.
Exemple évident : l’Acte unique européen de 1986,
puis le marché unique (marché intérieur) de 1993,
puis la monnaie unique. L’euro, c’est
l’aboutissement logique, inévitable des quatre
libertés fondamentales du marché unique : la libre
circulation des hommes, des marchandises, des
services et des capitaux. Dans l’esprit de tous,
Maastricht (qui avait déjà trois piliers, l’UEM, la
PESC -Politique étrangère et de sécurité communeet
le pilier Justice-Affaires intérieures) devait
évidemment déboucher sur une « Gouvernance
européenne » : harmonisations fiscales,
harmonisations sociales, vote à la majorité qualifiée
et non à l’unanimité. La Constitution européenne prévoyait d’ailleurs d’aller plus loin, quoique de
façon assez timide. Et pourtant, même cela a été
rejeté par deux pays fondateurs ! C’est dire la
régression ou le délitement face à la construction
européenne qui, avec l’euro, évoluait enfin vers
une plus grande supranationalité ;
 en second lieu, le processus communautaire crée,
dans sa genèse même, et dans son application
juridico-politique, un phénomène d’irréversibilité :
irréversibilité dans les textes adoptés, et dans
l’indépendance accordée aux institutions qui les
gèrent. Exemple type : l’euro justement. L’euro est
irréversible. Maastricht ne prévoit pas de sortie de
l’euro. La Constitution, elle, prévoyait d’ailleurs
une sortie possible de l’Union ! Et ses plus grands
détracteurs n’ont même pas vu cette
« opportunité » ! La BCE est totalement autonome :
sans cela l’euro ne serait pas, à l’évidence, aussi
crédible et fort sur la scène internationale, s’il était
soumis à des manipulations étatiques, ou même
inter-étatiques (dévaluations sauvages,
fonctionnement de la planche à billets), comme du
temps des monnaies nationales. C’est bien pour cela
que le Politique a créé une structure indépendante !

Alors, pourquoi feindre de s’en offusquer,
aujourd’hui ? La démagogie a des limites, non ?

En fait, la crise de l’Europe provient bien de cette remise en
cause, au moins partielle, de ce double moteur, ou catalyseur,
de la construction européenne : la volonté constante « d’aller
toujours plus loin » et de rendre les choses « irréversibles ».
Après l’échec de la Communauté européenne de défense
(CED) en 1954, on a mis 45 ans pour oser reparler d’une
défense commune (qui n’a d’ailleurs rien à voir avec une
défense unique, car la France et le Royaume uni ne
renoncent ni à leur code nucléaire ni à leur siège permanent
au Conseil de sécurité de l’ONU). C’est bien fâcheux, car ce
qui n’avance pas recule, voire… tombe, pour reprendre la
métaphore du vélo de Jacques Delors !

Aujourd’hui, on a l’opinion publique, et la démocratie
d’opinion. Encore faudrait-il bien expliquer l’Europe au
citoyen. Toute la question est là. Donc, un échec au
référendum, cela marque les esprits, et les politiques ont la
tentation d’aller dans le sens du poil… En 1954, il n’y avait
pas de télévision. En mai 2005, oui ! L’Europe serait allée
trop loin, trop vite. On n’aurait pas approfondi avant
d’élargir. Soit. On pourrait débattre sur ce point. Je suis
personnellement un peu sceptique, mais pourquoi pas ? Car,
pouvait-on faire attendre encore des pays européens, qui
avaient souffert si longtemps du nazisme, puis du
communisme ? Ne fallait-il pas, peut-être, approfondir ET
élargir, simultanément ? Donc être encore plus courageux,
ambitieux ? On souffre de « pas assez » d’Europe politique
(et non bureaucratique) et non de « trop » comme on
s’acharne de plus en plus à en convaincre le citoyen. On joue
avec le feu… C’est totalement irresponsable.

Car je crois, à tout le moins, qu’il y a au moins deux autres
facteurs majeurs qui jouent dans cette crise morale, mentale,
de repli identitaire, de tentation protectionniste, et de poussée
nationaliste ici et là. Facteurs qui auto-alimentent en
permanence ce sentiment catastrophique et dangereux :
n’est-on pas allé trop loin dans cette construction
européenne ?

 Le premier est que le monde évolue très vite : la
mondialisation s’accélère, et donc la compétition
entre Etats européens, et bien au-delà, s’intensifie.
Donc, on voit vite le paradoxe : on est de plus en
plus intégré, mais on reste concurrent ! Et cela met
en relief, au passage, des différences entre Etats, y
compris au sein de la zone euro en matière de
compétitivité, de productivité, etc. Avec le même
euro fort, certains battent tous les records
d’exportation (Allemagne, Irlande, Finlande et
même Espagne), tandis que d’autres aggravent leurs
déficits (balance commerciale, endettement public,
etc), comme la France ! Cherchez l’erreur !
D’autant qu’un pays comme la France exporte 70 %
de ses produits… dans la zone euro. Donc, dans ce
cas, la valeur de l’euro est neutre ! Il peut y avoir
des gagnants qui s’adaptent, et des perdants qui
pourraient avoir, alors, la tentation de l’incantatoire
et du bouc émissaire facile.
« C’est la faute à l’euro et à Trichet ! » « Fermons les
frontières ! » Déjà bien avant l’euro, le communiste français
Georges Marchais, prônait cette même politique régressive
avec son tristement célèbre « achetez français ». La tentation
récurrente en France de repli identitaire (fut-il
communautaire !) me paraît très dangereux au moment
même où l’Europe à tout à gagner (donc tout à vendre) avec
les pays émergents, Inde, Chine, Brésil, Indonésie, peut-être
Russie, etc. Si l’Europe s’enferme, elle ratera le banquet de
la mondialisation et de ses deux milliards de consommateurs
supplémentaires (et 4 à 5 milliards d’ici 50 ans !) avec toutes
les conséquences que l’on peut imaginer non seulement sur
le plan économique et social, mais aussi stratégique et
géopolitique…

Lorsque le Ministre de l’économie français, Thierry Breton,
est allé plaider au Conseil ECOFIN, fin 2006, auprès de ses
collègues le fait que l’euro était trop fort à 1,30 contre dollar,
ses autres collègues ne l’ont pas suivi. Car pour eux, ça va.
Merci ! Emploi, exportations, niveau de vie. La comparaison
du PIB par habitant et du taux de croissance dans tous les
pays de l’Union est d’ailleurs édifiante à cet égard (cf.
tableaux 2 & 4 : sources Fondation Robert Schuman). Gare
au nombrilisme. Le monde accélère, l’Europe grandit, et
jamais personne n’empêchera deux milliards d’individus (qui
ont entre 1 et 2 $ par jour pour vivre) de vouloir manger, de
vouloir travailler, et de vouloir migrer là où l’herbe est plus
verte. Il suffit d’examiner le tableau 3 (source Fondation
Robert Schuman) du taux de croissance annuel moyen entre
les pays du monde pour s’en convaincre. L’Europe doit
prendre le train de l’histoire, et pas dans le wagon de queue
si possible. L’Inde, la Chine, le Brésil, voire la Russie, ne lui
feront pas de cadeaux. L’Europe devra davantage travailler,
investir, innover pour s’adapter à cette fantastique croissance
mondiale. Sinon, elle régressera.

 Le second facteur majeur de cette crise morale et
identitaire de l’Europe est, justement, intraeuropéen.
On a la jambe monétaire, mais on refuse
toujours la jambe économique, qu’elle s’appelle
gouvernance économique ou autre. Encore une fois,
Maastricht n’avait pas prévu cela ! Mais comment
aller plus loin quand on revient au « chacun pour
soi ». Les exemples sont nombreux : l’Allemagne augmente sa TVA de 3 points, l’Estonie et la
Slovénie la baissent (pour un taux à 0 %). Le
fédéralisme monétaire se voit opposé au
nationalisme budgétaire et fiscal !

L’UEM impose des règles, et a pour cela édicté un
« règlement de copropriété » strict mais indispensable : les
critères de convergence, pour adhérer à l’UEM ; puis un
pacte de stabilité et de croissance pour les respecter, une fois
que l’on a adhéré.

Et là, certains gouvernements, pour des raisons bassement
électorales et de courte vue n’ont pas joué le jeu. Pas tous, en
tout cas pas les pays fondateurs ! C’est surréaliste d’entendre
certains critiquer l’euro, alors que l’euro leur a assuré
stabilité et survie politique. Certes, ils n’ont plus l’arme de la
dévaluation sauvage et de la planche à billets (ce qui revenait
à fabriquer de la fausse monnaie). Mais un euro stable et fort
leur garantit une signature internationale de référence et une
certaine autonome politique face aux événements
internationaux (comme ceux de l’Irak).

L’euro nous protège, que nous soyons bons ou mauvais
élèves de la zone euro ! C’est d’ailleurs assez extraordinaire,
même si on avait déjà observé le phénomène avec l’ECU
(Unité de compte européenne, ce panier de monnaies) de
1979 à 1999. Jean-François Copé a dit récemment en privé :
« si la France n’avait pas eu l’euro, on serait aujourd’hui en
dépôt de bilan ». L’euro fort (il s’est apprécié de 29 % par
rapport au dollar) allège le poids de la dette qu’en rembourse
en dollar. Il rend moins chères nos importations de matières
premières, qui ont pourtant augmenté de 35 % (en $) depuis
2000 ! Ceux qui voyagent savent bien combien il est
agréable de se rendre aux Etats-Unis ou ailleurs hors
d’Europe en ce moment. L’euro fort nous rend du pouvoir
d’achat. Qui le dit ? Qui explique qu’avec un euro à 1 pour 1
contre dollar, le prix du carburant SP 98 serait à 1,50 euros ?
Donc il faut faire attention à ne pas trop scier la branche sur
laquelle on est assis, en matière de respect des règles.

Une mise au point d’ailleurs s’impose. Au sujet de cet euro
qui serait trop fort par rapport au dollar (les mêmes
protestaient contre un euro trop faible en 2002 !...). Tous les
pays à monnaie à vocation mondiale ont la même politique
monétaire, quoiqu’en dise la France ! La FED (la Réserve
Fédérale Américaine, c’est-à-dire la Banque centrale des
Etats-Unis) pratique la même politique que la BCE ! C’est-àdire
qu’elle surveille avant tout, comme le lait sur le feu, le
dérapage des prix. Si les prix montent, elle resserre le
robinet. Et le robinet, c’est le crédit. Donc, elle resserre le
développement du crédit, en augmentant les taux directeurs.

Elle veille à tout emballement de la machine économique :
inflation, bulle immobilière, etc. Et la BCE, compte tenu
d’une croissance faible, est loin du compte : elle est à 3,50
%, alors que la FED est à 5,25 %, que la Banque
d’Angleterre est à 5,25 % (et elle vient d’augmenter son taux
d’intérêt de un quart de point car son inflation est à 2,7 %).
Seul le Japon pratique des taux historiquement bas (0,25 %),
car il sort d’une déflation depuis 11 ans. Toutes les banques
centrales ont le même objectif : rendre sa monnaie la plus
stable ou forte possible, en jouant sur les taux directeurs.

A ce sujet, une remarque de fond s’impose : ne pas
confondre croissance économique et politique monétaire.
Une bonne monnaie, et l’euro en est incontestablement une,
ne peut pas à elle seule favoriser la croissance. Elle ne peut
que l’accompagner, la conforter ! Mais la croissance a bien
d’autres causes : la productivité, la compétitivité, ce qui
implique un haut niveau de technicité, de formation,
d’innovation permanente, et en amont des efforts continus
dans la recherche et le développement. Une bonne monnaie
peut soutenir cette croissance, en donnant du crédit à la
politique entreprise. Et c’est là qu’on voit bien des
différences croissantes entre l’Europe et le reste du monde (2
% de croissance, 2 % à peine de la recherche en Europe,
contre 4,5 % au Japon ou aux Etats-Unis), mais aussi des
différences entre pays européens.

Malgré cela, l’euro est plus reconnu hors des frontières
européennes qu’à l’intérieur : la Chine, l’Inde, la Russie, le
Brésil, l’Iran ou les Emirats arabes unis convertissent leurs
avoirs en euros ou en achètent pour leurs réserves vitales.
Mais l’avenir de l’Europe, et même de la pérennité de l’euro,
du moins de son prestige international et de sa force, passe
par une meilleure gouvernance européenne, à l’évidence.
Quelques pistes peuvent être exprimées :

 la piste institutionnelle est une condition nécessaire,
mais pas suffisante. Il faut à l’évidence relancer le
Traité constitutionnel ; élire un président de l’Union
pour 2,5 ans ; désigner un Ministre des affaires
étrangères. renforcer le rôle d’un eurogroupe (qui
existe déjà) ; progresser sur la défense européenne
et la Charte des droits fondamentaux, si importante
pour la prise de conscience d’une citoyenneté
européenne ; adopter le principe d’un droit de
pétition démocratique (un million de signatures
suffisent), du vote à la majorité qualifiée, du vote du
parlement étendu à tous les sujets ;
 une autre piste est la piste économique, sociale et
fiscale. Il faudra progressivement faire tomber les
derniers bastions de souveraineté (défense,
diplomatie). Or, pour se donner les moyens de sa
politique, un Etat s’appuie sur une monnaie, mais
aussi sur un budget, nourri par des impôts : c’est
l’essence même de l’existence des parlements
nationaux.

Il n’y a plus de barrières douanières. Il n’y a plus de barrières
monétaires. Il ne doit plus y avoir de barrières fiscales, de
risque de dumping fiscal et social. L’Europe sait s’adapter :
voir les assouplissements de la Directive services, voir aussi
les clauses de sauvegarde (par exemple : limitation de l’accès
à l’emploi pour les Polonais en Allemagne ; et restriction de
l’achat de foncier des Allemands en Pologne). Mais à terme,
il faudra parachever le marché intérieur, et convaincre les
citoyens et le politique (mythe du fameux plombier polonais)
que l’Europe a tout à gagner dans un marché intérieur
totalement intégré et solidaire. Avec une telle monnaie, les
Européens doivent travailler plus unis. Malgré Airbus,
Ariane…, l’Europe ne peut concurrencer Microsoft, Apple.
On a du mal à collaborer sur le projet Quaero censé
concurrencer Google. L’Europe a un déficit abyssal en
nombre de brevets par rapport aux Etats-Unis ou au Japon.
Même quand ce sont des Européens qui inventent (le MP3
par exemple), ce sont les Américains et les Japonais qui le
commercialisent. Une monnaie réussie ne peut pas tout : son
« environnement » humain, technologique, scientifique,
politique et médiatique doit suivre. L’euro, cela doit se
mériter, aussi.

Pas de progrès non plus sans un redéploiement du budget
européen, aussi indigent qu’injuste. Indigent, car il ne représente que 130 milliards d’euros, soit le tiers du budget
de la France et 1,17 % du PIB de l’Union européenne. On
perd du temps pour relever le niveau économique et le
niveau de vie des PECOS (Pays d’Europe centrale et
orientale). Injuste, car 45 % du budget part pour la PAC, 37
% pour les fonds structurels, le reste pour le fonctionnement
de l’Union européenne, l’aide internationale (extraeuropéenne).
Que reste-t-il pour la recherche et
l’innovation ?

Or, il n’y a pas de progrès sans investissement pour l’avenir :
sur la recherche et le développement. L’Amérique et le
Japon dépensent deux fois plus que nous pour la recherche,
soit 4 % de leur PIB contre 2 % en Europe.

Les pays « émergents » auront bientôt fini d’émerger,
tellement ils explosent : le monde a connu une croissance de
5 % en moyenne (contre 2,5 % pour la France) : l’Inde, la
Chine sont entre 8 et 10 %. L’Europe ne se prépare pas à
cela. Un chiffre : il y aura en 2015 autant d’ingénieurs
indiens de haut niveau que dans toute l’Europe ! Qui iront,
bien sûr, en Amérique et en Grande-Bretagne.

Même la piste financière n’est pas allée au bout de la
logique. On n’a pas réussi à réaliser une bourse
paneuropéenne. Alors qu’on a réussi l’euro. Un comble !
Euronext s’est allié avec la FED américaine. Même si elle
devient de loin la première place financière au monde, y
compris en terme de capitalisation boursière. La Grande-
Bretagne, qui refuse toujours l’euro (pour l’instant !... j’ai la
prétention de penser qu’elle devra, par raison plus que par
passion, adopter l’euro tôt ou tard) dispose d’une place
financière internationale de premier plan.

Le problème actuel de frilosité de l’Europe, du moins de
certains pays, dépasse largement celui de l’euro. Mais l’euro
est et reste un symbole : celui d’un abandon majeur de
souveraineté. Et c’est bien là où le bât blesse, pour certains.
L’Europe s’est auto-stoppée en 1954 avec l’échec de la
CED. Elle a néanmoins continué la politique des petits pas
(Jean Monnet) pour revenir sur des enjeux supranationaux et
fédéraux : une monnaie unique. Pour certains, c’est trop.
Comme l’élargissement à 27, alors que celui à 35 est déjà
programmé.

Force est de constater qu’à partir de l‘euro, la machine s’est
grippée. Les politiques ont commencé à freiner, là où il
fallait pousser, encore et plus. Les opinions publiques (cause
ou effet ?) ont commencé à se « retourner » et à douter. Le
« boa » euro/élargissement ne passerait plus. Le bouc
émissaire était alors tout trouvé… Je me répète, mais toute la
difficulté est de convaincre que nous ne souffrons pas de trop
d’Europe, mais de pas assez d’Europe, à condition qu’elle
fonctionne mieux et plus démocratiquement, c’est-à-dire en
informant et associant les peuples. Cela éviterait bien des
malentendus.

Qu’elle fonctionne mieux : la monnaie et l’économie devront
tôt ou tard converger, sinon il y a risque d’explosion en vol,
au pire, de retrait des récalcitrants (France, Pologne, Pays-
Bas), au mieux...

Qu’elle fonctionne plus démocratiquement aussi : et là,
l’information, la pédagogie sont la clé de tout. On y revient
toujours. Nous, militants de base, nous le faisons. Mais le
rendement ne peut être que faible, quelque soit nos talents,
nos convictions, notre foi. Le contexte surmédiatisé nous est
défavorable. Pas facile d’être toujours « vent debout » ! Pour
autant, il faudra bien continuer. Après le non français au
référendum, un rapport excellent est sorti : celui d’un député
du Val de Marne, Michel Herbillon, sur la nécessité
d’informer et de former les élus, les journalistes, les
fonctionnaires, les citoyens. Toutes les solutions y sont.
Toutes ! En 400 pages. Quelques exemples : faire de la
journée du 9 mai un jour férié ; rendre obligatoire le drapeau
européen sur tous les édifices publics (aux Etats-Unis, la
bannière étoilée flotte même au fronton des églises !). En
France, un tiers seulement de mairies l’ont mis !) ; faire des
émissions thématiques sur l’Europe à la télévision, etc.
Peu de choses ont été faites. Un rapport de plus enterré :
c’est vraiment du gâchis. Seul, Jean-Louis Debré, président
de l’Assemblée nationale, envoie depuis un an, par groupe de
10, tous les députés faire un stage de 15 jours auprès des
institutions européennes (imité en cela par le Sénat).
Pour cette grande aventure européenne qu’est l’euro comme
pour tant d’autres actions de l’Union, l’incompréhension, le
malentendu, la non-information, voire la désinformation,
attisent le scepticisme, le rejet, parfois la raillerie ou la haine.
L’euro mérite un peu plus de considération, il reste l’action
la plus importante et fédérale de toute la construction
européenne. Les pays aussi doivent mériter l’euro.

Finalement, huit ans après sa naissance, l’euro révèle les
pays performants sur le plan économique et ceux qui ont plus
de mal, ou qui commencent même à être « largués ». L’euro,
parce qu’il est une monnaie bonne, stable, crédible, est
exigeant : il exige rigueur, innovation, performance,
compétitivité. L’euro est donc à la fois un « anesthésiant »
(sa force masque les faiblesses et les déficits budgétaires de
certains pays) qui protège, et un « révélateur » de ces mêmes
insuffisances : c’est très net sur les différences de
performance -du simple au triple !- en terme d’exportation,
d’emploi au sein même de la zone euro. Finalement l’euro et
la BCE établissent, en toute rigueur, le vrai « bilan » de
chaque Etat membre, sa vraie évaluation. Et cela ne nous
plaît pas. Ils révèlent les « bons et les mauvais », les forts et
les faibles, ceux qui méritent l’euro et ceux qui ne le méritent
pas. Toute la question est alors de savoir jusqu’à quand les
pays vertueux accepteront-ils de payer pour les laxistes ?...
Ne nous décourageons pas. Il faut sauver « le soldat euro »,
et vite, et continuer les harmonisations économiques,
sociales, environnementales, nécessaires à notre survie.
La partition de la monnaie unique est bonne. Il faut continuer
à la jouer (sans fausse note), et à étoffer l’orchestre.
Je citerai Sénèque : ce n’est pas parce que c’est difficile que
nous n’osons pas. C’est parce que nous n’osons pas que c’est
difficile.

Alors bravons les tabous, et osons relancer l’Europe !
Vive l’euro, et vive l’Europe, dans un espace économique
unifié !