La pensée fédéraliste de Mario Albertini (1919 – 1997)

, par Lucio Levi

Publié initialement dans le Dizionario storico dell’integrazione europea, 1950-2017, Editore Rubbino, Soveria Mannella (CZ) – Presse fédéraliste remercie la direction du Dictionnaire de son aimable autorisation.
Texte français de Jean-Francis Billion et Pierre Jouvenat, validé par l’auteur.

Mario Albertini (Pavie, 1919-1997) a été professeur à l’université de Pavie, où il a enseigné l’histoire. Histoire, sciences politiques, doctrine de l’État et philosophie politique – et dirigeant du Movimento federalista europeo (MFE) italien, dont il a été le secrétaire de 1966 à 1970 et le président de 1970 à 1995 – et de l’Union des fédéralistes européens (UEF), dont il a été le président de 1975 à 1984. Fondateur du magazine Il Federalista en 1959, également publié en anglais depuis 1984 sous le titre The Federalist, il en est resté le directeur jusqu’à sa mort.

Les fondements méthodologiques de la théorie politique

Pour cerner la personnalité intellectuelle d’Albertini., il faut la comparer à celle d’Altiero Spinelli, le fondateur du MFE, dont le plus grand mérite est d’avoir amené le fédéralisme sur le terrain de l’action. Ayant décidé de concentrer toute son énergie sur l’action pour la Fédération européenne, Spinelli a agi comme si l’on pouvait trouver la théorie fédéraliste déjà élaborée dans les classiques de la pensée fédéraliste.
Albertini est un continuateur de Spinelli, qui a écrit à son sujet : « Il est bon qu’il y ait un type Saint-Just dans le MFE ».
Albertini a développé l’autonomie du fédéralisme avant tout sur le plan théorique. Sur ce point, il a surpassé son maître.
L’élaboration théorique d’Albertini s’est développée en étroite relation avec les sciences historico-sociales. Celles-ci permettent, à travers l’analyse des structures de production et de pouvoir, de connaître les conditions objectives dans lesquelles nos comportements sont immergés et qui ne dépendent pas de nos désirs, aussi nobles soient-ils. Sur la base de cette connaissance, il est possible de distinguer, bien qu’avec une grande marge d’approximation, ce qui dans l’histoire doit être attribué au cours objectif des événements et ce qui, au contraire, peut être déterminé par le libre arbitre, c’est-à-dire par un dessein politique. Les sciences historico-sociales contribuent donc à définir l’espace qui, dans l’histoire, appartiennent respectivement à la nécessité et à la liberté.
Elles remplissent une fonction indispensable à l’action politique. Par conséquent, ce n’est que si l’on connaît la place occupée par la nécessité dans l’histoire et les lois qui régissent le fonctionnement de la société, qu’il est possible d’identifier les ouvertures permettant l’intervention transformatrice de l’action humaine. L’attitude d’Albertini envers la science était la même que celle du jeune Marx, selon qui la preuve de la justesse de la pensée réside dans sa capacité à transformer la réalité. L’approfondissement théorique est donc pour Albertini l’expression d’une exigence pratique.
Le modèle élaboré par Albertini pour l’analyse politique est le résultat de la synthèse de différentes théories : le matérialisme historique, la théorie de la Raison d’État et celle de l’idéologie.

Le matérialisme historique

Le matérialisme historique est la théorie qui considère le mode de production comme le déterminant en ultime instance du cours de l’histoire et du changement social. Le présupposé de toute l’histoire humaine est que ce sont les individus réels qui produisent leurs moyens de subsistance. Le mode de production est la catégorie qui représente la pierre angulaire et le principe d’ordonnancement de toute la réalité sociale. Albertini a soumis le matérialisme historique à une révision critique et l’a considéré comme le type idéal le plus général sur lequel il est possible de fonder l’architecture des sciences sociales. « Si l’on ne confond pas », a-t-il écrit, « le concept de production sociale avec ceux, moins généraux, de classe ou d’économie au sens spécifique, et si l’on ne conçoit pas l’évolution de la production comme la cause nécessaire et suffisante, mais seulement en tant que cause nécessaire, du devenir historique, [...] on ne peut pas ne pas admettre : a) que le mode de production est bien le phénomène historique le plus général ; b) que doivent effectivement lui correspondre la dimension et la nature des autres phénomènes sociaux (sociaux au sens large : économiques, juridiques, politiques, culturels, etc.) » .
L’État et le système mondial des États constituent le cadre juridique et politique dans lequel se déroule le processus de production. Marx et Engels leur attribuent un rôle super-structurel. Cela ne signifie pas que ce rôle soit non pertinent dans la détermination du cours de l’histoire. Sans l’État, c’est-à-dire sans l’ordre public et la défense vis-à-vis des autres États, et sans le système mondial des États, c’est-à-dire sans un minimum d’ordre international, le fonctionnement du processus de production ne serait pas possible. Le rapport qui existe entre les processus historico-sociaux et les structures politiques est, pour reprendre une image célèbre de Trotski, la même que celui qui existe entre la vapeur et un cylindre à piston. Le mouvement dépend de la vapeur, mais sans le cylindre à piston, la vapeur s’évaporerait.
Les structures de pouvoir possèdent une « autonomie relative », c’est-à-dire qu’elles obéissent aux lois spécifiques de la vie politique, qui ne sont qu’« en ultime instance » contraintes à se plier aux exigences de la production. L’adoption de cette théorie permet à Albertini de formuler un jugement global sur la société contemporaine et d’identifier la tendance fondamentale de l’histoire de notre temps, « la tendance à l’unité du genre humain ». Il s’agit d’une tendance irréversible : « Dans les premières étapes de la révolution industrielle la croissance de l’interdépendance de l’action humaine s’est développée surtout en profondeur, au sein des États. Avec la lutte libérale et démocratique de la bourgeoisie contre l’aristocratie et celle socialiste du prolétariat contre la bourgeoisie elle-même, cette phase a d’abord intensifié, puis dépassé, la division en classes antagonistes dans les sociétés évoluées. Cependant, en raison de cette intégration, elle a simultanément renforcé la division de l’humanité en groupes séparés, constitués des États bureaucratiques et idéalisés, dans la représentation idéologique, comme la parenté de sang ou d’on ne sait quoi, les ‘nations’. Le développement croissant de l’interdépendance de l’action humaine fera éclater la division de l’humanité en ‘nations’ ». Et Albertini conclut : « Nous sommes déjà entrés dans le cours historique qui désarmera les nations, en les unissant dans la Fédération mondiale » .

La théorie de la raison d’État

Le matérialisme historique ne suffit pas à fournir les coordonnées entre lesquelles placer l’analyse fédéraliste. L’action révolutionnaire est une action politique qui tend avant tout à transformer les structures de pouvoir. De là, découle la pertinence de l’analyse politique. Albertini emprunte à la théorie de la raison d’État l’hypothèse selon laquelle dans la vie politique prévalent les comportements qui renforcent la sécurité et le pouvoir de l’État. La composante interne de la raison d’État c’est l’expression du besoin de l’État d’affirmer sa souveraineté sur les autres centres de pouvoir existant sur son territoire, c’est-à-dire d’attribuer au gouvernement le monopole de la force et à l’État le contrôle sur la société civile. La composante externe de la raison d’État est la conséquence de la dispersion de la souveraineté entre de nombreux États. Avec la consolidation de la souveraineté de l’État moderne, la composante externe est devenue la manifestation la plus pertinente de la raison d’État. En raison de la division du monde en États souverains, qui ne reconnaissent aucun pouvoir qui leur soit supérieur, la force domine dans les relations internationales et la sécurité occupe la première place dans les préoccupations des gouvernements. « Le résultat », écrit Albertini, « c’est l’insécurité universelle et un état constant de tension et de préparation militaire – la situation qualifiée à juste titre par les fédéralistes d’‘anarchie internationale’ – ainsi que la dégénérescence autoritaire des États. Il en résulte également le désordre économique » .
Pour garantir la sécurité, les gouvernements sont prêts à sacrifier toute autre valeur de la coexistence politique et à utiliser tous les moyens, en violant, si nécessaire, les normes de droit et de morale. La raison d’État est une force motrice aveugle et irrésistible, qui ne connaît pas de limites et s’impose à tout homme d’État, indépendamment des principes qui inspirent son action. Elle n’est pas le libre choix d’une valeur (la guerre plutôt que la paix, l’autoritarisme plutôt que la liberté), mais la reconnaissance de la nécessité d’adapter la structure et la politique de l’État aux conditions nationales et internationales de sa survie.
C’est seulement dans le cadre de la cadre de la pensée fédéraliste que la théorie de la raison d’État peut être pensée de manière rigoureuse. Albertini note que « seule la finalité de la paix, qui inclue le but de contrôler dans l’intérêt général la politique de tous les États, et non seulement celle de son propre État, qui fait de la politique internationale un objet autonome de la volonté humaine. Dans tous les autres cas, chacun se limitant à contrôler directement exclusivement la politique de son propre État, la politique internationale dépend surtout du processus d’affrontement entre les États, c’est-à-dire d’un facteur transcendant la volonté de tous. […] Seule la théorie du gouvernement supranational, ou la connaissance du fait que l’on peut contrôler les rapports entre les États et de la manière par laquelle il est possible de faire cesser leur affrontement, configure les relations internationales comme un processus créé par les hommes et soumis à leurs choix, et donc comme une activité dont la cause est bien connue et parfaitement explicable » .
La théorie de la raison d’État n’est pas une loi éternelle de la politique, mais la théorie de la politique d’une phase de l’histoire : celle de l’anarchie internationale. Le fédéralisme permet d’établir « le cadre à l’intérieur de laquelle le concept [de raison d’État] peut et doit être appliqué ». C’est-à-dire qu’elle (la raison d’État) « doit être considérée comme quelque chose qui correspond à un certain type d’organisation politique de l’humanité (système d’États souverains et exclusifs, défense par les armes de l’indépendance nationale, nécessité pour chaque nation de maximiser ses ressources de puissance, subordination de toutes les nations à la hiérarchie des rapports de force et de toutes les valeurs à celle de la défense de la nation), et tombe avec un autre type d’organisation (fédération mondiale, indépendance des nations garantie par le droit, égalité des nations comme conséquence de l’élimination de la défense armée et donc aussi de la hiérarchie découlant des rapports de force » .
La conception matérialiste de l’histoire et la théorie de la raison d’État sont généralement considérées comme incompatibles, comme les courants de pensée qui les ont produits. Cependant, lorsqu’elles sont considérées comme complémentaires, elles permettent de clarifier des corrélations autrement inexplicables. Par exemple, le matérialisme historique explique la relation entre l’industrialisation et la naissance des États bureaucratiques modernes de dimensions nationales. Ce qui explique la différence entre la structure rigide et centralisée des États du continent européen et celle élastique et décentralisée de la Grande-Bretagne est un facteur politique : la pression militaire subie par les États était plus forte sur le continent que sur les îles. C’est un facteur qui n’a pas de relation directe avec la structure du système de production.
L’hypothèse d’Albertini est que le matérialisme historique et la théorie de la raison d’État sont des modèles complémentaires. Le matérialisme historique permet d’expliquer la relation entre une phase donnée de l’évolution du mode de production et la taille et la forme des États, alors que le champ d’adaptation non défini par le matérialisme historique serait couvert par la théorie de la raison d’État, entendue comme une théorie fondée sur le principe de l’autonomie relative du pouvoir politique par rapport à l’évolution du mode de production. L’hypothèse de leur complémentarité, semble permettre de s’approcher de la connaissance et de la prédiction du cours de l’histoire, plus que l’une ou l’autre des deux approches séparément.

La théorie de l’idéologie

Troisièmement, Albertini développe la théorie de l’idéologie, entendue comme forme que prend la pensée dans la sphère de la politique. Les idéologies, sur la base de leur projection dans l’avenir et de la tentative, jamais pleinement réalisée, d’atteindre une connaissance globale de la situation historique dont elles sont issues (les idéologies ont toujours réuni des connaissances théoriques et des mystifications), indiquent à la volonté humaine une valeur à réaliser et les moyens correspondants.
Le mot idéologie a deux significations. « S’il est inévitable, sur le plan du langage courant (après Marx), de faire correspondre au terme ‘idéologie’ l’auto-mystification politique et sociale », note Albertini, « il n’est toutefois pas possible de réduire les ‘idéologies’ (au pluriel : libéralisme, etc.) à la pure et simple ‘idéologie’ (au singulier : l’auto-mystification). Il n’y a pas de sens à identifier totalement le libéralisme, le socialisme, etc. avec l’auto-mystification. Les grandes idéologies traditionnelles, jusqu’au marxisme, constituent une grande partie de notre patrimoine de culture politique et de nos outils de connaissance des faits historico-sociaux, même s’il est vrai qu’il s’agit d’un savoir sous une forme non critique (sans possibilité de contrôle autre que celle de la sagesse) et s’il est en outre vrai que, pour cela, c’est au sein de ces idéologies que ‘l’idéologie’ se manifeste comme auto-mystification ». Albertini établit ainsi le lien entre les deux notions d’idéologie  :
« Comme processus mental, l’auto-mystification dépend [...] de la confusion entre jugements de valeur et affirmations factuelles. Il s’ensuit que si l’on distingue et isole la valeur, on laisse tomber tout ce qui est fait déguiser en valeur et on récupère tout ce qui est valeur déguisée en fait. Cela montre que l’auto-mystification ne se manifeste pas (ou peut être éliminée) si l’on traite (ou retraite) la valeur en tant que telle, c’est-à-dire comme le modèle d’une situation souhaitable, sans confondre l’élaboration du modèle ou un objectif avec la connaissance des moyens appropriés pour l’atteindre » .

Les idéologies sont des schémas conceptuels qui servent à connaître la société et l’histoire et à en orienter le changement. Elles définissent un projet politique, qui éclaire le sens d’une époque historique à travers l’affirmation des institutions et des valeurs correspondantes. L’idéologie est, selon Albertini, la forme que prend une pensée politique active. Elle rend possible la convergence de la pensée indispensable à la cohésion d’un groupe politique et la cohérence de ses principes d’action. Elle se distingue de la pensée philosophique et religieuse par son caractère actif, c’est-à-dire son orientation vers l’action.

Le fédéralisme comme idéologie

Puisque les institutions sont conditionnées par la société, qui constitue l’infrastructure des institutions, et que celles-ci constituent à leur tour des instruments de gouvernement servant à produire des décisions politiques et donc à poursuivre certaines valeurs déterminées, une définition complète du fédéralisme exige que, à côté de son aspect institutionnel, l’on prenne également en compte son aspect historico-social et son aspect de valeur. Étudié de ce point de vue, le fédéralisme se présente comme une idéologie qui a un aspect de structure (l’État fédéral), un aspect de valeur (la paix) et un aspect historico-social (le dépassement de la division de la société en classes et en nations).
L’aspect de valeur du fédéralisme est la paix. La relation qui existe entre le fédéralisme et la paix est la même que celle qui existe entre le libéralisme et la liberté, la démocratie et l’égalité, le socialisme et la justice sociale. Dans cette perspective, Albertini récupère la vision kantienne, dont la pertinence est mise à l’ordre du jour par la crise de l’État national et par le développement, au-delà des frontières des États, de l’interdépendance de l’action humaine, dont l’unification européenne est l’expression la plus développée. Ces phénomènes étant entendus comme des prémisses à la réalisation de la paix perpétuelle par la construction de la Fédération mondiale. Nier, avec la Fédération européenne, la nation signifie nier « la culture de la division politique du genre humain » et, en même temps, d’affirmer « au siège même des nations » le « modèle multinational, [...] la culture politique de l’unité du genre humain » .
L’aspect structurel du fédéralisme est l’État fédéral, qui permet de surmonter les structures fermées et centralisées de l’État national vers le bas, avec la formation de véritables autonomies régionales et locales, et vers le haut, avec la réalisation de formes efficaces de solidarité politique et sociale au-dessus des États nationaux.
L’aspect historico-social du fédéralisme consiste à surmonter la division de l’humanité en classes et en nations antagonistes, ouvrant la voie à la formation d’une société fédérale, dans laquelle le loyalisme à la société dans son ensemble coexiste avec celle vers des communautés territoriales plus petites sans que l’une prenne le pas sur l’autre. Dans les sociétés fédérales ayant existé jusqu’à présent, cet équilibre social s’est développé en partie seulement parce que, d’une part, la lutte des classes a fait prévaloir le sens d’appartenance à une classe sur toute autre forme de solidarité sociale et empêché que de forts liens de solidarité s’enracinent dans les communautés régionales et locales et que, d’autre part, la lutte entre les États au niveau international a conduit au renforcement du pouvoir central au détriment des pouvoirs locaux.
La conception du fédéralisme en tant qu’idéologie ne fait pas qu’éclairer les limites des conceptions réductrices qui le définissent comme une simple technique constitutionnelle (Kenneth C. Wheare) . La critique d’Albertini est également dirigée contre les courants politiques, tels que le fédéralisme intégral d’Alexandre Marc ou de Denis de Rougemont et celui qui se réfère à Daniel Elazar, qui ne soulignent que l’aspect social. Selon Albertini, il s’agit d’une conception générique et historiquement indéterminée, faisant remonter les origines du fédéralisme à la nuit des temps, quand se formèrent les premières formes d’association entre tribus et dont on en trouve des traces à toutes les époques : dans les ligues entre les Cités-états de la Grèce antique, dans l’Empire romain, à l’époque des communes de l’Italie et de l’Allemagne médiévales, dans le Saint Empire romain germanique, et ainsi de suite.
Selon Albertini, la démocratie représentative est une condition essentielle des institutions fédérales. La première constitution fédérale est donc celle des États-Unis, tandis que les formations politiques antérieures, telles que celles mentionnées ci-dessus, n’ont pas de caractère fédéral ; bien que présentant une articulation territoriale du pouvoir, elles n’avaient pas de caractère structure démocratique. Elles peuvent, tout au plus, être classifiées comme des manifestations anticipatrices du fédéralisme.

Crise de l’État national et unification européenne

La définition rappelée ci-dessus a permis à Albertini de séquencer les phases de développement de la pensée fédéraliste. La première phase, de la Révolution française à la Première Guerre mondiale, est caractérisée par l’affirmation, même sur le seul plan des principes, de la composante communautaire et cosmopolite du fédéralisme contre les aspects autoritaires et guerriers de l’État national. Dans la deuxième phase, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, les critères du fédéralisme ont été utilisés pour interpréter la crise de l’État national et du système européen des États. Dans la troisième phase, débutée après la Seconde Guerre mondiale et qui se poursuit encore aujourd’hui, l’utilisation des cadres conceptuels et des instruments politiques et institutionnels du fédéralisme est nécessaire pour résoudre la crise de l’Europe.
Il est plus facile de comprendre la signification du fédéralisme si l’on commence à le considérer du point de vue de ce qu’il nie plutôt que de celui de ce qu’il affirme. Les déterminations positives de la théorie fédéraliste se sont précisées avec l’expérience de la négation de la division de l’humanité en États souverains et de la centralisation du pouvoir politique. Ces phénomènes s’étant manifestés sous la forme la plus claire dans l’Europe des nations, le fédéralisme a pris forme avant tout comme négation de l’État national.
Albertini a développé une nouvelle théorie de la nation afin de démolir le paradigme nation-centrique de la politique, expression d’une culture archaïque, incapable de s’attaquer aux grands problèmes du monde contemporain. La méthode employée par Albertini consiste à définir la nation sur la base d’une observation empirique du comportement des individus. Le comportement national est un comportement de loyauté. La référence objective de ce comportement est l’État, qui n’est cependant pas pensé en tant que tel, mais comme une entité illusoire, à laquelle se rattachent des expériences culturelles, esthétiques, sportives, dont le caractère spécifique n’est pas national. Pourquoi, se demande Albertini, lorsqu’un Italien regarde la baie de Naples, dit-il : « l’Italie est belle » ? Cette déclaration est sous-tendue par un fait politique. Les individus, qui fréquentent des écoles nationales, célèbrent des fêtes nationales, paient des impôts nationaux, font leur service militaire national, qui les prépare à tuer et mourir pour la nation, expriment ces comportements en termes d’allégeance à une entité mythique, la nation, représentation idéalisée des États bureaucratiques et centralisés. Cette idéalisation de la réalité est un reflet mental des relations de pouvoir entre les individus et l’État national.
Albertini a étendu la notion d’idéologie, que Marx avait liée aux positions de classe, aux relations de pouvoir au sein de l’État. Sur cette base, il est possible de démystifier l’idée de nation, née comme une idée révolutionnaire et aujourd’hui transformée en un facteur de conservatisme. Dans la mesure où elle décrit la division politique entre les nations comme étant juste, naturelle et même sacrée, l’idée de nation contrecarre la tendance sous-jacente de l’histoire contemporaine, à savoir l’internationalisation du processus de production, qui exige de l’État qu’il s’organise sur de vastes espaces politiques selon des schémas multinationaux et fédéraux.
La négation de l’État national par la pensée fédéraliste s’est manifestée dès l’époque de la Révolution française, c’est-à-dire dès la première apparition de l’idéologie nationale. Mais pendant longtemps, elle ne s’est exprimée qu’en tant que principe. Dans la réalité historique, les conditions qui auraient permis au fédéralisme de se présenter comme une alternative politique à l’organisation de l’Europe en États nationaux n’étaient pas encore réunies et donc le principe fédéral ne pouvait pas se traduire en action politique.
La situation va changer avec l’avènement de la société industrielle et plus précisément avec la deuxième phase du processus d’industrialisation, qui « accroît l’intensité et la fréquence des relations entre individus de différents États, élargissant ainsi la sphère de la politique internationale » (1993, p. 147). À ce stade, un nouveau phénomène commence à se manifester : la crise de l’État national. C’est là le concept sur lequel se fonde l’autonomie théorique du fédéralisme contemporain. Il occupe la place centrale qu’avait, dans la théorie libérale la « crise de l’ancien régime » et dans la théorie socialiste et communiste « la crise du capitalisme ». Il permet d’identifier la contradiction fondamentale dans une entière phase historique et de formuler sur elle un jugement historique global. Il s’agit d’un concept que tant Lev Trotski que Luigi Einaudi ont utilisé pour expliquer la Première Guerre mondiale. L’impérialisme allemand est analysé comme l’expression en négatif du besoin de l’unité européenne. L’alternative à une Europe unifiée dans la violence est pour tous LES deux dans les États-Unis d’Europe. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale qu’il deviendra possible de poursuivre cet objectif.
L’intégration européenne est le problème historique qui est au centre de toute l’élaboration théorique d’Albertini. Il a élaboré une grande quantité de catégories analytiques constituant un appareil conceptuel complexe nécessaire pour dominer théoriquement et pratiquement ce processus. L’espace manque ici pour en illustrer toutes les facettes. Je vais me limiter à en tracer les lignes de fond.
Après la Seconde Guerre mondiale, les États nationaux « ne sont plus en mesure de faire face seuls aux deux tâches fondamentales auxquelles tout État est confronté : celle du développement économique et celle de la défense des citoyens ». Là est la cause de la crise du consensus envers les institutions nationales. Il en découle que les gouvernements nationaux « se trouvent en permanence face à l’alternative entre l’impuissance dans la division ou la force dans l’unité […] leur propre raison d’État […] les oblige, sans échappatoire, à résoudre ensemble les problèmes. »
En 1968, Albertini arrive à la conclusion que l’intégration européenne a désormais atteint un « caractère irréversible ».
Il argumente cette affirmation comme ceci : « L’intégration dans le cadre des Six n’est que le stade le plus avancé d’un processus plus vaste d’intégration de l’activité humaine au plan mondial qui, semble-t-il, revêt le caractère d’un nouveau cycle historique à son début, c’est-à-dire celui d’une force historique irréversible. Une évolution de ce type, n’exclue pas, évidemment, la possibilité de crises, voire de périodes d’arrêt ou même de retour en arrière, pouvant, par hypothèse, concerner le Marché commun lui-même. Mais elle exclut, par principe, la possibilité d’un retour durable à des formes de marché national fermé ». Et, il conclut que le caractère irréversible du processus, c’est-à-dire d’un fait historique primaire ».
Albertini a consacré une grande part de ses énergies intellectuelles à l’étude de l’unification européenne, entendue comme la première expression du cours supranational de l’histoire. Le fédéralisme est la théorie qui permet de comprendre et de contrôler ce processus. Il a un rôle analogue à ceux tenus dans le passé par les idéologies libérale, démocratique et socialiste : à travers l’élaboration et l’affirmation de la culture de la paix, il propose un projet de société capable de donner une réponse aux plus grands problèmes de notre époque et il ouvre à nouveau la possibilité de penser l’avenir qui avait disparu dans le cadre des idéologies traditionnelles, à cause de l’épuisement de leur élan révolutionnaire.
La Fédération européenne se tiendra « sur le terrain de la négation de la division politique de l’humanité ». « C’est », selon Albertini, « la chose historiquement la plus importante. La culture nationale, comme théorie de la division politique du genre humain, est la culture qui a légitimé dans les faits, en mystifiant le libéralisme, la démocratie et le socialisme, soviétique ou non, le devoir de tuer. La culture de la négation de la division politique du genre humain, c’est la négation historique de ce devoir ; c’est l’affirmation, dans la sphère de la pensée, du droit politique, et non seulement spirituel, de ne pas tuer, et pour cela le cadre historique de la lutte pour l’affirmer même dans la pratique, au-delà de la Fédération européenne, avec la Fédération mondiale. »

Le gradualisme constitutionnel

L’unité européenne, telle qu’envisagée par Spinelli pendant la Seconde Guerre mondiale durant sa relégation forcée à Ventotene, n’était pas une simple prédiction historique. C’était le but d’une action politique. Après la guerre, c’est progressivement devenu une réalité économique et institutionnelle, basée sur l’intérêt des gouvernements à collaborer entre-eux et à promouvoir une politique d’intégration.
En relation avec ces développements, l’objectif stratégique que le Movimento federalista europeo (MFE) a choisi dès sa fondation – concrétiser l’adhésion des citoyens à l’unité européenne par une campagne d’agitation de l’opinion publique pour préparer la convocation d’une assemblée constituante européenne – s’est modifiée dans la perspective du « gradualisme constitutionnel ». Cette expression, inventée par Albertini, indique un tournant dans la stratégie fédéraliste, qui abandonne le maximalisme des origines, tire une leçon du succès du gradualisme économique et place l’objectif constituant à la fin d’une série d’actes constitutionnels intermédiaires représentant autant d’étapes vers la construction de la Fédération européenne. Ces étapes sont l’élection directe du Parlement européen et la monnaie unique. Albertini a identifié ces objectifs à l’avance et le MFE et l’Union européenne des fédéralistes ont contribué à les réaliser, en construisant le front des forces politiques et sociales et le consensus de l’opinion publique nécessaire.

Le fédéralisme et les autres idéologies

L’objectif de la paix qualifie le fédéralisme comme une idéologie indépendante. L’attitude à l’égard de la paix et de la guerre distingue le fédéralisme des autres idéologies.
Les théoriciens libéraux, démocrates et socialistes, lorsqu’ils ont réfléchi à l’avenir des relations internationales, ont imaginé que les peuples, devenus maîtres de leur destin en se libérant de la domination monarchique et aristocratique, ou bourgeoise et capitaliste, n’auraient plus recours à la guerre. Ce que le libéralisme, la démocratie et le socialisme ont en commun c’est la vision de la politique internationale appelée internationalisme, qui analyse la politique internationale avec les mêmes catégories qu’utilisées pour expliquer la politique intérieure. L’internationalisme impute les tensions internationales et les guerres exclusivement à la nature des structures internes des États et considère la paix comme une conséquence automatique et nécessaire de la transformation de leurs structures internes. L’internationalisme est une conception politique qui, d’un point de vue théorique, ne reconnait pas l’autonomie du système politique international à l’égard de la structure interne des États ni celle de la politique extérieure à l’égard de leur politique intérieure. Enfin, sur le plan pratique, l’internationalisme considère comme prioritaire l’engagement pour réaliser la liberté et l’égalité à l’intérieur des divers États et attribue un rôle subordonné aux objectifs de la paix et de l’ordre international.
Au contraire, la pensée fédéraliste identifie l’anarchie internationale comme le facteur qui empêche la consolidation de la liberté, de la démocratie et de la justice sociale au sein des États et indique dans la paix, c’est-à-dire la création d’un ordre juridique international, la condition pour vaincre les tendances belliqueuses et autoritaires toujours latentes dans l’État. Il s’agit d’un véritable renversement du point de vue prévalant encore aujourd’hui, qui considère comme prioritaire la réforme de l’État par rapport à l’objectif de l’ordre international et qui s’illusionne sur le fait que la paix puisse être la conséquence automatique de l’affirmation des principes libéraux, démocratiques et socialistes au sein des différents États.
En fin de compte, « alors que l’affirmation historique de chacune de ces idéologies constitue l’une des prémisses de la paix, la paix, à son tour (en tant que gouvernement mondial) constitue la prémisse nécessaire de leur réalisation intégrale, ce qui montre immédiatement que la paix ne peut pas être construite par le simple renforcement de ces idéologies » .
La relation entre le fédéralisme et les autres idéologies n’est pas concurrentielle, mais complémentaire. Le fédéralisme « ne se présente pas comme une idéologie alternative au libéralisme, à la démocratie et au socialisme qui, ayant exprimé et organisé la libération de la bourgeoisie, de la petite-bourgeoisie et du prolétariat, ont historiquement assumé des formes antagonistes et réciproquement exclusives, limitant ainsi la réalisation même de leurs valeurs de liberté et l’égalité – qui, en tant que telles, sont complémentaires et non pas alternatives. Il s’ensuit que le fédéralisme [...] ne peut se développer qu’en collaborant à une affirmation toujours plus complète des valeurs de liberté et d’égalité par le truchement de la paix, qui ne trouve son les conditions de sa réalisation morale, institutionnelle et historique que dans le fédéralisme ».

Les modèles normatifs et la philosophie de l’histoire.

L’étude du fédéralisme a révélé l’existence d’un aspect de valeur de ce concept. Il s’agit d’une caractéristique de tous les concepts cruciaux du vocabulaire politique à commencer par le mot « politique ». Machiavel avait observé que les conflits politiques ne peuvent être résolus que par des moyens légaux ou par des moyens violents. Cet état de fait se présente comme une déchirure dans le tissu de la coexistence politique et une contradiction dans l’approche des significations de la vie politique. L’analyse empirique de la politique, qui se limite à l’observation de la réalité telle qu’elle est, se manifeste comme une approche partielle, renvoyant à l’idée d’un but non atteint : la politique émancipée de la violence.
Albertini avait commencé sa réflexion sur la politique en élaborant ses propres catégories dans le cadre de la science politique, mais il s’est vite rendu compte que l’approche descriptive ou empirique ne permettait pas une analyse complète des problèmes posés par la politique. Selon Albertini, « la politique n’est pas vraiment elle-même si elle laisse subsister, à côté de la sphère des rapports réellement juridiques, une sphère de rapports de force et d’abus de pouvoir.
[...] Cette idée [...] de la politique, tout en étant un aspect constant du processus historique, c’est-à-dire précisément un aspect [...] de la politique dans son élaboration, n’est pas encore devenu un élément de la connaissance positive de la réalité sociale. Cette idée est encore confinée aux domaines de l’utopie et de l’idéologie [...] L’étude positive des faits, d’autre part, est à son tour confinée à un soi-disant ‘réalisme’ [...], qui en vérité n’est pas du tout réaliste mais réducteur parce qu’il ne sait pas considérer les idéaux comme réels ».
L’étude d’auteurs tels que Kant, pour ce qui est de la paix, et Proudhon, pour ce qui est de la propriété, met en évidence la possibilité de surmonter les limites théoriques d’un examen séparé des deux aspects de la politique. « En partant d’une donnée primaire d’observation, les caractéristiques empiriques » des relations de pouvoir, se manifestant respectivement en matière de propriété ou de relations internationales, « et d’un fait primaire théorisable, la transformation révolutionnaire du comportement humain, Proudhon a pu démontrer que [...] l’économie ne devient elle-même, c’est-à-dire peut véritablement se fonder sur le travail que si, et seulement si, en se développant sur la base du droit et non d’un conflit d’intérêts à l’état sauvage, elle élimine la domination du faible par le fort ». Et Kant, de son côté, a pu montrer que la politique ne devient elle-même que si, une fois expulsée la violence des relations internationales, chaque État, même le plus petit, peut attendre sa sécurité et la protection de ses intérêts non pas de sa propre force, mais seulement de la force collective d’une grande fédération de peuples. En fin de compte, Proudhon et Kant pensaient que les rapports de force appartenaient à la sphère de la pathologie sociale et que les modèles normatifs qu’ils avaient élaborés représenteraient « dans leur ensemble le modèle de la société (physiologie sociale) ».
La disposition mentale d’Albertini à l’égard de la politique est celle du scientifique, mais d’un scientifique ayant une attitude active envers la politique. Eh bien, la politique est l’expression de la « tentative de soumettre l’avenir aux plans de la raison ». Cela implique, entre autres, que l’on admettre la présence de la raison dans l’histoire (c’est-à-dire que l’histoire a un sens) ; et cela implique également que l’on choisisse effectivement le progrès – au lieu de se demander dans l’abstrait s’il est possible ou impossible – évitant ainsi l’erreur catastrophique d’appliquer la raison à tout, sauf à ce qui décide de tout, le cours de l’histoire ».
Albertini a consacré une grande partie de son travail théorique à la discussion des modèles normatifs, en particulier à celui de la paix, qui a permis de définir les contours plus généraux du projet fédéraliste.

La théorie de la paix

En adoptant la leçon kantienne qui indique que la paix est le but ultime du cours de l’histoire, Albertini construit l’idée de la paix comme un modèle normatif. La paix est la valeur qui permet de donner un ordre rationnel au monde et un sens à l’histoire. Elle est définie par Kant en des termes neufs, qui s’écartent du sens que le mot a encore aujourd’hui : la paix entendue au sens de l’absence d’hostilités ou comme la suspension des hostilités dans l’intervalle entre deux guerres (paix négative). Selon Kant, la paix n’est pas un état de nature, mais quelque chose qui doit être établi par la création d’un ordre juridique et garantie par un pouvoir supérieur aux États (paix positive). En définissant la paix comme l’organisation politique qui rend la guerre impossible, Kant trace une nouvelle ligne de démarcation entre la paix et la guerre et place la trêve (c’est-à-dire la situation dans laquelle, même si ont cessé les hostilités, la menace de leur réouverture demeure) du côté de la guerre.
Cependant, le dogme sur lequel repose encore la pensée politique dominante, c’est que notre nation constitue le centre de l’univers politique. Le paradigme centré sur l’État (stato-centrique) considère la politique du point de vue de l’intérêt national et de sa promotion et non pas de celle du bien commun de l’humanité. D’une part, note Albertini, « le monde des États [...] est le monde de la guerre ». D’autre part, « au sein de chaque État, la politique est précisément l’activité par laquelle sont résolus pacifiquement les conflits ». En outre, « l’histoire présente [...] une tendance constante à l’élargissement de la taille des États, c’est-à-dire à la transformation d’anciennes zones de guerre en zones de paix intérieure ». Si la politique est « le processus d’élimination progressive des guerres, [...] la guerre est l’expression de l’imperfection de la politique et la paix est l’expression de la perfection de la politique ».
Albertini a développé à plusieurs reprises des analyses sur la nature de la Fédération mondiale. Ici, je rappelle celle qui lie le gouvernement mondial au contrôle du processus historique. « Avec l’idée du gouvernement mondial », a-t-il observé « nous acquérons la possibilité de penser distinctement le processus historique non contrôlé et celui qui l’est. Dans ce cas [...] la volonté générale, qui se forme désormais aussi au niveau mondial, n’a plus à se soumettre à la nécessité (comme choc international de volontés nationales). La volonté politique passe donc de la sphère de l’hétéronomie à celle de l’autonomie. Et cela implique, dans le même temps, le passage d’une histoire de caractère déterministe à une histoire guidée par la liberté ». Avec le gouvernement mondial, la politique mondiale cesse d’être le résultat d’une confrontation anarchique entre États et peut devenir l’objet de choix libres et démocratiques. Les fins de la politique ne sont plus choisies sous la pression de la nécessité, mais de la raison.

Bibliographie essentielle

Albertini Mario, Proudhon, Vallecchi, Florence, 1974 ;
Albertini M., Il federalismo, Il Mulino, Bologna, 1993 ; Lo Stato nazionale, Il Mulino, Bologna, 1997 ; Nazionalismo e federalismo, Il Mulino, Bologna, 1999 ; Una rivoluzione pacifica, Il Mulino, Bologna, 1999 ; tous ouvrages publiés dans la collection « Biblioteca federalista ».
Terranova Flavio, Il federalismo di Mario Albertini, collection « Quaderni della rivista Il Politico », Giuffrè, Milan, 2003.

En français :
Mario Albertini, L’État national, coll « Textes fédéralistes », Lyon, Fédérop, 1975, 221 p., diffusion Presse fédéraliste.
Mario Alberetini, Le fédéralisme – Anthologie et définition, coll « Textes fédéralistes », Lyon, Presse fédéraliste, 2025, à paraître