Discours sur l’état de l’Union : on ne saurait reprocher le dissensus des États à Ursula von der Leyen
En fonctions depuis 2019 à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen est loin d’être irréprochable. Son style de gouvernance, opaque et centré sur le contrôle, a été largement commenté dans la presse européenne. L’année dernière, sa conception bien à elle de la transparence l’avait amenée à taire les nominations de son collège de commissaires aux parlementaires européens, avant de l’annoncer en grande pompe quelques minutes plus tard en conférence de presse. Son échange de sms avec le PDG de Pfizer sur l’approvisionnement de vaccins COVID en 2021, supprimé depuis, lui a valu une condamnation du Tribunal de l’Union européenne en mai. Ses initiatives solos entreprises auprès d’autocrates de l’autre côté de la Méditerranée pour conclure des deals migratoires ont montré une considération limitée pour le respect des droits humains à nos frontières. Sa gestion des politiques liées à la protection du loup en Europe, sujet pris à bras le corps après un drame personnel, n’a suscité aucune récrimination envers ce conflit d’intérêt flagrant.
Et pourtant, nous ne pouvons pas reprocher à la présidente de la Commission européenne l’absence de consensus ou d’accord au sein des États membres, même en matière commerciale où l’Union dispose d’une compétence exclusive liée à l’union douanière. Dans l’Union européenne de 2025, malgré les avancées institutionnelles arrachées de haute lutte – parfois au prix de divisions mortifères – jusqu’au traité de Lisbonne, nos gouvernements nationaux restent largement maîtres du jeu.
Le constat est le même que depuis trente ans : sur l’ensemble des domaines régaliens – diplomatie, sécurité, défense, justice –, l’écrasante majorité des leviers d’action de la Commission et de l’Union reste soumise à l’approbation unanime des 27, au mieux à leur silence. Le Conseil européen, qui les représente, vote à l’unanimité sur les sujets les plus essentiels, et préfère souvent le consensus au vote à la majorité qualifiée dans les autres cas. Nos gouvernements le savent, et refusent sciemment d’endosser la responsabilité de leurs propres décisions. L’Union n’a ni forces armées, ni siège unique au Conseil de Sécurité de l’ONU, ni dissuasion nucléaire, ni ministères de plein exercice : comment exiger de ses dirigeants qu’ils traitent d’égal à égal avec le leader imprévisible de ce qui reste la première puissance mondiale ?
Lorsqu’en 2021 à Moscou, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov assénait à son homologue européen Josep Borell, en pleine conférence de presse, que l’Union était un « partenaire peu fiable », le silence embarrassé de ce dernier était autant le sien que celui des États qu’il représentait. L’aveu de faiblesse est le même pour sa successeure Kaja Kallas, condamnée à suivre sans pouvoir les synthétiser les tergiversations des 27 sur la guerre à Gaza et des autres crises de la planète.
Si l’Union regarde, impuissante, Trump et Poutine pactiser en Alaska sur le destin de l’Ukraine, c’est que ses dirigeants nationaux ne lui donnent pas les moyens d’une action vigoureuse lui permettant de tenir sa place sur la scène internationale. Quelle meilleure preuve de désunion que ce cliché dans le Bureau ovale, où une poignée de dirigeants nationaux européens – une délégation à la composition discutable – entoure Volodymyr Zelensky, Donald Trump et Ursula von der Leyen, comme pour s’assurer que l’Union ne prendra aucune décision entravant leurs intérêts nationaux ?
Le discours sur l’état de l’Union, prononcé le 10 septembre dernier à Strasbourg, révèle certes un manque flagrant de radicalité, mais également une absence de majorité au Parlement européen et les divisions entre les 27. Giuliano da Empoli présente Ursula von der Leyen comme « symbole de la soumission européenne ». Si tel est le cas, alors nos gouvernements nationaux en sont les responsables, et nous, citoyens, les comptables.
Si l’Union manque d’ambition, de célérité et de puissance face aux crises l’affectant au quotidien, les réformes qui lui permettraient de se faire entendre sont connues. Abolir le droit de veto des États membres sur nos politiques communes ; permettre à l’Union européenne de lever ses propres ressources, notamment fiscales et établir un Trésor européen ; donner au Parlement européen le droit d’initiative législative, et non la seule possibilité d’amender les législations qui lui sont soumises ; l’établissement d’une armée européenne en complément des 27 armées nationales.
Cette perspective fédérale, en vigueur dans la plupart des grands espaces politiques du monde – Inde, Brésil, Etats-Unis, Canada –, est probablement la seule à même de vaincre la faiblesse de l’Union. Une faiblesse qui n’est pas le fait d’Ursula von der Leyen seule, mais bien de l’impotence des États membres face à des enjeux et questions planétaires auxquelles nous ne pouvons pas répondre seuls.
