Les effets sur le climat et la géographie planétaires -tels que l’accroissement des températures moyennes, la fonte des calottes glaciaires, la désertification, l’augmentation du nombre et de l’ intensité des cyclones et autres phénomènes climatiques dévastateurs- ont placé la question du réchauffement global en tête de l’agenda global. On peut observer un renforcement du consensus scientifique sur l’importance des causes liées au modèle actuel de civilisation et au fait que l’énergie constitue la matrice du phénomène. La prise de conscience planétaire de la gravité de la menace augmente. L’attribution du Prix Nobel de la paix à Al Gore et au « Panel intergouvernemental sur le changement climatique » des Nations unies a montré l’importance croissante de la question sur la scène mondiale.
Bien que la Conférence de l’ONU de 2007 sur le changement climatique à Bali, en Indonésie (notez bien le nom : il ne mentionne même pas la question du réchauffement global) se soit conclue par un accord pour négocier un futur accord — ce fut en fait un autre échec déguisé en succès. Une feuille de route dont les objectifs sont soit abstraits soit relégués à des notes en bas de page, un budget de 307 millions d’euros pour aider au changement technologique du monde sous-développé qui nécessiterait en fait des milliards et la promesse paradoxale d’un « Kyoto II », constituaient un maigre résultat face à la menace considérable que le changement climatique fait peser sur l’humanité. Tandis que les débats sur les causes climatiques du réchauffement global augmentent, l’échec des agences intergouvernementales met en lumière une origine politique plus profonde.
Regardons la situation : un bien public global qui appartient à l’humanité tout entière (l’éco-système) est en grand danger en raison des politiques énergétiques irresponsables qui sont menées — avec un degré différent d’irresponsabilité — par la plupart des Etats-nations du monde. La raison est évidente : l’émission des gaz qui causent l’effet de serre est une affaire excellente pour les compagnies et les sociétés depuis que les effets négatifs de la consommation d’essence, de charbon et de gaz sont partagés par tous les êtres humains, tandis qu’ils en contrôlent entièrement les bénéfices.
Qui plus est, si nous passons des acteurs économiques aux acteurs politiques, le résultat ne change pas : il est pratique pour chaque nation de maintenir une législation environnementale permissive à l’intérieur de ses frontières parce que les coûts de l’émission sont payés par tous les pays, tandis que les bénéfices sont exclusivement engrangés par les compagnies du pays pollueur.
Asynchronies globales
Le résultat du conflit entre les problèmes mondiaux actuels et une notion territoriale restreinte de la souveraineté nationale, a été l’incapacité des Etats-nations, des organisations internationales et des comités intergouvernementaux, d’apporter des réponses adéquates et efficaces. La conséquence de ce développement asynchronique peut être symbolisé par des rythmes radicalement différents : un système technologique qui avance à la vitesse de la lumière, qui se manifeste par l’internet et les ondes électro-magnétiques des mass-media globales, un système économique qui va à la vitesse du son, symbolisé par des managers globaux qui parcourent le monde dans des avions subsoniques et un système politique dominant qui progresse à la vitesse d’un train, dispositif emblématique de la toute première modernité. Ce n’est pas un accident si, dans le système qui en résulte, technologiquement et économiquement intégré (global) mais politiquement fragmenté (national/international), un accord sur des objectifs modestes tels que le protocole de Kyoto (1997) a été rejeté par les deux pays qui sont les deux principaux responsables des émissions globales : la Chine et les Etat- Unis. C’est pourquoi un hypothétique Kyoto II, non seulement manque d’une véritable base mais aussi décevant et insuffisant face à l’ampleur du défi. Tout Etat participant à un hypothétique accord du type de celui de Kyoto se trouverait manifestement dans une situation désavantageuse sur le marché mondial comparé à ses concurrents qui décideraient de ne pas y souscrire. Cela renforcerait la tendance actuelle à établir un système de dumping écologique global puisque dans un système internationalement fragmenté, la récompense va au cancre de la classe. Il est regrettable que, en même temps que le réchauffement global progresse, des accords inefficaces tels que celui de Kyoto et des conférences sans conclusion telles que celle de Bali rassurent la conscience mondiale avec un faux message : les Etats-nations et leurs dirigeants font quelque chose pour résoudre le problème.
La cause d’une Assemblée parlementaire des Nations Unies (UNPA) : vers un Parlement mondial
La crise causée par le réchauffement global et l’insuffisance des solutions apportées par les agences intergouvernementales montrent qu’il faut transformer les Nations unies pour réaliser les objectifs pour lesquels cette organisation a été créée. Le moment est venu de construire des institutions mondiales démocratiques qui s’occupent des intérêts communs des citoyens du monde et pas seulement de ceux des gouvernements du monde. Je veux parler d’un Parlement mondial. Un Parlement mondial qui appartient aux rêves les meilleurs de l’humanité, au moins de ceux de Tennyson et de Victor Hugo, est maintenant apparu comme une nécessité urgente et vitale pour stopper le mélange oppressant de chaos et de tyrannie apporté par la domination du nationalisme et du présidentialisme sur les questions mondiales. Au-delà de la question elle-même, l’initiative la plus avancée dans le domaine de la construction d’une institution parlementaire mondiale avec des pouvoirs législatifs sur les questions globales, c’est la Campagne pour l’établissement d’une Assemblée parlementaire des Nations unies (UNPA) lancée en avril 2007 par le Comité pour des Nations unies démocratiques (KDUN), le Mouvement fédéraliste mondial et un vaste réseau d’ONG et de membres de parlements du monde entier.
L’appel de la Campagne pour une UNPA a été approuvé par plus de 600 membres de parlements de plus de 90 pays. La Campagne promet de réitérer le travail immense effectué dans les années 90 par la Coalition pour une Cour pénale internationale (CCPI) qui a conduit à la mise en place de la CPI en 2002, ce qui a constitué un pas important vers la globalisation de la justice.
Cependant la question qui se pose est : que pourrait faire une
Assemblée parlementaire dans le domaine du réchauffement
global, une fois établi qu’elle serait initialement composée de
membres des parlements nationaux et que ses pouvoirs
seraient purement consultatifs ? Comment pourrait-elle
apporter une contribution qui « fasse la différence » par rapport
— dirons-nous — à celle apportée par la Conférence de l’ONU sur
le changement climatique ou par l’Agence environnementale de
l’ONU proposée par le précédent Président français Jacques
Chirac ou toute autre proposition internationale donnée ? Ce
que l’UNPA peut offrir n’est rien moins que la démocratie. Dans
la mesure où l’incapacité de traiter le réchauffement global
découle du déficit démocratique de l’ordre mondial, seule une
assemblée parlementaire peut attirer l’attention sur le facteur
politique qui cause la crise et apporter une contribution décisive
à sa solution à travers un programme comportant des étapes
successives.
D’abord, une Assemblée parlementaire de l’ONU, qui pourrait être créée par une résolution adoptée par la majorité de l’Assemblée générale conformément à l’article 22 de la Charte, pourrait demander une Assemblée mondiale de l’environnement comme Jacques Chirac l’avait proposé. Cela donnerait une légitimité démocratique à la proposition et rendrait ainsi plus viable un projet contre le réchauffement global visant à remplacer le Protocole de Kyoto qui expire en 2012. Cela devrait être un projet global (ni international, ni intergouvernemental) avec des objectifs bien plus ambitieux que ceux fixés à Bali et qui comprendrait des mesures punitives spécifiques (en terme de commerce international, flux de trésorerie, etc.) pour les nations (et les compagnies appartenant à ces nations) qui essaient de conquérir des avantages compétitifs en violant ses règles. Un principe politique global devient ici assez évident : pour participer au marché économique mondial, vous devez respecter les régulations écologiques mondiales. Les nations qui choisissent de ne pas participer en évoquant leur souveraineté peuvent continuer à vendre leurs marchandises à l’intérieur de leurs frontières souveraines mais elles trouveraient des barrières protectionnistes si elles essaient de vendre à l’extérieur. Si le projet d’une Assemblée environnementale mondiale était supervisé par l’UNPA et approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies, seul le veto de l’un des cinq pays membres permanents du Conseil de Sécurité pourrait empêcher son application mondiale. Quel gouvernement démocratique voudrait affronter les énormes pressions qui s’élèveraient s’il s’opposait à un projet globalement et démocratiquement élaboré ? Un gouvernement des Etats-Unis se confronterait-il à un impact électoral imprévisible sur ses électeurs qui ont une sensibilité plus importante à l’égard des questions environnementales que leur gouvernement national ?
Au pire, le protocole qui en serait résulté pourrait être approuvé par les autres pays avec une légitimité incomparablement plus importante que ne l’a eu celui de Kyoto ou que celui qui émanerait d’une quelconque conférence intergouvernementale telle que celle de Bali. La question des sanctions contre des « Etats rebelles » pourrait être mise entre les mains de l’Organisation mondiale du commerce en charge du dumping écologique et de la violation des règles du commerce.
Naturellement, concernant l’établissement graduel d’un Parlement mondial et le défi du réchauffement global, on ne peut pas suggérer qu’il existe une solution magique. Cependant, la possibilité d’impliquer une institution globale de représentants élus, avec des méthodes plus démocratiques pour traiter les conflits inévitablement engendrés par un monde qui se globalise de plus en plus, n’est pas suffisamment reconnue. La simple existence de l’UNPA, sa capacité de traiter la question du réchauffement global et son objectif d’élaborer des recommandations sur des questions globales d’une manière démocratique, pacifique et consensuelle constitueraient un pas en avant extraordinaire. Cela ouvrirait probablement la voie pour appliquer à la résolution des questions mondiales la même recette que nous considérons aujourd’hui comme irremplaçable pour l’obtention des décisions politiques nationales : la démocratie.
Finalement, si l’UNPA réussissait à faciliter une réaction globale satisfaisante au problème du réchauffement global, il serait plus facile de la transformer en un véritable Parlement mondial avec des activités permanentes, une élection directe des représentants et des compétences législatives concernant les questions mondiales importantes.
Les gouvernements nationaux comprendront-ils, en se basant sur l’expérience de l’Union européenne, que quand ils confient des compétences qu’ils ne peuvent plus assumer d’une manière appropriée par eux-mêmes, à une entité démocratique supranationale, ils ne perdent pas vraiment de pouvoir mais qu’ils en gagnent ? Irons-nous vers une Assemblée parlementaire des Nations unies, puis vers un Parlement mondial, ou devrons-nous attendre une crise dont les proportions et les conséquences seraient similaires à celles de la seconde guerre mondiale, une future « guerre civile mondiale causée par le réchauffement global », comme le craint le Secrétaire Général de l’ONU ?